En parlant du loup...Spencer pensait justement à lui quand elle a eut de ses nouvelles ! Un mail. Un petit mail, aussi insignifiant soit-il, mais qui pourtant la rend toute joyeuse. Noah Clarke, journaliste talentueux, lui demande de passer au journal, quand elle aura du temps, pour un article. Elle n'a pas très bien compris la raison, à vrai dire, elle est juste contente qu'il lui ait demandé de passer. Elle ne s'emballe pas non plus, parce qu'elle n'a pas envie de se prendre un vent magistral. Elle veut voir, tester, creuser ce qui peut être creusé...Elle veut savoir si elle a potentiellement une chance ou non. Et si ce n'est pas le cas, elle peut toujours tenter de le faire changer d'avis (a).

Si elle avait pu, elle aurait probablement débarqué au journal dans l'heure. Mais, elle a des impératifs. C'est peut-être la fin de l'année, ça ne veut pas dire qu'elle peut se permettre de relâcher les efforts. Les cours au conservatoire sont de plus en plus poussés et les examens de fin d'année sont pour bientôt. Elle ne peut donc pas se permettre de rater des cours, même ceux dans lesquels elle a des facilités, juste pour ça. Mais au moins, ce mail lui aura donné le sourire tout au long de la journée.

L'après-midi, elle n'a que deux heures de cours. Un cours de chant.  D'habitude, elle participe beaucoup, mais depuis quelques temps, à l'approche des examens, elle sent que ses autres camarades se montrent de plus en plus compétitifs. Elle n'est pas ici pour se battre une place. Ce n'est qu'un cours. Dehors, par contre, tous les coups sont permis. Elle n'a pas l'impression de trop mal se débrouiller ! D'ailleurs, cet été, elle a quelques dates de prévues avec Simon, ce qui n'est pas le cas de tous ses camarades, mais ça c'est une autre histoire. Au fond, elle se fout bien d'eux, c'est sa carrière à elle qui l'intéresse. Le cours terminé, elle attrape son sac et prend la route pour rentrer à Shady Cove, et plus précisément vers les bureaux du journal de la ville. C'est là qu'elle est censée pourvoir trouver le journaliste.

Dans le bâtiment, elle s'annonce à l'accueil. Une standardiste peu aimable qui lui demande de patienter et qui ne semble pas motivée pour répondre à sa requête. Mademoiselle-pas-aimable appelle le principal intéressé pour vérifier les dires de la musicienne et finit par l'autoriser à passer, lui indiquant où elle peut trouver Noah, dans les locaux. Spencer lui offre un sourire forcé en la remerciant avant de partir à la recherche du journaliste. Lorsqu'elle le trouve, elle toque doucement à la porte déjà ouverte puis, passant la tête dans l'encadrement, se racle la gorge avant de prendre la parole.

« Bonjour, je suis venue dès que j'ai pu ! ^^ »

Noah appréciait l’idée de découvrir de nouveaux talents, rencontrer la relève de demain, et quand il croisait la route de jeunes prodiges, à ses yeux, il ne les lâchait pas ! C’était le cas de Spencer Jenkins. Persuadé que la jeune femme irait loin dans sa carrière musicale, il suivait sa carrière avec une attention toute particulière et multipliait les articles élogieux à son sujet. Il savait reconnaître le talent là où il était, et Spencer en débordait. Son seul frein était sûrement son jeune âge, causant ainsi son inexpérience. Mais le jeune homme savait qu’avec un minimum d’encadrement, elle était capable de faire une carrière sensationnelle. Ainsi, il lui avait envoyé un mail lui proposant de faire un saut au Journal. Il ne s’agirait pas d’une interview officielle et professionnelle, seulement d’un échange pour discuter musique, surtout concernant les futurs projets de la jeune femme, son avenir au sein de la musique.

Comme il n’avait pas précisé d’heure de rendez-vous dans son mail, stipulant que la jeune femme pouvait venir dès qu’elle avait un moment, il ignorait à quelle heure elle débarquerait. Il entendit sa voix alors qu’il était plongé dans la relecture d’un article, un gobelet de café rempli à côté de lui et deux autres vides. Il ne jurait que par la caféine qui l’aidait au moins à rester éveillé quand la fatigue se faisait ressentir. Il leva les yeux et un sourire éclaira son visage, alors qu'il la saluait avec chaleur.

« Bonjour ! Pas de problème, entre, je t’en prie. Tu veux boire quelque chose ? »

Il se leva pour lui tendre poliment la main, comme à son habitude, avant de désigner la toute nouvelle cafetière posée dans un coin de son bureau. Quel luxe ! Il était avant obligé d’aller à la machine de la salle de repos, maintenant, son bureau disposait de sa propre cafetière. Alors il en profitait au maximum, sachant combien c’était rare.

« Comment vas-tu ? » s'enquit-il, toujours heureux d'obtenir des nouvelles de la jeune femme. 

Il la savait étudiante et, surtout en fin d'année, ce ne devait pas être facile tous les jours. Il ne se souvenait que trop bien de ses propres années d'études de journalisme et il n'en gardait pas forcément un bon souvenir !

La conversation qu'elle a eut avec Simon la dernière fois lui a fait réaliser à quel point elle ignorait tout de la vie de Noah. Ils ne parlent pas vraiment de lui à chaque fois qu'ils se voient. C'est surtout d'elle ou de musique en général dont ils parlent. Mais lui, il le dévoile rien parce qu'il doit garder en tête que c'est une discussion professionnelle, certainement. Elle, elle aimerait beaucoup en apprendre sur lui, et aujourd'hui, c'est son objectif. Parler d'elle, ça va bien cinq minutes. Elle a envie de voir, de prendre la température, dissiper ses doutes concernant ses chances avec le journaliste.

Arrivée sur son lieu de travail, elle passe la tête dans l'encadrement de porte pour le saluer avant de s'avancer dans son antre. Il semble occupé et son bureau témoigne d'une dure journée de boulot. Elle est un peu déçue qu'il s'acharne à lui serrer la main, depuis le temps, mais s'en contente.

« Si tu as de la vodka, je veux bien, sinon, je veux bien un verre d'eau ! »

Lance-t-elle en riant. Elle n'a pas du tout envie de boire de la vodka, encore moins à cette heure, mais elle se voulait juste amusante. Elle n'est fan ni de thé, ni de café. D'ailleurs, en parlant de café, cette cafetière n'y était pas la dernière fois qu'elle est venue ici.

« C'est nouveau ça ! Tu consommes tant de café que tes collègues se sont cotisés pour t'offrir ça ? »

Demande-t-elle, un peu taquine. Elle sait qu'il boit beaucoup de café. Son bureau en témoigne et sa poubelle aussi. Elle est pleine de papier en boule ou de gobelets vide. Pas besoin d'être Sherlock Holmes pour en déduire qu'il est accro à la caféine. Son visage s'illumine quand il prend des nouvelles d'elle.

« Ça va très bien ! Les examens approchent mais je ne m'inquiète pas trop ! Et toi, ça va ? Tu as l'air d'être pas mal occupé ! »

Noah n’était pas du genre à se dévoiler facilement. C’était un journaliste avant tout, son job, c’était d’enquêter, d’aller chercher l’info, d’interroger les gens. Ce n’était pas son rôle de raconter sa vie, surtout que ce n’était pas son genre. Lui, il était plutôt du style posé, discret. Par-exemple, ce qui s’était récemment passé avec Lucy, il n’en avait parlé à personne. Pour l’instant. Il n’avait pas eu le temps de croiser Josh à cause de leur boulot respectif, et le jeune homme se voyait mal aller discuter de ce sujet aussi complexe avec le premier venu. Bref, il avait convoqué Spencer dans un but professionnel avant tout, mais comme il l’appréciait en dehors du Journal, il aimait bien se renseigner sur sa vie, en apprendre plus à son sujet. Rien d’exceptionnel là-dedans.

« De la Vodka ? Désolé, pas pendant le service » répondit-il sur le même ton malicieux. « Je vais te chercher un verre d’eau ».

Il s’absenta trente secondes pour sortir de son bureau et rejoindre la fontaine à eau qui se trouvait à quelques mètres de la porte. Il prit un gobelet et revint ensuite le donner à la jeune femme, qui s’installait pendant ce temps. Elle n’avait pas changé, toujours ce même regard illuminé, et ce sourire qui la caractérisait. Quand elle lui parla de cafetière, il répondit aussitôt :

« Je n’en sais rien, pour tout t’avouer ! Mais je soupçonne le patron d’avoir voulu limiter mes déplacements jusqu’à la machine à café. Je ne devais pas être assez productif à son goût ».

En même temps, c’était normal. Le jeune homme passait le plus clair de son temps à faire des allers-retours entre son bureau et la précédente machine à café pour récupérer le précieux breuvage, si bien qu’il perdait un temps cruel consacré à son boulot ! Ceci faisant, il se dirigea justement vers le fond de son bureau pour se préparer un énième café. Vraiment accro.

« Ah oui, les examens. Ce n’était peut-être pas la meilleure période pour te demander de passer. Ce serait dommage que tu rates ton année à cause de moi ! … Oui, ça va. Comme toujours. On est débordés ici, et je ne sais pas quand j’aurai l’occasion de souffler un peu ! »

Spencer avait bien raison, il était particulièrement occupé ces semaines-ci, à en croire son bureau qui ressemblait plus à un champ de bataille qu’autre chose. Outre les gobelets de café qui s’amoncelaient dans la poubelle, des piles de dossiers s’entassaient un peu partout, des feuilles volantes gisaient dans toute la pièce et c’était à se demander comment le journaliste faisait pour s’y retrouver. Il avait l’habitude, il faut croire. Mais il s’étonnait lui-même.

La musicienne sourit naturellement, en retour. Elle n'imagine pas du tout Noah boire de la vodka, en fait. C'est peut-être cette image de journaliste qui le rend trop sérieux, elle ne l'imagine même pas en soirée. Comme quoi, elle ne connait pas grand chose de lui, finalement. Elle aimerait, par exemple, voir s'il est le même homme en dehors de son boulot car, toutes les fois où ils se sont vus, c'était toujours pour des articles. Elle a donc du mal à le voir autrement que ce mec sérieux et travailleur qu'elle voit à chaque fois. Elle se permet un petit tour rapide, observant un peu son environnement de travail, le temps qu'il lui prenne un verre d'eau. S'il lui avait indiqué où trouver la fontaine, elle y serait allée elle-même, pour ne pas le déranger, mais ça lui fait tout autant plaisir qu'il se soit levé pour elle.

« Merci, Noah. »

Souffle-t-elle en attrapant le gobelet d'eau fraîche. Elle en boit une longue gorgée qu'elle sent couler le long de sa gorge et y laisser une douce trace glaciale. C'est agréable. Sans même y être invitée, elle s'installe sur l'un des fauteuils. Un de ceux qui tournent. Incapable de s'en empêcher, elle prend l'élan avec son pied pour faire faire un tour complet au fauteuil. C'est gerbant, mais toujours aussi sympas que quand elle était gamine et qu'elle le faisait sur le fauteuil de bureau de son père. Elle n'a d'ailleurs jamais trop compris cet engouement pour les tours de fauteuil de bureau, mais quand on est gamin, c'est une sensation cool, probablement. Ça lui est certainement resté. Un peu taquine, elle se permet une blague quand elle remarque la nouvelle cafetière. Elle soupçonne Noah d'avoir trop embêté ses collègues avec tous ses aller-retours à la machine à café commune.

« Attention, t'as plus d'excuses ! Si t'arrives encore à pas être productif après ça, il risque d'investir dans un fouet ! »

Spencer répond à la question du journaliste, parlant de ses examens. C'est pour bientôt mais elle ne stresse pas. Enfin, si, un petit peu, et c'est normal d'avoir peur de se planter, mais elle a des acquis et des facilités dans plusieurs matières, alors il n'y a pas de raison...Elle est plutôt confiante. Attrapant agrafeuse qui se trouve sur le bureau, Spencer joue un instant avec avant de reporter son attention sur Noah et ses derniers mots.

« Non ! Non ! T'inquiète pas, je vais pas rater mon année juste parce que je suis venue ici aujourd'hui ! J'ai bossé toute l'année, j'suis au point ! »

Le rassure-t-elle. Elle a envie d'être là et elle peut largement se permettre quelques moments de détente. Les prochains jours s'annoncent stressant, difficiles. Elle est prête à affronter ces quelques jours d'examens pour valider son année et elle n'a pas peur. Noah ne doit pas s'inquiéter pour ça. Mais d'un côté, ça lui fait plaisir de se dire qu'il s'inquiète pour elle, enfin, pour sa réussite, à défaut.

« Tu veux pas sortir un peu d'ici ? On peux aller faire un tour, ça te fera peut-être du bien de prendre l'air ? »

Tout en achevant de préparer son café, Noah écouta attentivement Spencer. Il voyait bien son patron se promener avec un fouet dans les couloirs, ça pourrait donner lieu à des scènes cocasses. Mais connaissant certains de ses collègues, ils auraient carrément pu aimer ça. Enfin bon, le Journal fonctionnait déjà relativement bien, les employés travaillaient correctement pour la plupart et se donnaient à fond dans leur job. Noah faisait partie de ceux-là, ceux pour qui le travail comptait avant toute chose. Il n’avait pas de vie privée, pas de famille, rien qui puisse le maintenir loin de son boulot. Ce qui n’était pas plus mal, dans un sens.

« Très bonne idée, ça ! Je la soumettrai lors de la prochaine réunion. Je suis sûr que ce serait efficace ! »

Spencer le rassura en lui disant que non, elle ne raterait pas ses examens à cause d’une journée passée avec lui ! Heureusement. Au pire, songea-t-il avec amusement, si elle ratait sa vocation, elle pourrait toujours faire carrière dans le journalisme. Il se ferait un plaisir de lui donner un coup de pouce et de l’accueillir au sein du journal. Mais hélas, ce n’était pas le journalisme qui faisait battre son cœur, mais bien la musique. Et en attendant, au moins, il suivait de près sa carrière qui s’envolait. C’était déjà ça. Il pourrait clamer par la suite qu’il avait été le premier journaliste à s’intéresser à elle !

La jeune femme lui proposa ensuite de sortir prendre l’air. Certes, il en avait bien besoin, mais il ne s’attendait pas à une telle proposition ! Il n’avait jamais vu Spencer en dehors des locaux du journal pour discuter autrement que dans le cadre de ses articles. Cela pouvait être une bonne idée. Et comme il avait un peu de temps devant lui, il esquissa un sourire et approuva d’un hochement de la tête. Ça ne pouvait pas lui faire de mal, de toute manière.

« Pas de problème » accepta-t-il sans hésitation. « Tu as raison, je dois aller prendre l’air ».

Il prit néanmoins son sac avec tout son matériel dedans, au cas où il aurait des choses à noter, avant de prendre sa veste. Il faisait certes chaud, mais il était inconcevable pour lui de ne pas sortir avec sa veste de costume ! De même, il saisit en dernier son gobelet de café, là encore parce qu’il venait de se le préparer et qu’il était hors de question qu’il l’abandonne sur la table. Enfin, ceci fait, il lui désigna poliment la porte pour qu’ils sortent. En effet, l’air lui fit du bien. Peut-être, ainsi, pourrait-il en apprendre un peu plus sur Spencer. Il ne connaissait d’elle que toute la partie concernant la musique et pas le reste. Une fois au pied du bâtiment, il demanda :

« Quelle direction veux-tu prendre ? »

Spencer n'a pas vraiment d'idée de ce à quoi peut ressembler la journée d'un journaliste ici. Elle imagine bien que chacun doit faire son investigation et rédiger des articles, mais elle est loin d'imaginer la pression qui peut peser sur leurs épaules. Ils ont des soucis de temps à respecter, de normes, de taille d'articles...Ça semble bien compliqué et elle est bien contente de ne pas avoir choisi cette branche de carrière. La sienne n'est pas plus facile, mais ça lui plait et elle est un peu son propre patron jusqu'ici. Elle sait que ce n'est pas toujours le cas, surtout si elle se trouve une maison de disques...Elle ne sera plus seule décisionnaire, mais elle espère tomber quelque part où on ne lui imposera rien qu'elle ne souhaite faire. 

« Efficace, peut-être, mais je suis pas sûre que ce soit très motivant de se dire qu'on va se faire fouetter les fesses par le big boss ! »

Ajoute-t-elle en imaginant la scène. Après réflexion, elle n'a pas tellement envie d'imaginer Noah en train de se faire fouetter par son patron, c'est un peu trop glauque. Elle chasse donc cette idée de sa tête aussi vite qu'elle y est venue. Le sujet change et elle parle rapidement de ses examens qui ne lui font pas peur parce qu'elle y est bien préparée. Il n'y a aucune raison pour qu'elle se plante. Elle a consacré beaucoup de temps à sa musique cette année et à ses petits concerts mais ça ne l'a pas empêchée de revoir ses cours. Au contraire, c'était même plus simple parce que niveau musique et chant puisqu'elle pratique régulièrement. Elle est consciente qu'entre la théorie et la pratique existe une grosse différence mais elle est confiante.

« Rester enfermé doit pas beaucoup t'aider ! »

Dit-elle alors qu'elle réfléchit à sa propre situation. C'est dont l'hopital qui se fout de la charité puisqu'elle passe le plus clair de son temps enfermée devant son ordinateur, devant son piano ou avec sa guitare. Mais qu'importe l'instrument, c'est toujours pour la musique. Uniquement pour la musique. Reposant l'agrafeuse sur le bureau, elle se lève d'un bond, motivée pour aller se promener un peu avec le grand brun. Elle est ravie, même.

« Au hasard, par là ! »

Lance-t-elle en marchant dans la direction qu'elle indique. Elle ne sait pas trop vers où ils se dirigent, mais ils ne peuvent pas aller bien loin, Shady Cove n'est pas si grande que ça.

Noah devait bien reconnaître que son métier n’était pas des plus faciles et il ressentait quotidiennement la pression sur ses épaules. Heureusement, depuis les années, il savait gérer au mieux ce problème et faisait un travail très efficace, de l’avis de son supérieur hiérarchique. Et du sien aussi. Le jeune homme n’était pas ce qu’on pouvait appeler un modèle d’humilité ! Malgré tout, il ne pouvait pas rêver mieux. Ce job lui permettait d’être au contact des gens tout en restant au plus près de l’actualité et ça le passionnait. Pour l’instant, il ne vivait que pour son boulot et cette vie lui convenait parfaitement. Il hocha la tête face à la remarque de Spencer, légèrement amusé par sa réplique. Motivant ? Peut-être pas. Enfin, pas dans le bon sens en tout cas.

« Ouais, à bien y réfléchir, j’ai l’impression de passer ma vie cloîtré ici… Je te l’ai déjà dit, j’adore mon boulot, mais parfois, je me demande vraiment si tout ça vaut le coup ».

Il esquissa un sourire de connivence. Evidemment, il lui arrivait régulièrement de se poser des questions, c’était dans ses gènes. Avec son travail, il n’avait pas forcément le temps de penser à une vie de famille, alors que pourtant, il le souhaitait de plus en plus. Il n’avait pas le temps de songer relations sociales puisque la quasi-totalité de son temps était dévoué au journal. Cette vie lui plaisait mais il ne pouvait s’empêcher de se demander si ce n’était pas parfois un peu trop. S’il ne devrait pas mieux privilégier sa vie privée plutôt que sa vie professionnelle. Lâcher du lest suivant l’expression. Et tout plaquer. Non, il en était incapable. Il n’avait pas le cran pour ça.

Ils s’engagèrent donc au hasard dans les rues de Shady Cove, Noah suivant Spencer, la trouvant plus joyeuse que d’habitude. Un sourire indulgent étira ses lèvres. Elle l’amusait beaucoup, en réalité. Il la comparait à une sorte de lutin des bois toujours guillerette. C’était la seule image qui lui venait à l’esprit ! N’oubliant pas pour autant son job, et ne voulant pas faire perdre son temps à la jeune femme, il préféra reparler boulot. Après tout, elle s’était déplacée pour ça, elle voulait certainement parler musique !

« Alors, maintenant que tu as bientôt fini ton année, qu’est-ce que tu comptes faire ? T’as des projets autour de la musique pour cet été ? »

Cela l’intéressait toujours, surtout que Spencer disposerait probablement d’un peu plus de temps libre pour se consacrer à sa passion avec les vacances qui arrivaient ! Il posa les yeux sur elle, guettant le sourire qui la caractérisait tant.

Aime son boulot, c’est une chose parfois compliquée à comprendre, surtout pour ceux qui ont accepté un poste « par défaut » alors qu’ils n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent. Aimer son job, c’est quelque chose que Spencer ne peut qu’envisager. Elle ne veut pas se réveiller à 40 ans et réaliser qu’elle fait un job de merde. Noah aime son boulot, et ça se voit. Elle sait que, malgré le fait qu’il aime ce qu’il fait, ça ne veut pas dire que ce soit tous les jours facile, mais pour la jeune femme, ça en vaut forcément la peine. En tout cas, ça en vaut plus la peine quand on aime son boulot.

« Si tu aimes ton boulot, ça en vaut forcément la peine ! Imagine si tu étais là non pas par choix mais par obligation ? »

Lui fait-elle remarquer dans un sourire pour tenter de le rassurer. Elle ne pense pas que ces mots auront réellement un impact sur sa vie, ils ne sont pas amis ni même proches, mais sait-on jamais. Elle, elle aimerait que ces mots lui fassent quelque chose. Mais elle n’espère pas trop.

Marchant au hasard dans les rues de Shady Cove, Spencer ne peut qu’apprécier cet instant en tête à tête avec le journaliste. Elle se sent comme une adolescente de quatorze ans devant son premier béguin, mais c’est un peu ça finalement. Elle est toute joyeuse parce qu’elle est là, seule avec le grand brun. Personne pour les écouter, personne pour les interrompre. Noah ne semble pas voir clair dans le jeu de la musicienne et pour le moment. Il ne perd pas ses habitudes de journaliste et l’interroge sur ses projets de l’été. Sa question sonne comme une interview. Il ne décroche jamais, comme elle avec la musique.

« Oui, avec mon ami Reid on va faire quelques scènes. Et j’en ai quelques unes en solo aussi. Je peux te passer les dates si jamais tu veux venir me voir. »

Propose-t-elle. C’est volontaire si elle lui propose de venir la voir et non les voir, Simon et elle. Elle espère qu’il notera au moins cette petite subtilité, sans en être sûre. Après tout, ça reste un homme. Avant qu’il ne lui pose une nouvelle question, elle prend les devants.

«  Mais assez parlé de moi, et si on échangeait les rôles cette fois ? Aujourd’hui, c’est moi la journaliste !

Alors, Noah, racontes moi tout ! Ca ne doit pas être facile de combiner ton boulot avec ta vie privée ! Qu’en pense ta petite amie ? (a) »

Noah adorait la bonne humeur coutumière de Spencer. Certes, il ne la connaissait certainement pas suffisamment pour la voir dans ses « mauvais jours », mais son sourire représentait à ses yeux une bouffée d’oxygène dans un monde de brutes et ce n’était pas un détail négligeable. Sa présence le rassérénait. Il approuva d’un hochement de la tête suite à ses propos. Bien sûr qu’il adorait son boulot. Il l’adorait vraiment. Au point d’en rêver même la nuit ! Alors oui, ça en valait la peine, se répéta-t-il mentalement. Spencer avait largement raison sur ce point. Il l’écouta attentivement parler de sa musique. Quand elle lui proposa de lui refiler quelques dates pour venir la voir en concert, son regard s’illumina.

« Bien sûr ! J’adorerais. C’est une excellente idée ! »

Rien ne valait de la voir dan le feu de l’action pour juger de ses compétences et, surtout, de son indéfectible talent. Car douée, elle l’était, indubitablement. Et Noah était heureux à l’idée d’être le premier à l’avoir découvert. Alors venir la voir en concert, qu’aurait-il pu souhaiter de mieux ? Ils marchèrent longtemps dans les rues de Shady Cove, sans autre but que celui de marcher côte à côte, de passer un bon moment tous les deux, loin du Journal.
Il fut légèrement décontenancé par la suite, Spencer décida d’échanger les rôles, au moins pour cette fois. Echanger les rôles ? Elle, devenir la journaliste et lui l’interviewé ? L’idée n’était pas déplaisante. La stupeur passée, il sourit, agréablement surpris, et accepta la situation. Cela pouvait être amusant !

« C’est la première fois qu’on me propose ça, mais… J’accepte. Tu vas peut-être te découvrir une passion pour le journalisme, toi aussi ? »

Il écouta ensuite sa question et son sourire s’effaça l’espace de quelques secondes. Elle attaquait fort et n’avait pas froid aux yeux ! Une nouvelle qualité qu’il lui découvrait. Parler d’une prétendue petite amie, il ne s’y attendait pas. En ce moment… c’était un peu plus compliqué entre lui et Lucy. Comme rien n’était officiel et qu’il ne savait plus trop où il en était, il choisit de jouer néanmoins la carte de la prudence et répondit :

« Pour l’instant, la question ne se pose pas ! Disons que je n’ai pas vraiment de petite amie… »

Voilà qui était fait, au moins. Il ne savait pas trop ce qu’attendait Spencer, si elle désirait obtenir des infos croustillantes à son sujet, et il avait peur de la décevoir. Mais parler de Lucy maintenant était bien trop tôt et il n’était pas prêt à évoquer cette affaire. Pour l’heure, il n’avait donc aucune relation officielle.

Volontairement, Spencer ne lui propose pas de venir la voir sur scène avec Reid mais bien seule. Pas qu'elle n'ait pas envie qu'il la voit jouer avec Simon, non, c'est pour une toute autre raison. Elle veut juste qu'il soit là pour elle, et uniquement pour elle. Elle aime le fait qu'il s'intéresse à sa carrière, à sa musique, à elle. Elle sait que c'est professionnel, pour lui, mais elle aimerait faire en sorte que ça change. Elle ignore encore comment. Un doux sourire déforme ses lèvres quand il se montre enthousiaste à l'idée de venir l'écouter.

« Je peux t'envoyer les dates par mail, ou par sms si tu préfères ! Mais je n'ai pas ton numéro (a) »

Ajoute-t-elle d'un air innocent. Elle tend la perche, espérant que celle-ci soit saisie. Elle est peut-être trop subtile mais elle marche un peu sur des oeufs. Elle ne sait pas trop comment intéresser Noah autrement que par sa musique. Elle aimerait qu'il puisse s'intéresser à sa personne autrement que comme une artiste sur laquelle on écrit des articles. Elle n'a pas non plus envie de perdre son intérêt pour son talent car ça lui rend bien service aussi qu'il parle d'elle. Toujours avec subtilité, elle décide d'échanger les rôles pour en savoir un peu plus sur lui et essayer de lui sous-tirer quelques informations.

Elle commence sans prendre de gants en abordant la question de la vie privée, savoir s'il a une petite amie ou non, car c'est surtout ça qui l'intéresse : savoir si elle a ses chances ou pas du tout, si tout son cinéma sert à quelque chose ! Très attentive, elle avale l'information. Il n'a pas vraiment de petite amie. Elle ne comprend pas trop. Soit il en a une, soit il n'en a pas.

« Tu n'as pas l'air très au courant (a) »

Lance-t-elle un peu taquine, espérant qu'il développe un peu. Savoir si c'est plutôt un début de relation pas encore officielle ou plutôt une fin de relation. Elle ne lui souhaite pas d'être sur une fin de relation, même si ça l'arrangerait bien, évidemment.

L’idée d’aller voir Spencer en concert ne dérangeait pas Noah, au contraire. Ce serait une occasion en or de découvrir sa façon de jouer et d’écrire un article sur une nouvelle facette de sa carrière musicale. Elle lui proposa ensuite de lui envoyer les dates par sms mais souligna qu’en effet, il ne lui avait pas donné son numéro perso. Noah esquissa un sourire en coin, plutôt amusé par la situation.

« Je vois. T’as de quoi noter ? »

Sans se départir de son sourire, le jeune homme lui communiqua son numéro de portable, conscient que c’était la première fois qu’il le donnait à quelqu’un en lien direct avec son job. Spencer ne lui en avait pas trop laissé le choix non plus ! Mais en règle générale, il utilisait directement la ligne du journal, ce qui était bien plus professionnel. Enfin bon, il connaissait Spencer, elle ne l’appellerait sûrement pas pour un rien et s’en servirait pour leurs échanges concernant sa carrière naissante.

Décidément, rien ne lui échappait ! Sur ce coup, elle n’avait pas tort, il avait l’impression de ne pas être plus au courant que ça. C’était sa vie et pourtant, elle lui échappait peu à peu. Il haussa les épaules et répondit, presque ironique :

« Non. Non, je n’ai pas de petite amie en ce moment. Désolé ne pas avoir de gros scoop à te fournir à ce sujet, mais ce n'et pas de ma faute ! »

C’était peut-être mieux comme ça, avec son boulot et le reste… Non, ce n’était pas mieux. Le jeune homme savait qu’il se réfugiait constamment derrière cette excuse pour fuir l’implacable réalité.

Subtilement, la musicienne tente une approche en proposant au journaliste de lui donner les prochaines dates auxquelles elle aura l'occasion de monter sur scène. Elle propose d'abord de lui envoyer par mail en soulignant le fait qu'elle ne possède pas son numéro de téléphone et que, de ce fait, elle ne peut les lui envoyer par texto. Elle ne s'attendait, pour tout dire, absolument pas à ce que cette technique soit payante. Et pourtant, contre toute attente, elle obtient le numéro de téléphone tant convoité. La musicienne sort son téléphone portable, tentant de cacher son excitation à l'idée de posséder le numéro de téléphone du journaliste le plus convoité (à ses yeux) de Shady Cove.

Spencer avec attention chaque chiffre de son numéro de téléphone avant d'enregistrer le contact, un grand sourire aux lèvres, contenant tout de même sa joie alors qu'elle a juste envie de sauter partout, heureuse d'avoir au moins réussi ça. Elle ne l'utilisera probablement que cette unique fois en lui envoyant les dates de ses prochaines performances scéniques, mais ce sera déjà une grande avancée pour elle. De quoi alimenter ses fantasmes pendant quelques jours (a).

Inversant les rôles, la jeune femme en profite pour en apprendre un peu plus sur Noah. Elle ne sait pas grand chose à son sujet et elle trouve cela dommage. A chaque fois qu'ils se voient, ils ne parlent que d'elle, de sa musique et de son talent. Ce ne sont que des discussions professionnelles. Mais la musicienne a décidé aujourd'hui d'inverser la tendance en l'interrogeant, jouant la journaliste.

« Ah, je vois. Je ne me fais pas de soucis pour toi, le célibat ne devrait pas planer sur toi bien longtemps ! »

Admet-elle dans un sourire à la fois amusé et très sincère. Elle trouve en effet qu'en plus d'avoir un physique intéressant, Noah étant un homme charmant, elle trouve qu'il a une personnalité tout à fait intéressante. C'est ce qui lui plait le plus chez lui, d'ailleurs. Elle est certaine de ne pas être la seule en ville à être sensible à sa personne, et elle trouve tout ça bien dommage (a).

« Et sinon,  dis moi, tu as des projets pour les vacances ? Enfin, rassures moi, tu t'arrêtes de bosser de temps en temps, hein ? »

Demande la jeune femme faussement inquiète. Noah est quelqu'un de très sérieux et très travailleur, il est difficile de l'imaginer autrement qu'en train de plancher sur un article. Elle espère pour lui qu'il lui arrive de se reposer de temps en temps.

Noah n’avait aucune arrière-pensée en communiquant son numéro de téléphone perso à Spencer. Peut-être parce qu’il était de bonne humeur, ou qu’il avait l’esprit ailleurs, mais pour lui, c’était beaucoup plus pratique pour discuter. Même quand il voudrait la voir pour une interview ou pour quoi que ce soit d’autre, échanger par portable, c’était bien plus facile. Et aujourd’hui, il se sentait plus détendu, sûrement parce qu’il n’avait aucune pression dans son job. Spencer jouait le rôle du journaliste à sa place et cela l’amusait vraiment d’être à la place de l’interviewé !

La jeune femme lui assura avec entrain qu’il ne devrait pas rester longtemps célibataire, et Noah répondit par un sourire un peu crispé. Ah, ça ! L’éternelle question. Le célibat lui pesait. Lui, maintenant qu’il était un jeune trentenaire avec un boulot stable, il commençait à vouloir se poser, fonder une famille, plus particulièrement. Il ne voulait pas faire comme ses parents. Mais pour l’instant, il n’avait pas rencontré la femme qui partageait la même conception de la vie que lui.

« On verra bien » se contenta-t-il de répondre. « Mais je t’avouerais que je ne suis pas aussi optimiste que toi ».

Il avait prononcé ces quelques mots d’un ton amusé, comme s’il n’y accordait que peu d’importance. Puis Spencer évoqua les vacances, et son cœur se serra en songeant que non, en règle générale, quand il disposait de vacances – un mot banni de son vocabulaire depuis longtemps – il allait rarement quelque part et se contentait de rester chez lui, à ne rien faire. Ou alors, il se rendait chez ses parents pour quelques jours. Mais là, en l’occurrence, il se sentit un peu stupide de devoir répondre à sa question.

« En fait… J’ai pas vraiment de projets pour mes futures vacances. Je n’y ai pas encore réfléchi. Mais si ça peut te rassurer, oui, il m’arrive de m’arrêter. Et même de manger et de boire, de temps en temps, comme tout être humain normalement constitué ! »

Parfois, il avait tellement de boulot qui s’amoncelait sur son bureau qu’il en oubliait de déjeuner et se contentait souvent d’un sandwich acheté à la boulangerie du coin. Oui, il avait vraiment besoin de vacances, mais travailler était devenu vital à ses yeux. Quand il ne bossait pas, il tournait tel un lion dans sa cage et ruminait sans savoir quoi faire.

Le célibat, c'est la question qui ne met pas toujours très à l'aise. Selon comment le ressentent les gens, il peut laisser place à des réactions très différentes en fonction des personnes. Spencer, elle, ne le vit pas mal, pas comme une honte comme pourraient le ressentir d'autres filles de son âge. Elle, elle a eut quelques copains, des histoires sérieuses, toujours, et elle doit bien avouer que, de temps en temps, se retrouver seule a du bon. Elle ne ressent pas le besoin d'être entourée constamment et d'être aimée sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle aime ça, bien sûr, mais s'isoler aussi, elle adore ça, elle est plus productive quand elle n'a pas la tête occupée par les 'soucis' de couple. Elle connait très peu Noah. En tout cas, pas personnellement, et c'est en partie pour cela qu'elle joue la journaliste. Elle veut savoir qui se cache derrière ce talentueux journaliste qu'elle fréquente depuis maintenant plusieurs mois, professionnellement parlant. Et comme elle est d'une curiosité tout à fait intéressée, elle ne peut s'empêcher de s'intéresser également à sa vie sentimentale qui, d'après ses dires, est plate en ce moment, de quoi donner de l'espoir à la musicienne (a).

« Les hommes...Vous avez beau nous trouver difficiles, nous les filles, et dire qu'on se rabaisse sans cesse mais vous n'êtes pas mieux ! (a) »

Lance-t-elle dans un rire. Il est vrai que les femmes ont tendance à voir le célibat comme un obstacle. Comme un miroir qui leur dit "tu es moche, personne ne t'aime, tu vas finir ta vie seule entourée de chats". Mais la preuve est que les hommes aussi peuvent, parfois, se comporter comme si le célibat était une sorte de malédiction qui nous tombe dessus et dont on ne connait ni la durée ni la manière de la conjurer.

Afin de changer de sujet, Spencer évoque les vacances. Elle se dit qu'avant aujourd'hui, elle n'a jamais vu Noah autre part que dans son bureau, entouré de paperasse, de notes et d'ébauches d'articles. Et même en étant dehors et en le découvrant pourtant beaucoup plus détendu, elle peine à l'imaginer sur une plage à décompresser ou dans un club de vacances à simplement profiter du temps libre qu'il a. Elle l'imagine plutôt avec un bloc note sous le coude, un stylo derrière l'oreille et un appareil photo autour du coup, des fois qu'une idée d'article lui tombe dessus. Ironiquement, elle en vient à lui demander s'il lui arrive de s'arrêter de bosser quelques fois, et sa réponse lui arrache un petit rire.

« Non, c'est vrai ? Oh...je suis un peu déçue, je pensais que tu étais un surhomme (a) »

Noah était plutôt du genre à privilégier les relations longues, dans lesquelles il pourrait s’investir du mieux possible. Il était bien loin, le temps de la vie étudiante où il n’aspirait qu’à une chose : être libre et sans engagement. Maintenant, le célibat commençait à peser sérieusement sur son moral. Pas au point de se laisser aller dans les bras de la première venue, non, au contraire. Mais il aurait aimé que ce soit moins difficile de ce côté-là. Il n’avait pas l’impression d’attirer beaucoup les femmes, ou peut-être était-ce tout simplement son boulot qui lui prenait trop de temps. Ou bien il était attiré par des femmes qui se fichaient bien de lui. Si seulement il avait eu une quelconque réponse à toutes ces questions ! Spencer, avec sa jeunesse et son innocence, l’amusait énormément tout en l’attendrissant. Il enviait cette candeur et cet enthousiasme dont elle faisait preuve.

« Tu as sans doute raison ! » répondit-il en souriant. « La prochaine fois, je ne ferai que des éloges à moi-même, ça fera sûrement plaisir à mon égo ! »

Ego déjà surdimensionné pour certaines choses, soit dit en passant, mais il se garda bien de l’évoquer. Spencer le flattait et il prenait toutes ses remarques sur le ton de la plaisanterie.

« Désolé de te décevoir, mais non, je suis juste un pauvre petit mortel comme tout le monde. Comment est-ce que tu me voyais ? Comme un super-héros qui sauverait la veuve et l’orphelin durant la nuit ? »

Une image totalement absurde flotta un temps dans son esprit, lui, couvert d’une combinaison moulante avec le slip par-dessus le pantalon, et volant au-dessus des immeubles pour secourir les innocents. Ça n’était pas son style. Il aurait au moins eu la décence de garder son costume-cravate pour sortir en ville.

« Et toi alors ? » demanda-t-il soudain. « Tu n’as personne dans ta vie ? Personne pour te soutenir dans le monde de la musique ? »

Cela l’intéressait, puisqu’il n’avait pas souvent l’occasion d’aborder la vie privée de la jeune musicienne, se contentant de sa vie « professionnelle ». Spencer devait sûrement avoir du succès auprès des autres étudiants de son âge, et commençait à être célèbre. Elle n’avait sans doute aucun mal dans ce domaine !

Savoir Noah libre de tout engagement amoureux fait forcément plaisir à la musicienne. Ca ne lui dit pas pour autant si elle a ses chances avec le journaliste mais elle ne va peut-être pas lui sauter dessus tout de suite pour connaître la réponse. Elle espère d’abord en savoir un peu plus sur lui et gagner des points avant de tout foirer bêtement. Acquiesçant dans un rire, la jeune femme ne dément pas. Parfois, ça ne fait pas de mal de s’envoyer quelques fleurs, tant que ça reste modéré ! Quand personne ne le fait, le proverbe a raison en disant qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, même lorsqu’il s’agit de flatter son égo.

« Fais quand même attention aux chevilles, ça peut vite gonfler quand on a pas l’habitude ! »

Lui conseille-t-elle en continuant de rire. Elle n’a jamais vraiment compris cette expression d’ailleurs. Quel rapport entre l’égo et les chevilles ? Qu’on parle de la tête, encore, ça pourrait se comprendre, mais les chevilles, franchement ! Spencer s’imagine toujours avoir les chevilles qui gonflent quand elle se flatte un peu trop l’égo et l’image est parfois à mourir de rire. Elle imagine avoir des ballons de baudruche à la place des pieds. Des ballons colorés qui l’empêchent de marcher. Etrange.

« Oui, quelque chose dans le genre ! La plupart des super-héros sont, de près ou de loin liés au journalisme ! Je t’imagine plutôt bien dans le costume de spider-man ! »

Lance-t-elle avant de se remettre à rire. Si c’était le cas, elle serait bien capable de se réconcilier avec les araignées (a). Mais malheureusement, enfin, pas qu’elle sache, il n’est pas ami de ces bestioles et ne se balade pas de building en building – faut dire qu’à Shady Cove c’est difficile quand on sait que le plus grand bâtiment ne doit pas faire plus de 6 étages – au bout d’une toile. Pourtant c’est dommage, Noah dans un costume moulant, elle demande à voir.

« Oh si, du soutien, j’en ai ! Mais parfois j’aimerai bien qu’on s’intéresse plus à moi qu’à mon talent. »

Noah et Spencer partageaient au moins un humour semblable, ce que le journaliste ignorait avant cette conversation entre eux. Comme quoi ! Il connaissait d’elle sa musique, rien d’autre. Et maintenant qu’il entrapercevait les contours de son caractère, même si ce n’était pour l’heure qu’une ébauche, il était de plus en plus heureux de la connaître. Certes, Spencer était bien plus jeune et ne devait donc pas avoir les mêmes centres d’intérêts que lui, mais cela lui faisait du bien de discuter avec des personnes plus jeunes. Lui, le journaliste ambitieux et posé, se répétait sans cesse qu’il avait grand besoin de se dérider un peu. Poursuivant sur un ton tout aussi malicieux, il répondit :

« Qui t’a dit que je n’avais pas l’habitude ? »

A bien des égards, le jeune homme pouvait paraître sûr de lui, à la limite de l’arrogance, surtout concernant le plan professionnel. Bien sûr, la plupart du temps, il ne se prenait pas au sérieux et était connu dans le milieu pour se moquer de tout, surtout de lui-même. Ainsi, même si elle plaisantait sûrement, Spencer le considérait un peu comme un super-héros ! L’idée était intéressante. Ça aurait pu être sympa, de disposer de superpouvoirs pour sauver le monde. Un peu éreintant, mais sympa.

« Spiderman ? Je m’attendais à pire. Je pourrais presque m’en sentir flatté… Mais les araignées, c’est pas trop mon truc ».

Et les chauves-souris encore moins, enfin bon. Quand il était jeune, il adorait l’univers des super-héros, en réalité. N’ayant pas grand-chose à faire, il se plongeait avec délice dans les bandes dessinées, dans ce monde fictif où tout était possible. Et évidemment, comme tout gamin, il imaginait être une espèce d’héros caché, qui sauverait la planète quotidiennement en se battant contre des armoires à glace en costume-cravate. Alors qu’il était à la limite de s’évanouir quand il fallait affronter des gosses de huit ans sur le terrain de foot.

« Allez Spencer, je suis sûr qu’il y a un tas de gens qui s’intéressent à toi sans se soucier de ta musique. La moitié de ta fac doit savoir que t’es géniale, et pas seulement grâce à ton talent ».

Il lui adressa un sourire bienveillant, conscient du compliment qu’il venait de lui faire. Après tout, elle avait aussi besoin d’entendre ça. Le journaliste était persuadé que, même si elle l’ignorait, un tas d’étudiants de son âge devaient l’admirer et l’apprécier pour sa personne.

Il est difficile pour Spencer d’imaginer Noah en flambeur. Elle le voit comme quelqu’un de très (peut-être trop) sérieux mais surtout, quelqu’un de très modeste. Elle ne l’a jamais entendu jusqu’à aujourd’hui se lancer des fleurs mais, en y réfléchissant bien, il est vrai qu’elle ne lui a parlé que dans le contexte professionnel lorsqu’il lui posait des questions en vue d’un article. Avant aujourd’hui, ils ne parlaient pas d’autre chose, ils n’avaient aucune discussion personnelle. La musicienne est ravie que les choses aient changées, elle se dit que le journaliste la voit enfin comme autre chose qu’une musicienne talentueuse mais pour la jeune femme qu’elle est. Elle est d’autant plus ravie de voir qu’il n’a pas l’air d’être malheureux, à papoter en sa compagnie. Naïvement, elle se dit qu’elle gagne quelques points.

« J’ai un peu de mal à y croire ! »

Répond-t-elle, honnête, en souriant. C’est vrai, elle ne le voit pas comme une personne arrogante à se croire le meilleur dans tous les domaines. Eventuellement, elle ne peut l’imaginer comme tel que dans le contexte actuel : pour déconner, quoi. Mais sérieusement, non, elle ne pense pas une seconde qu’il soit de ce genre. Peut-être se trompe-t-elle. Elle ne connait pratiquement rien de lui et, encore aujourd’hui, elle n’en sait pas beaucoup plus mais reste persuadée que c’est sur la bonne voie. Elle est du genre optimiste, la petite.

« Hm. A la réflexion, nan, pas spiderman ! Les araignées c’est dégueu ! »

Affirme-t-elle. C’est quand même en regardant les araignées et la plupart des bestioles ingrates qu’elle se dit que la nature a vraiment merdé le jour où elle a inventé ces machins. Sérieusement, on ne se porterait pas plus mal s’il n’y avait pas les araignées et autres insectes répugnants sur terre. Elle n’en est pas phobique, mais elle en a tout de même horreur. C’est visuel ! Elle trouve ça moche, dégueulasse. Bref, pour rien au monde elle ne se mettrait à apprécier ces bêtes là !

Un sourire flattée et presque timide s’étend sur les lèvres de la jeune femme. Encore un peu et elle se mettait à rougir. Noah vient de lui faire un magnifique compliment. Elle ne sait pas trop ce qu’il veut dire par là, si elle peut espérer même un minuscule sous-entendu, mais ces mots sonnent tellement bien de sa bouche à lui ! S’il savait ! Elle se fiche bien qu’un tas de personne puissent l’aimer (autrement que pour son talent), elle n’attend de l’attention que d’une seule personne. Lui.

« C’est gentil. »

Répond-t-elle simplement, vraiment très flattée par ses mots.

Visiblement, Spencer avait mieux cerné Noah qu’il ne l’avait cru ! Elle ne le pensait certainement pas arrogant comme il essayait de le faire croire. Evidemment, il plaisantait. Même si, comme tout le monde, il arrivait à ses chevilles de gonfler plus que de raison, notamment au niveau de son job, il n’était pas du genre à étaler ses prouesses devant tout le monde. Seulement de temps en temps, quand ça valait le coup. Le journaliste n’était pas mécontent de cette conversation qui sortait des chantiers battus, et espérait bien que ce ne serait pas la dernière entre eux. Il n’avait toujours songé à Spencer que pour sa musique, et il serait peut-être un jour le premier à l’avoir découvert, mais aujourd’hui, il avait découvert un autre pan de la personnalité de la jeune femme et ce n’était pas déplaisant ! Il se mit à rire quand elle répondit que non, il n’était pas fait pour être Spiderman, et rétorqua :

« Si ça se trouve, en fait, c’est toi le super-héroïne qui doit sauver le monde, et pas moi. Je te verrais bien en Catwoman, non ? Sauf si t’es allergique aux chats, évidemment ».

Il imagina Spencer avec des oreilles pointues et des moustaches et un sourire amusé éclaira son visage. Décidément, ils formaient la paire. Au moins, ils pourraient aller combattre les super-méchants ensemble, ce qui n’était pas un détail négligeable.

« Je le pense vraiment » assura-t-il avec sympathie. Il jeta un rapide coup d’œil à sa montre puis fronça les sourcils. « Bon sang… J’ai encore beaucoup de boulot qui m’attend, je suis désolé, Spencer. Tu m’envoies un message pour tes concerts ? J’adorerais venir ».

Il lui sourit gentiment et songea qu’il aurait largement préféré rester ici en sa compagnie pour discuter de tout et de rien, plutôt que de s’attaquer à la pile de choses qui lui restait encore à faire sur son bureau. Mais bon, il aurait bien le loisir de la revoir, sur scène ou ailleurs, et ne s’inquiétait donc pas pour ça. Au contraire, il était même impatient à l’idée d’assister à un de ses concerts ou de prendre un café avec elle.

« En tout cas, j’ai vraiment été ravi de discuter avec toi aujourd’hui… Si jamais tu veux encore m’interviewer un de ces jours, n’hésite pas ! »

Spencer est ravie de ce moment passé avec le journaliste. Ils n'avaient jusqu'à aujourd'hui jamais eut de discussion de ce genre. Auparavant, ils ne parlaient que d'elle, de son talent, de sa musique...En fait, Noah ne s'intéressait pas à sa personne, il ne s'intéressait pas à la jeune femme qu'elle peut être en dehors de sa musique. Mais elle est fière d'avoir réussi à faire de cette conversation quelque chose de moins officiel, de plus léger et plus personnel. C'était son objectif. Elle voulait qu'il la voit autrement qu'une musicienne et plus comme une jeune femme ordinaire.

« Non, j'adore les chats ! Mais quitte à être un super-héro, j'aimerai avoir des supers-pouvoirs. Y'a pas énormément de choix niveau fille, du coup je me vois plus en Wonder  Woman ! »

Lance-t-elle en rigolant. Elle note tout de même que Noah la voit en Catwoman, qui est quand même un symbole dans le genre sexy. C'est un très beau compliment qu'il vient de lui faire, même si elle n'est pas persuadée que c'était dit dans ce sens là. Un peu déçue que Noah soit obligé de partir maintenant, elle sourit, essayant de cacher sa déception. Elle a l'impression de n'avoir passé que cinq minutes avec le journaliste. Mais c'était des minutes vraiment spéciales.

« Oui, d'accord, je t'envoi ça ! »

Son idée était vraiment bonne, finalement. Elle avait peur qu'il refuse de s'écarter de son objectif. Mais il a accepté de faire en sorte que leur discussion n'ait rien de professionnel, et il semble en être ravi. Elle se dit qu'elle a gagné des points aujourd'hui et qu'il la voit différemment maintenant.

« C'était cool, j'ai bien aimé aussi ! Si toi aussi tu as envie de discuter ou d'aller boire un verre après une dure journée de boulot n'hésites pas ! »

Propose-t-elle avec un tas d'idées derrière la tête. Elle espère vraiment qu'il va la rappeler pour l'emmener boire un verre un de ces quatre, histoire de partager un nouvel instant comme celui-ci.

« Bon courage pour ta tonne de boulot ! »

Lance-t-elle, encourageante en s'arrêtant devant les bureaux du journal. Elle n'a pas envie de s'en aller, mais il le faut bien. Noah a du boulot, et elle, elle a aussi des tas de choses à faire.

Scène Terminée