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Il se tenait là, marchant à pas lents dans la rue vide d'un matin d'hiver, sa cigarette à la main et son écharpe grosses mailles au cou. Ses pas résonnaient d'un bout à l'autre de la grande avenue bordée d'arbres de Noël clignotants. Le brouillard commençait à peine à se dissiper, lorsque l'autobus arriva enfin. Sa valise à la main, il écrasa machinalement sa cigarette contre le petit muret, la laissa tomber et monta dans le grand bus jaune où le temps avait fait son œuvre. Il prit place dans un siège dont le revêtement avait perdu la moitié de ses couleurs d'origine et sortit immédiatement ce livre de poche aux pages cornées de sa valise. Mark savait qu'à cet instant, il quittait sa ville natale. L'école, la petite boulangerie, l'auberge, le bar-tabac dans lequel régnait une si étrange atmosphère, tout allait lui manquer ici. Mais il fallait partir : il n'y avait malheureusement aucune perspective pour un jeune de son âge dans ce si petit village où il faisait pourtant bon vivre.

Il s'était endormi, bercé par les légères secousses de l'autobus qui devait le mener à Shady Cove. Il avait déjà visité son logement là-bas : une charmante petite maison, avec une chambre, une salle de bain spacieuse, une petite cuisine équipée et un salon dans lequel il prévoyait déjà d'installer son gros fauteuil chesterfield en cuir rouge que son père avait acheté pour lui dans un vide-grenier. Ah, ses parents. Ils s'étaient rencontrés près de la frontière canadienne. Zach était américain et travaillait pour une firme multinationale qui transportait de la farine dans le continent américain tout entier. Il avait décidé d'entrer rapidement dans la vie active, sans faire d'études après le lycée. Alors il conduisait ce gigantesque camion où s'entassaient à son bord les paquets de farine. Emma, elle, était canadienne. Professeure d'histoire ambitieuse, elle avait décidé de quitter le ménage de ses chers parents, traverser la frontière entre le Canada et les États-Unis pour aller enseigner dans le pays de la liberté. L'avenir prometteur qu'elle s'était destiné n'envisageait ni mari ni enfants, avec pour seule compagnie des fétiches africains posés en rang sur sa cheminée fumante. Mais le destin n'en avait pas décidé ainsi. Emma, à bord de sa petite voiture rafistolée, se retrouva en panne d'essence. Elle avait réussi à pousser sa petite carriole jusqu'à une station service et attendait désespérément son sauveur. Et c'est bien connu, tous les camionneurs s'arrêtent à une station service, histoire de se reposer un peu et de boire un grand verre de bière. C'est ce qui se produisit et Emma repartit à bord du camion de Zach.

Mark naquit de ce couple amoureux. Il étudia avec un goût très prononcé pour la langue française et l'histoire. Son père était souvent parti sur les routes américaines pour livrer ses fameux paquets de farine et sa mère travaillait dans l'école primaire du coin. Mark vécut le lycée comme les plus belles années de sa vie. Il obtint son diplôme haut la main et s'inscrivit dans une école de commerce. Il apprit les bases de la vente, de la publicité et de l'économie et décida qu'il était temps de travailler.

Il se réveilla en sursaut. Le bus était à l'arrêt. Ils passaient de l'état de Washington à l'état de l'Oregon, le "Beaver State". Il sortit en hâte son passeport et descendit du bus avec sa valise. Il croisa le chauffeur à l'entrée du bâtiment de contrôle et lui lança : « Vous auriez quand même pu m'réveiller ! ». Il entra. Il profita de la fille d'attente pour jeter un œil aux télévisions dans les coins du bâtiment. C'était un match de football américain ! Il adorait ce sport. Il n'y avait jamais joué, mais il se souvenait des matchs organisés au lycée, avec leur ambiance spéciale digne d'une fête nationale, où tous les élèves venaient supporter leur équipe favorite. Son tour arriva. Il présenta son passeport et l'agent le tamponna en inscrivant au stylo plume « STATE OF OREGON - 28^th DECEMBER 2011 ».

Arrivé à Shady Cove, il remercia brièvement le conducteur de l'autobus et posa le pied dans la ville où il allait vivre. Après quelques minutes à chercher la rue où se trouvait sa petite maison, il entra la clé dans la serrure et poussa cette grosse porte de bois foncé. Ses meubles avaient été livrés par les déménageurs, il n'avait plus qu'à emménager. Ses affaires déposées, il alla chercher quelques provisions à l'épicerie du coin. Il déposa aussi son curriculum vitae au café et au salon de thé. Quelques jours plus tard, il fut contacté par ce dernier et commença à travailler en tant que vendeur. Les parfums dans ce petit salon étaient introuvables ailleurs. L'arôme du thé et les senteurs de pâtisseries du « Cup of tea » l'émerveillaient et il prenait un grand plaisir à conseiller les clients sur les différentes boissons et les petites mignardises.

Côté cœur, il n'avait pas encore trouvé chaussure à son pied, ici comme dans son petit village natal dans l'état de Washington. C'est vrai qu'il était difficile en amour. Néanmoins, quelques demoiselles l'intriguaient à Shady Cove et il ne tarderait pas à faire plus ample connaissance avec elles. Toutes ses tentatives amoureuses avaient échouées. La belle Sara de son lycée l'avait rejeté sèchement, tout comme Angie la fleuriste ou Amanda, qui lisait toujours les journaux devant un bon gros mug de café noir sans sucre. Tout ça, il préfère le garder secret, de peur d'effrayer les autres demoiselles. Son père le qualifie à juste titre de célibataire endurci.

Enfin, il pensait être plutôt tranquille à Shady Cove. Cette petite ville charmante, avec cette rivière qui traversait toute la ville, lui plaisait réellement. Il essaierait de laisser son emprunte dans ce village du sud de l'Oregon.