L’idée ne l’emballait pas plus que ça. Rédiger un article sur le poste de police de la ville, soit. Mais devoir s’y rendre pour interviewer le shérif et quelques policiers travaillant là, c’était une autre paire de manches. N’ayant pas réussi à déléguer cette tâche, Noah s’était résolu à l’exécuter, même si cela ne le réjouissait pas. Non pas qu’il ne désirait pas faire son job, au contraire. Mais il risquait de croiser Lucy Nelson et l’idée lui était tout bonnement insupportable. Depuis leur rupture, quelques mois auparavant, il s’était toujours arrangé pour ne pas la croiser, pour ne se retrouver par-hasard sur son chemin. Conduite certes lâche qui ne lui ressemblait guère, mais il avait tant souffert après son départ qu’il ne prenait aucun risque. Il se rassurait tant bien que mal en se disant qu’aujourd’hui, elle serait probablement sur le terrain, ou bien même en congés, et pas en train de se morfondre au fond du poste de police. Le risque qu’il la croise était infime. Le beau visage de Lucy demeurait inscrit dans sa mémoire. Qu’il le veuille ou non, elle faisait désormais partie de son passé, de son histoire, et resterait probablement sa plus belle cicatrice.
Mais il était un journaliste compétent, ambitieux et professionnel avant toute chose. Il ne laisserait personne, ni même un amour passé et désormais révolu, se mettre en travers de son chemin. Du moins l’espérait-il.

Il s’engagea avec un entrain modéré à l’intérieur du poste de police, salua quelques agents qu’il connaissait plus ou moins – de toute manière, la plupart des habitants de Shady Cove connaissait le journaliste Noah Clarke – et s’immobilisa un instant dans l’embrasure de la porte, indécis. Les hommes s’affairaient autour de lui, se hélaient, et on aurait dit une ruche bourdonnante. Noah apprécia cette idée. Finalement, n’ayant pas toute la journée, il demanda à voir le shérif, mais on lui expliqua qu’hélas, il avait été appelé pour une affaire urgente et qu’il ne pourrait le recevoir aujourd’hui. Le journaliste poussa un soupir exaspéré mais son interlocuteur continua sur sa lancée.

« Il a laissé une note à votre attention, il ne voulait pas que vous repartiez les mains vides, alors il a chargé quelqu’un de répondre à toutes vos questions, il a dit que ce sera tout aussi intéressant. Vous pouvez attendre dans ce bureau… »

Noah le remercia avant de se diriger dans la direction indiquée, une petite pièce rectangulaire qui ne payait pas de mine. Il devrait donc se contenter du témoignage de l’un des membres de sa brigade. C’était le problème des journalistes, toujours improviser au moindre pépin, prévoir plus de questions au cas où. Néanmoins habitué, Noah ne craignait pas de devoir envisager une autre approche à l’interview. Mais il se demandait néanmoins qui le shérif avait dégotté pour le remplacer. Encore un type trop heureux d’être interviewé qui serait profondément barbant, à coup sûr ! Un peu contrarié par ce retournement de situation, il s’installa derrière le bureau, s’enfonça dans le fauteuil et sortit son matériel de base, qui le suivait partout ; un dictaphone pour enregistrer les propos de son interlocuteur, un bloc pour la prise de notes et quelques stylos. Rien de tel pour conduire une bonne interview. En attendant, il espérait que son contact ne le ferait pas trop attendre…

Lucy n'était pas connue pour être ce genre de fille facile, connue pour avoir énormément d'amants ou même de petits amis. Il faut dire que les fois où on l'avait vu avec un homme devaient sans doute se compter sur les doigts d'une main et que même si ce sont des hommes avec qui elle a essayé de vivre une expérience sérieuse, cela se terminait en aventure presque sans lendemain dans sa tête. Elle n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'elle devait dépendre de quelqu'un, raconter chaque jour ce qu'elle avait fait lors de sa journée de boulot, terminer chaque soir avec la même personne... Il lui fallait son indépendance et elle n'arrivait pas encore à trouver cet « objectif » dans les relations « amoureuses » qu'elle avait commencé.
Se sentant obligée d'utiliser le fameux « ça n'est pas de ta faute, c'est moi, je ne suis pas normale » ou encore le « tu mérites mieux », cela ne marchait sans doute pas en sa faveur mais cela faisait pourtant partie des phrases qu'elle pensait réellement. Il n'y avait aucun reproche à faire à la personne qui se trouvait être son compagnon, juste qu'elle ne recherchait pas les mêmes choses que lui... Et ça avait été le cas avec Noah Clarke.

Lucy aurait bien aimé garder quelqu'un comme Noah dans ses amis mais elle avait vu dans ses yeux, au moment où elle lui avait dit que c'était fini, que cela ne serait pas envisageable pour lui. Tant pis. Elle n'allait pas pouvoir rester avec lui juste parce qu'elle avait trouvé ça dommage de briser des liens qui les unissaient. La policière avait mit fin à cette histoire et voyait bien qu'il faisait de son mieux pour l'éviter dès qu'il le pouvait. Elle ne l'en blâmait pas et l'avait laissé faire... Jusqu'à aujourd'hui, mais c'était un cas particulier, elle ne pouvait rien y faire.

C'était une de ces journées où elle n'avait rien d'autre à faire que de remplir des papiers sur les enquêtes passées. Des rapports, des comptes rendus. Ça n'était franchement pas son truc, elle détestait faire ça mais cela faisait partie de son travail... Elle fut ravie de voir que l'on vint la déranger dans son bureau mais se retrouva sceptique quand on lui demanda une « faveur pour le boss ». Le shérif était absent aujourd'hui alors qu'il se devait de répondre à un journaliste. Lorsqu'elle entendit ce mot, « journaliste », elle pensa directement à Noah. Elle avait beau ne pas avoir vécu cette relation à 100%, elle savait tout de même ce qu'il faisait dans la vie et qu'il adorait ce métier... Et que si il était là aujourd'hui, il était soit venu à reculons, soit pas au courant de ce qui allait lui tomber sur le coin du nez.

Le cœur un peu à vrac à l'idée de devoir parler avec lui alors qu'ils ne s'étaient pas adressé la parole depuis ce fameux jour, Lucy savait qu'elle devait se conduire en professionnelle. Ça n'était pas une visite de courtoisie ; il venait pour le boulot ! Alors, après avoir bouclé son dernier rapport d'enquête, elle entra dans la pièce dans laquelle son ex petit ami était déjà installé. Elle poussa un léger soupir et vint, la main tendue vers lui.

Bonjour, c'est pour l'interview..

Alors qu’il était plongé dans ses papiers pour vérifier une ultime fois les questions à poser, et pestant toujours mentalement à l’idée qu’il ne pourrait interviewer le shérif, une voix sortit Noah de sa torpeur. Une voix familière. Trop familière. Il se figea et leva immédiatement les yeux, stupéfait. Et pourtant, c’était bien elle, Lucy, celle qu’il avait autrefois aimé et qui l’avait si injustement lâché. Il entrouvrit la bouche sous le coup de la surprise et la dévisagea comme s’il s’agissait d’un affreux mutant et non pas seulement de son ancienne petite amie. Depuis le jour fatidique de leur rupture, Noah avait refusé tout bonnement de lui adresser la parole, et peut-être que Lucy ne voulait pas non plus entendre parler de lui – cela, il l’ignorait.

Fidèle à elle-même, habillée de sa façon habituelle, elle arborait une mine neutre, sans un sourire, mais un visage avant tout professionnel. Lui ressemblait plutôt à un poisson hors de l’eau. Certes, il avait évoqué la possibilité de la croiser dans les couloirs de la petite bâtisse, mais jamais il n’aurait cru qu’elle remplacerait le shérif pour faire cette interview. Dévisageant sa main tendue, il l’observa comme si elle pouvait la mordre, mais refusa néanmoins de la serrer. Encore trop sous le choc de la revoir. Il se contenta de rester en retrait, froid comme souvent. Et pourtant, plus que jamais, il la trouva absolument magnifique. Plus belle encore que d’habitude. Et d’un seul coup, tous leurs souvenirs communs remontèrent à la surface.

« Qu’est-ce que tu fabriques ici ? » s’exclama-t-il avec vigueur, une fois remis de ses émotions.

Evidemment, la réponse semblait évidente. Interroger une femme flic serait sans doute une expérience très enrichissante, un excellent témoignage à ramener au journal, mais… Pas cette femme-là. Pas elle. Malgré tout son professionnalisme et sa bonne volonté, il ignorait s’il serait capable de garder son sang-froid, sa neutralité obligatoire. Comment pourrait-il rester objectif dans ces circonstances ?

Il toussota, gêné, décidé à ne pas se laisser déstabiliser. Même s’il aurait nettement préféré reporter l’interview, il inspira profondément et remit ses affaires dans l’ordre, avant de lui désigner le fauteuil pour s’assoir. C’était un bon journaliste. Il essaya du moins de s’en convaincre.

Lucy ne savait pas tellement comment il fallait qu'elle réagisse. Déjà, elle se doutait que le journaliste, ça allait être lui. Une sorte de sixième sens qui lui avait dit « avec le bol que t'as, tu tombera forcément sur Noah, le seul journaliste que tu connaisses ». A nouveau, elle se sentait comme dans ces films aux scénarios trop prévisibles. Tandis qu'elle entre dans la salle et qu'elle explique immédiatement la raison de sa venue, elle voit les yeux du jeune homme s'agrandir et sent que la journée ne va pas être des plus joyeuses. Lucy appréhende énormément de discuter avec son ex petit ami, même si ça n'est que d'un point de vue professionnel...

Depuis la rupture, ces deux là ne se sont pas reparlés. Lucy pouvait parfaitement comprendre le point de vue de Noah la concernant ; elle lui avait fait de mal, un peu comme si elle s'était moquée de ses sentiments, mais pour elle, ça n'était pas du tout ça. Elle avait essayé et ça n'avait pas marché. Être en couple, ça n'est pas son truc, c'est tout... Quand elle entre dans la pièce, elle déglutit. Elle ne sait pas trop comment elle doit réagir en sa compagnie. Elle a peur de sourire, ne voulant pas qu'il croit qu'elle se moque de lui. Elle ne va pas non plus faire la tête, alors, elle arbore un visage neutre et lui tend la main comme si il était n'importe quel autre journaliste, même si ça n'est pas le cas.

Lorsqu'elle l'entend presque crier pour lui demander ce qu'elle fait ici, la policière comprend que la poignée de main, ça n'est pas pour maintenant alors, elle la frotte contre son pantalon et se retrouve les bras ballants le long de son corps. Puis, elle le regarde brièvement pour voir si il la regarde toujours, ne sachant pas quoi lui répondre. Elle qui est si directe d'habitude, si franche, un peu vulgaire parfois, elle est dans ses petits souliers devant le journaliste...

Il finit tout de même par lui faire un signe de la main, par rassembler ses esprits sans doute, pour devenir un minimum professionnel , afin qu'elle vienne s'asseoir face à lui. Encore une expérience qui risque d'être n peu compliquée. Après hésitation, Lucy s’exécute donc et pousse un léger soupir...

Malgré son professionnalisme et son calme apparent, Noah aurait largement préféré rester au Journal plutôt que de se trouver là, en face de son ex-petite amie ! S’il en avait eu l’occasion, il se serait éclipsé poliment et aurait appelé sa collègue, Avery Woods, pour prendre le relais. Mais hélas, il n’avait pas le choix ; il lui faudrait donc endurer cette épreuve en serrant les dents. Et s’empêcher de lui hurler tout ce qu’il avait sur le cœur, puisqu’après leur rupture, ils ne s’étaient pour ainsi dire jamais véritablement expliqués. Seulement quelques mots furieux, quelques incompréhensions, rien de plus. Les souvenirs remontèrent à la surface.

Heureusement, Lucy s’installa sans rechigner et il s’installa sur le fauteuil en face d’elle, vérifiant une ultime fois tout son matériel. Il cherchait déjà les questions qu’il pourrait poser à une femme flic, en s’efforçant de garder l’air détaché qui le caractérisait. Dur d’improviser ou même de mener une interview dans de telles conditions, cela dit.

« Alors, hum… Mlle Nelson. Je ne pense pas que les présentations soient nécessaires, alors entrons directement dans le vif du sujet ».

Il tendit le bras pour allumer le dictaphone, tout en gardant les yeux rivés sur son bloc-notes. Croiser le regard de Lucy lui paraissait une épreuve insurmontable. De nouveau, il inspira profondément, pour se donner du courage. Bon sang ce qu’il pouvait détester ce genre de scènes. Et dire qu’il croyait que jamais cela ne lui arriverait. S’accrocher désespérément à une femme et en ressortir avec le cœur en lambeaux. Au lendemain de sa rupture, il s’était promis de ne plus jamais recommencer, mais se connaissant, il était bien incapable de ne pas s’investir dans une relation, de ne pas tomber éperdument amoureux de sa copine.

« Tout d’abord, depuis combien de temps travaillez-vous ici, à Shady Cove ? »

Il se tenait prêt à noter les réponses, de toute façon un peu ailleurs – au moins, il en apprendrait davantage sur la vie de Lucy, ce qui n’était pas négligeable. Mais en avait-il seulement besoin ?

Lucy savait que ça ne devait pas être chose facile pour Noah de venir au poste de police pour le journal, devoir interviewé le shérif et au final se retrouver avec un « cas particulier » du poste, en la personne de son ex petite amie. Si elle avait pu, elle aussi aurait fait en sorte de rester à l'écart, histoire de ne pas blesser d'avantage Noah. Même si c'est elle qui a mi fin à cette relation, elle ne se sent pas encore prête à l'affronter pour lui expliquer ce qui n'allait pas pour qu'elle dise « stop » et pourtant, elle est dans l'obligation de lui faire face, juste par pur professionnalisme. Voulant agir dans ce seul but au début, elle se retrouve très rapidement assaillit et assommer par la culpabilité. Elle voit à quel point le journaliste a souffert et souffre encore de cette rupture et cela ne lui plaît pas beaucoup de savoir que c'est à cause d'elle...

Quand il prend la parole, l'appelant « Mlle Nelson » et qu'il ajoute qu'il n'y a pas besoin de faire les présentations, elle sent un frisson la parcourir. Elle remarque bien évidemment qu'il est un peu... Agressif. Il n'a pas envie d'être là, c'est compréhensible, et le lui montre sans y aller par quatre chemin.

Lucy avait passé un bon moment quand elle était en couple avec Noah. Le problème n'était pas là. Juste qu'elle n'arrivait pas à cerner les principes du couple, et qu'elle n'arrivait pas non plus à se considérer en tant que « prise ». Il est très difficile pour elle de se dire « Voilà, « je » est devenu un « nous » et maintenant, si je dois prendre une décision assez importante, je me dois d'en faire part au « nous » parce que c'est comme ça que ça marche ». Se frottant la nuque, la policière attend la fin de l'interview avec impatience. Elle sent déjà un poids sur ses épaules, et cela ne lui plait pas du tout.

Cela doit faire environ trois ou quatre ans que je suis officier de police. En fait, j'ai l'impression d'y être depuis toujours.

Explique t elle alors, sans oser regarder Noah de son côté. Non seulement parce qu'elle ne réussissait pas à affronter son regard, mais aussi parce que sans le regarder, elle pouvait s'imaginer qu'il s'agissait de quelqu'un d'autre!... Mais bon, la voix du jeune homme, elle la connaissait bien et l'exercice était assez difficile...

Noah ne pouvait s’empêcher d’en être reconnaissant, Lucy faisait preuve d’un professionnalisme exemplaire. Lui essayait de l’imiter, même s’il avait bien plus de difficultés à garder une mine impassible devant celle qui lui avait littéralement brisé le cœur. On croirait entendre une fille et pourtant, Noah était un véritable romantique dans l’âme. Et bon sang, qu’est-ce qu’il l’avait aimé, il y a des mois de ça. Et encore aujourd’hui, il la trouvait resplendissante. Son cœur tambourinait contre sa poitrine. A ses yeux, il n’existait aucune torture psychologique pire que celle-là.

« Bien » répondit-il en s’empressant de griffonner la réponse de la jeune femme sur son précieux calepin.

Il ne leva pas les yeux, les gardant rivés sur les mots qu’il inscrivait. Il faut dire aussi que Lucy n’osait pas non plus le regarder. Quelle curieuse interview, durant laquelle aucun des deux protagonistes n’osait croiser le regard de l’autre ! Il inspira profondément, prêt à poser une nouvelle question, futile et insignifiante pour lui.

« Trois ou quatre ans, donc. Et comment votre intégration s’est-elle déroulée ? Il s’agit d’un monde d’hommes, et ils ne devaient pas être enchantés à l’idée de voir une femme, n’est-ce pas ? »

Bon, certes, il existait un détail non négligeable : une très jolie femme. Et cela changeait complètement la donne. Noah se devait de poser la question, surtout pour lui. Rien que l’idée d’imaginer Lucy au milieu de tous ces types faisait naître un sentiment qu’il croyait pourtant absent ; une once de jalousie. Il enviait ces flics qui la voyaient tous les jours, il enviait ses amis, il enviait absolument tout son univers. Curieux paradoxe quand on savait que c’était lui, Noah Clarke, qui avait délibérément refusé de croiser la route de son ex depuis leur rupture !

[Ton Kit est trop miaou ]

Même si ça n'était pas facile, Lucy faisait en sorte de voir Noah uniquement comme un journaliste qui venait l'interviewer et non pas comme son ex petit ami à qui elle avait briser le cœur... ça n'était pas aussi facile que l'expression de son visage pouvait le laisser paraître : elle sentait son cœur s'accélérer dès qu'il s'adressait à elle et lui en était presque reconnaissant de le voir ne pas la regarder dans les yeux. Elle gardait le visage bas, se contentait de regarder dans le vide, se demandait tout de même à quoi il pouvait bien penser mais était certaine que ce qu'elle lui avait fait été encore encré dans sa tête et dans son cœur, vu la manière dont il réagissait.

A nouveau, lorsqu'elle l'entend parler, elle vient se frotter la nuque, gênée de devoir assister à cette interview. Ça n'était vraiment qu'un mauvais moment à passer, mais la jolie blonde aurait préféré qu'il en soit autrement. Qu'ils restent amis peut être... Mais elle se doutait que ça n'était même pas envisageable, du moins du côté de Noah.

Exactement. Ils ne supportaient pas l'idée de voir une femme entrer dans leur rang et réussir aussi facilement là où ils n'y arrivaient pas...

Expliqua t elle, réussissant de moins en moins à garder son professionnalisme. Elle ne savait comment réagir à la longue. Est ce que cette interview allait se prolonger de cette manière ?: à ne pas se regarder, à faire comme si ils étaient de véritables inconnus l'un pour l'autre. Pendant combien de temps encore Lucy allait elle pouvoir supporter cette manière de faire ?

Mais je suis restée naturelle... Et déterminée. Même plus qu'eux. Alors, j'ai réussi à me faire une place de choix.

[Merciiiii beaucoup ! ]

Une certitude s’imposait au fur et à mesure dans l’esprit chamboulé de Noah ; jamais l’interview n’aboutirait. Il ne parviendrait pas à la finir, malgré tout son professionnalisme, malgré tout le sang-froid dont il disposait. Parce que Lucy lui avait véritablement brisé le cœur, parce qu’ils n’avaient jamais pu s’expliquer en face à face, ils n’avaient jamais pu évoquer leur rupture et aujourd’hui, il devait faire semblant que tout allait bien. Alors que c’était faux. Sa conscience était tiraillée. Quelle réaction adopter dans ce cas précis ?

Le jeune homme écouta néanmoins la réponse, hocha furtivement la tête avant de s’empresser de la griffonner sur son précieux calepin pour se donner une certaine contenance.

« Je comprends. Et aujourd’hui, vous avez réussi » remarqua-t-il, la bouche sèche. « Vos collègues vous respectent et vous êtes devenue un élément primordial au sein de la brigade ».

Il inspira profondément. Trouver une autre question, vite. Masquer sa gêne. N’importe quoi. Lucy avait déjà dû se rendre compte, depuis le début, qu’il n’était pas dans son assiette et elle devait bien se moquer de lui à présent. Certes, il ne lisait pas dans ses pensées mais à ce niveau-là, était capable d’imaginer le pire. A ses yeux, puisqu’elle avait rompu, elle se fichait éperdument de lui. Avait-elle seulement conscience de tout le mal qu’elle avait provoqué ? Probablement pas.

« Lucy… »

Ses yeux se fermèrent, comme s’il venait de proférer une insanité. Rester le journaliste et non pas l’ancien compagnon de la jeune femme. Hélas, pourtant, à cet instant-là, il avait failli lui demander pourquoi. Il voulait des explications mais il ne voyait pas comment les réclamer. Alors il préféra laisser faire, se comporter comme le Noah habituel. Et attendre un apaisement qui ne viendrait jamais.

« Une autre question, Mlle Nelson… Avec qui avez-vous l’habitude de travailler, votre coéquipier ? Y a-t-il un agent de police avec lequel vous entretenez une relation plus particulière ? Plus fusionnelle ? »

Cette question rentrait-elle dans le cadre de son interview ? Certainement pas. Mais Noah avait perdu le fil. Et peut-être était-ce vraiment de la jalousie qui pointait dans ses propos. Il savait déjà quelle serait sa réponse, et il la redoutait d’avance.

Il était tout aussi clair pour lui que pour Lucy qu'ils n'arriveraient à rien, sauf qu'ils ne se l'avouaient pas. Un peu comme si ils laissaient les circonstances en faire lâcher l'un ou l'autre en premier. Comme si ils étaient en compétition pour voir lequel des deux allait s'excuser et s'en aller le premier. Elle pouvait donner l'impression de se moquer complètement de celui qui se trouvait devant elle, mais ça n'était pas le cas. Juste qu'elle réussissait un peu mieux à le cacher que lui. Si il pouvait entendre son cœur, Noah saurait que ça n'est pas le cas, qu'elle est dans un état second et que c'est compliqué pour elle de se retrouver dans une situation pareille. La jeune femme n'est pas très démonstrative mais est du genre indépendante et c'est sans aucun doute pour ces deux raisons qu'entre Noah et elle, ça n'a pas duré.

Tandis qu'il la questionne sur sa carrière, Lucy lui répond alors comment elle en est arrivée là où elle est aujourd'hui. Elle cherche un peu ses mots mais sait que ce qu'elle choisira de dire pourra avoir un impact assez gros sur sa relation avec les personnes du poste... Mais elle sait aussi qu'elle raison, et que tout ce qu'elle vient de confier au jeune homme, elle sera capable de le leur répéter ; tout comme ils le savent eux aussi.

C'est ça.

Confirme t elle avec un léger signe de tête, alors que sa voix se brise un peu. Elle se racle le fond de la gorge et ose un regard vers le journaliste ce, juste avant qu'il ne l'appelle par son prénom. Son cœur ne fait qu'un bond contre sa poitrine, et elle ne peut s'empêcher de le regarder. C'est la première fois depuis qu'ils sont séparés qu'elle entend son prénom sortir de sa bouche. Déjà entendre la voix du journaliste lui avait fait un drôle d'effet, mais l'entendre dire son prénom c'est encore pire.

La raison pour laquelle ils se sont séparés est encore floue, même dans la tête de l'instigatrice de cette décision. Elle sait juste que c'est parce qu'il attendait plus que ce qu'elle ne pouvait lui donner ; mais sinon, elle était bien avec lui. C'était le genre de séparation que l'on trouve le plus communément dans le sens inverse : en général, c'est l'homme qui ne veut pas s'engager. Là, c'était elle. Et elle lui avait briser le cœur.

Oui, j'ai un coéquipier, Liam Hunter. Je n'irais pas jusqu'à dire que nous sommes « fusionnels », mais on s'entend vraiment très bien et... Et je pense qu'il réussi à faire ressortir mon côté « cœur d’artichaut »... J'avoue que je ne pensais pas...

En répondant à cette question, Lucy jette un nouveau regard vers son interlocuteur et coupe sa réponse au beau milieu de sa phrase. Ce coup ci, le professionnalisme de la jeune femme ne ressort pas. Il s'agit de Noah Clarke face à elle et ils sont sorti ensemble. C'est son ex petit ami.

Quand Noah prononça le prénom de Lucy, il remarqua très bien le changement de comportement de la jeune femme. Elle releva vivement la tête et pour la première fois depuis le début de l’interview, leurs yeux se croisèrent. L’avait-il touché, d’une manière ou d’une autre ? Peu lui importait. Mais il se souvenait encore, du temps de leur relation, quand il adorait prononcer son prénom. Chaque fois qu’il en avait l’occasion, tel un précieux trésor, un jeu entre eux, il énonçait ces deux syllabes. Et cela faisait des mois qu’il ne l’avait pas fait.

De nouveau, Noah écrivit quelques mots en guise de réponse. Liam Hunter ? Il se promit d’enquêter sur lui, à titre personnel. Machinalement, le journaliste mordilla sa lèvre, cherchant désespérément à se soustraire à cette conversation. Il ne pouvait pas décemment lui avouer tout ce qu’il avait sur le cœur, tout ce qui l’empêchait de dormir la nuit. Après tant de temps, il aurait dû faire une croix sur elle, l’oublier et repartir. Il y était presque arrivé. Jusqu’à aujourd’hui.

« Je suis désolé pour cette question inappropriée, je n'aurais pas dû la poser » s’excusa-t-il, tel un parfait gentleman. « Revenons à notre sujet… »

Haha. Le sujet ? Il l’avait déjà oublié. Mais Noah Clarke restait Noah Clarke, et après avoir ramé quelques instants, il décida de refaire surface. Du moins pour les deux prochaines minutes, ce qui constituait déjà un exploit en soi. Il aviserait par la suite.

« Votre parcours est assez étonnant, je dois dire. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à vous lancer dans une telle carrière ? Pourquoi avoir voulu devenir officier de police ? »

C’était une question tout à fait légitime. Mais, de son avis personnel et assez peu objectif, Noah songeait qu’aucun autre métier n’aurait pu convenir à Lucy. Elle était impétueuse, courageuse, souvent franche, et elle était faite pour ce métier. C’était justement ce qui l’avait séduit, des mois auparavant. Elle ne se laissait pas marcher sur les pieds et il adorait l’idée. Aujourd’hui… Aujourd’hui, il avait conscience que peut-être, elle était trop indépendante pour lui. Que de toute manière, ça n’aurait jamais pu coller entre eux, ils étaient trop différents. Avait-il eu tort de s’obstiner malgré tout ? Et encore aujourd’hui, pourquoi donc se sentait-il toujours troublé en la voyant, comme si ces derniers mois n’avaient pas existé ?

Il est clair qu'au poste de police, Lucy a plutôt l'habitude d'entendre « Mlle Nelson » que son prénom. Alors, quand Noah prononce son nom, sa réaction ne se fait pas attendre et est très vive. Leurs regards se croisent mais pas un seul mot n'est échangés. Pourtant, la jolie blonde peut sentir que quelque chose a changé entre eux ; que ce simple événement fait prendre une autre tournure à cette interview.
Mais le jeune homme tente de garder son professionnalisme, chose que Lucy se demande avoir encore maintenant qu'ils sont entré dans certains détails de sa vie. Elle se voit mal lire ce qu'elle vient de dire concernant Liam Hunter dans un papier écrit par son ex petit ami...

Noah... ?.. Et si tu me disais ce que t'as sur le cœur ?

Lance t elle alors soudainement, le regardant dans les yeux pour lui montrer qu'elle est sérieuse. Elle n'a pas eu droit à une dispute dans les règles de l'art et l'indifférence dont à fait preuve le jeune homme pendant tout ce temps a été bien pire que n'importe quelle dispute. Elle voudrait pourtant savoir si il n'a pas quelque chose à lui dire après tout ce temps ?... Elle s'attend à ce qu'il l'envoie balader. Après tout, il est ici pour faire son boulot et elle n'a pas à le déranger pour une histoire personnelle.

Prononcer le prénom de son ex petit ami n'a pas été chose facile non plus pour elle, tout comme l'avoir face à elle n'est pas quelque chose qui arrive souvent. L'interview tente de se prolonger mais Lucy se demande si elle veut vraiment continuer à faire des efforts. L'avoir face à elle la perturbe énormément.

Pour ne pas m'imposer dans une routine. Je suis obligée de bouger sans arrêt...

Répond elle dans un souffle en jouant avec ses doigts, un peu nerveuse.
Lui dire tout ça était comme lui répondre à son « pourquoi ne sommes nous plus ensemble ? ». Lucy a besoin d'indépendance et ne sait pas bien comment se conduire quand elle doit réfléchir non plus pour un « je » mais pour un « nous »...Et c'est à cause de ça en grande partie qu'elle n'a jamais été avec un autre homme.

Noah tressaillit légèrement quand Lucy lui posa franchement la question. Ce qu’il avait sur le cœur ? Bien sûr qu’il voudrait lui dire. Bien sûr qu’il voudrait lui avouer la vérité, mettre enfin les choses au clair, mais d’une certaine façon, cela l’effrayait plus qu’autre chose. Mettre les choses au clair, c’était en quelque sorte refermer définitivement le chapitre de sa vie qui l’avait tant bouleversé. C’était dire au-revoir à Lucy et cette idée lui était intolérable. Car même si maintenant, il savait que leur relation était probablement irrécupérable et enterrée depuis longtemps, il ne se souvenait que trop bien de l’amour qu’il avait pu lui porter et il ne voulait pas l’enfouir définitivement.

Mais en croisant le regard de son ex petite amie, il comprit alors qu’il n’avait pas le choix. Que l’envoyer sur les roses ne ferait que repousser encore et encore le problème. En se levant ce matin-là, il ne s’imaginait pas une seconde lui faire face et enfin mener cette discussion, mais celle-ci paraissait inévitable. Alors il inspira profondément. Sa main se tendit vers le dictaphone, qu’il éteignit, parce que cette conversation était privée. L’interview ne mènerait à rien, alors pourquoi la continuer ? Il demanderait à l’un de ses collègues de prendre le relais. Enfin, cherchant désespérément le courage qui lui manquait à cet instant précis, il répondit :

« Tu veux que je te dise, Lucy ? Tu as tout gâché. . Je… Je t’aimais. On était bien tous les deux alors… Je te le demande, parce que j’ai le droit d’avoir une réponse. Pourquoi ? Pourquoi t’es partie, hein ? »

Il se tut. Reprit son souffle. Leva son regard vers la jeune femme demeurée immobile. Bon sang qu’elle était belle. Plus belle que jamais. Et c’était cela le plus difficile à encaisser. Il se souvenait parfaitement des premiers jours, quand ils avaient commencé à sortir ensemble. Le journaliste et la flic de Shady Cove. Un duo pour le moins singulier.

« Pourquoi tu m’as abandonné ? » s’enquit-il dans un souffle.

C’était bien là le problème, Noah était par moments trop romantique. Quand il s’accrochait à une fille, il peinait à s’en défaire. Surtout quand la fille en question se prénommait Lucy Nelson.

Lucy aussi était consciente que de discuter de ce qu'il s'était passé entre eux en venait à ne plus jamais se revoir, à tourner une page... Mais d'un autre côté, ils ne se voyaient déjà plus ! La seule chose qu'ils faisaient c'était s'éviter, changer de trottoir quand ils se croisaient en ville et voilà où ils en étaient maintenant : ils se retrouvaient l'un en face de l'autre, à faire comme si ils ne se connaissaient pas parce qu'ils devaient se conduire comme des professionnels, pour que cette interview se passe dans de bonnes conditions. Évidemment, ça n'est pas le cas. Lucy finit par briser les apparences et lui demande de déballer son sac, de déballer son cœur. Elle voulait savoir ce qu'il avait dans la tête, ce qui l’empêchait de lui dire « bonjour » ou un simple « salut » dans la rue...

Remarquant elle aussi le regard de son ex petit ami, la policière se demande ce qu'elle vient de faire et si elle a bien fait... D'un autre côté, repousser les explications n'aurait servit à rien, c'est sur. Au moins, maintenant, ils allaient peut être pouvoir s'expliquer et peut être se rendre compte qu'ils ne se haïssent pas tant que ça ?... Le regardant éteindre le dictaphone, elle déglutit, se demandant ce qu'il allait lui demander, lui reprocher, ce qui allait bien pouvoir se passer ensuite ?...

Noah... Comment tu peux être sur que tu m'aimais ?... J'aimerais comprendre...

Souffle t elle, peu sure d'elle. Il est très rare de voir la policière dans cet état, mais là, elle était vraiment dans ses petits souliers. Elle avait envie de comprendre ce qu'il se passait dans la tête de son ex petit ami quand ils étaient encore un couple... Et si, de part ses explications, elle les considérait elle aussi comme un couple ou si le problème venait d'ailleurs.

Le regardant dans les yeux, elle se surprit à repenser aux moments qu'ils avaient passé ensembles et qui étaient de bons moments. Elle eut une soudaine envie de l'embrasser mais espérait que cela n'était pas un effet permanent. Quand il lui demanda pourquoi est ce qu'elle l'avait abandonné, son cœur fit un bon contre sa poitrine. Elle avait jouer avec les sentiments d'un homme comme tout ces hommes qu'elle dénigre de jouer avec ceux des femmes...

Peut être... Parce que je ne me trouvais pas à la hauteur...

Noah ne savait plus trop où il en était, s’il voulait que le supplice prenne fin à cet instant précis, ou bien au contraire, s’il souhaitait continuer à discuter avec son ex-petite amie, qui paraissait tout aussi peinée que lui. Pourquoi donc n’avaient-ils pas eu cette conversation plus tôt ? Maintenant qu’ils se faisaient face, Noah se le demandait. Cela aurait peut-être pu mettre fin à la douleur. Mais dans un sens, le journaliste ne voulait pas que la douleur s’estompe. Il préférait la garder précieusement, en souvenir de Lucy. Ne plus souffrir, c’était lui dire adieu. Et cette idée lui était intolérable.

Elle lui demanda comment il pouvait être sûr de l’aimer. Noah doutait sur un nombre incalculable de sujets, mais s’il y avait bien une chose dont il était absolument certain à cette époque, c’était à quel point il pouvait l’aimer. Il n’avait jamais ressenti des sentiments aussi forts auparavant, aussi clairs. Bien sûr, son histoire avec Lucy n’avait pas été la seule, il en avait vécu d’autres, d’excellentes histoires. Mais là c’était différent. Il était bien incapable d’expliquer pourquoi.

« Je t’aimais » répéta-t-il avec conviction. « Je veux dire… j’adorais te voir jurer comme un charretier, j’adorais ta façon de manger des glaces devant des séries stupides à la télévision, t’entendre grogner le matin quand je voulais te sortir du lit en t’enroulant dans les couvertures, t’écouter raconter tous les pires ragots de la ville… »

Il aurait pu en citer davantage. Des défauts qui pourraient l’insupporter chez les autres lui paraissaient tout à coup être des qualités qui faisaient de Lucy une jeune femme unique. A mesure qu’il citait ces différentes facettes de sa personnalité, les souvenirs remontèrent à la surface. C’était fini, pourtant. Il devait s’en convaincre. Elle l’avait fait souffrir et il devait tourner la page. Peut-être que cette discussion l’aiderait, mais pour l’instant, il avait plutôt l’impression qu’elle produisait l’effet inverse…

« Pas à la hauteur ? Je ne te comprends pas. Pour moi, t’étais parfaite. Alors comment tu peux penser ça ? »

Il se demandait s’il s’agissait réellement de la véritable raison pour laquelle elle l’avait plaqué. S’il n’y avait pas quelque chose d’autre, que lui ignorait, qui l’avait forcé à rompre à ce moment-là. Mais aujourd’hui, Noah voulait tout lui avouer. Il préférait jouer carte sur table si cela leur permettait de passer le cap.

Lucy ne saurait dire ce qu'il y avait eu avec Noah. Déjà, il faisait parti des rares garçons avec qui elle s'était dit « oui, pourquoi pas », quand ils en sont venu à se poser la question d'être un couple. Les hommes qui ont pu partager la vie de Lucy Nelson, on les compte sur les doigts d'une main de Mickey Mouse ! Et quand la question s'est posée avec le journaliste, elle en est un peu venue à une évidence. Ils s'entendaient bien alors, elle s'était dit qu'elle pouvait bien essayer de faire l'effort de rester avec lui. Après, bien évidemment, il y avait eu des baisers, puis des relations charnelles entre eux ! Quelque chose de torride, d'agréable. Ça n'est pas parce qu'elle n'arrivait pas à se mettre en couple correctement que le policière n'aimait pas les plaisirs de la chaire ! Et même si tout allait bien, quelque chose n'allait pas.

En entendant le jeune homme lui dire « Je t'aimais », elle ne peut s'empêcher de lui demander comment il pouvait lui dire ça avec une telle conviction ? Comment peut on être sur d'aimer une personne ?... Bien évidemment, elle aimait ses parents, sa sœur, mais ça n'était sans doute pas la même chose. Elle aimait Kyle aussi ! Mais c'était encore différent (bien qu'elle n'arrivait pas non plus à mettre de sentiment claire sur quel genre d'amour elle éprouvait pour lui)... Avait elle aimé Noah ? L'aimait elle encore ? Et lui ? Est ce qu'il l'aimait encore ? Trop de questions qui tournaient dans sa tête et peu qui trouveraient une réponse...

Alors c'est ça ?... Tu trouvais tout mes défauts en te persuadant qu'ils étaient des qualités et en les utilisant comme argument de cet « amour » ?... C'est comme ça que ça marche...

Souffle t elle, plus pour elle que pour lui. Partagée entre l'envie de pleurer et l'incompréhension, la jeune femme fronce légèrement les sourcils avant de répondre à son interlocuteur : si elle est parte, c'est qu'elle ne se sentait pas à la hauteur. Quand il lui demande d'avantage d'explications, elle le regarde dans les yeux pour lui répondre.

Tu es capable de dire que tu m'aimais alors que moi, je ne suis même pas foutue de comprendre ce qu'il se passait dans ma tête quand j'étais avec toi... Comment peux tu dire que je suis parfaite ?... J'suis juste une gamine qui ne comprend rien aux trucs de grands... Et le pire...

Enchaina t elle avant de soupirer.

Le pire est sans doute que ça me va comme ça...

Les paroles de Lucy s’incrustèrent douloureusement dans l’esprit de Noah, à mesure qu’il prenait conscience de ce qu’elles signifiaient. De nouveau sur la défensive, la jeune femme lui reprocha de prendre tous ses défauts pour des qualités, et le jeune homme demeura interloqué quelques secondes. Comment osait-elle ? Que lui fallait-il de plus ? Noah n’avait aucune autre preuve à lui fournir. Il l’aimait oui, mais parfois, ce n’était pas suffisant. Au contraire, il en prenait conscience maintenant, Lucy ne partageait pas les mêmes sentiments à son égard. Il avait eu tort de se leurrer. Mais maintenant qu’il était allé trop loin, pouvait-il seulement envisager de faire machine arrière ?

Une gamine qui ne comprenait rien aux trucs de grands ? Noah fronça les sourcils. Non, décidément, il peinait à la comprendre. Elle se cherchait des excuses, visiblement. Il inspira de nouveau. Quitte à mettre les choses au clair, autant y aller jusqu’au bout. Il voulait qu’elle sache tout ce qui pouvait ressentir.

« Mais c’était justement pour ça que ça fonctionnait entre nous ! On était complètement opposés, c’est vrai, mais ça avait marché justement grâce à ces différences ! »

Lui, le trentenaire romantique qui se projetait dans l’avenir et elle, la flic un peu perdue qui n’osait pas s’engager. Lucy leur permettait de garder un pied dans le présent, bien ancrés dans la réalité, Noah méditait sur le futur. Ou alors, il s’était trompé et leur couple, pas même au début, n’avait jamais fonctionné. A présent, il ne saurait le dire.

Peut-être devrait-il mettre fin à la conversation, peut-être devrait-il partir avant que les choses ne s’enveniment, mais il ne parvenait à esquisser le moindre geste. Lucy était devant lui, pour la première fois depuis des mois, et il aurait préféré que ce moment ne s’achève jamais.

« Tu veux que je te dise ? » s’enquit-il avec amertume. « J’ai fait une erreur. Je n’aurais jamais dû te laisser partir sans me battre. T’abandonner pour la simple raison que tu étais terrifiée. Parce que tu en valais la peine… »

Il reprit son souffle, toujours immobile, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine. Voilà, c’était dit. Et il garda le silence, scrutant le regard de Lucy, tâchant de guetter la moindre de ses réactions. Après ça, il était décidé, il abandonnerait la partie. Son ex petite amie était adulte et vaccinée, elle vivrait sa vie loin de la sienne. Et le reste n’aurait plus aucune importance.

Lucy ne sait pas quoi dire pour ne pas blesser encore d'avantage Noah et en vient à la conclusion qu'elle ferait mieux de se taire définitivement. Pourtant, les mots s'enchaînent dans sa tête et sortent de sa bouche sans qu'elle puisse les contrôler. Les explications qu'elle lui donne ne semble absolument pas lui plaire... Pourtant, la jeune femme aimerait énormément qu'ils puissent redevenir complice, ou au minimum des connaissances qui, de temps en temps, au détour d'un carrefour, se demandent « comment ça va ? », et parlent de la pluie et du beau temps...

Quand Noah lui donne des explications sur ce qu'il ressentait pour elle, Lucy se rend compte que de son côté, elle ne voyait pas les choses aussi sérieusement. Voilà pourquoi elle se qualifie de gamine. Ce que les autres peuvent voir comme un semblant d'avenir, elle, elle le voit comme le moment présent. Prévoir sur le long terme ce qu'elle voudrait faire et surtout, avec qui elle se voit n'est pas concevable. Quand il lui affirme que c'est leur différences qui faisaient qu'ils pouvaient rester ensemble, la jeune femme secoue négativement la tête.

Je ne me projette pas autant que toi dans l'avenir, Noah. Je ne dis pas que tu m'as mi la pression en parlant de mariage ou quoi, ça n'est pas le cas. Mais, ose me dire que tu n'as pas penser à quelque chose du genre... Vivre avec moi ?

Leurs différences, Lucy ne les voyait pas du tout du même œil que lui. Pour elle, ça n'était pas compatible justement à cause de ça. Elle ne sait même pas avec quel genre d'homme il faudrait qu'elle soit pour avoir cette liberté là... Et elle ne veut pas non plus d'un plan cul ou quelque chose comme ça...
Pourtant, lorsque son regard croise celui de son ex petit ami, elle ne peut s'empêcher de sentir un énorme pincement au cœur, et cette irrémédiable envie de se retrouver dans ses bras... Vraiment étrange.

C'est... C'est gentil de me dire ça... Pour être franche avec toi, j'aimais vraiment être avec toi. Et encore aujourd'hui, quand je te regarde, je ressens ce pincement au cœur...

Souffle t elle à son tour avant de baisser les yeux.

Mais je ne peux m'empêcher de me dire que... Je n'était pas la bonne fille pour toi.

Noah le savait d’avance, en sortant de ce bureau dans lequel il avait l’horrible impression d’étouffer, il déprimerait encore. Qu’importe l’issue de cette discussion, il était revenu des mois auparavant, peu de temps après leur rupture, et il lui faudrait encore trouver une parade pour oublier Lucy. Voilà qu’il en venait à regretter d’avoir pu la retrouver, d’avoir pu lui parler, pour la simple et bonne raison que la douleur était intolérable. Evidemment, il le savait, il le savait depuis le début, qu’ils possédaient un caractère diamétralement opposé l’un de l’autre, mais il n’avait pu s’empêcher d’espérer, de se dire que ça marcherait, justement grâce à ces différences. S’ils étaient exactement identiques, leur relation aurait été d’un ennui !

Mais peut-être était-ce cela, le problème. Ils n’étaient pas faits pour être tous les deux, tout simplement. Même s’ils s’obstinaient, certaines personnes n’avaient pas pour but de finir leurs jours ensemble. Noah aurait dû accepter cette terrible vérité. Mais il en était tout simplement incapable. Que souhaitait-il ? Il l’ignorait. Totalement perdu, il aurait presque préféré que Lucy s’en aille la première, qu’elle mette fin à cette conversation et qu’elle lui tourne définitivement le dos. Même si c’était difficile à assumer, au moins il aurait compris, il se serait fait une raison. Mais Lucy restait là, en face de lui, et une certitude s’imposa peu à peu dans son esprit. La jeune femme était tout autant tourmentée que lui.

« Evidemment, que j’y ai pensé » reconnut-il avec douceur. « Je voulais vivre avec toi et… je pensais que tu le savais. Mais je ne t’aurais jamais rien imposé, et je croyais que tu le savais aussi. J’aurais pu attendre… »

Noah avait de grands projets pour lui et Lucy, et peut-être au final, était-ce de sa faute si leur couple n’avait pas fonctionné. Il désirait vivre avec elle, il était même prêt à fonder une famille. Ce n’était un secret pour personne. A trente ans, avec une bonne situation et une bonne carrière, Noah souhaitait enfin se poser. Il n’avait jamais voulu cacher son désir de fonder une famille relativement tôt, contrairement à ce que ses parents avaient fait. C’était peut-être pour cela qu’il était aussi empressé. Mais il le savait pourtant, avec Lucy, il aurait pu patienter, il aurait pu la comprendre. Il aurait pu tout faire. Son cœur fit un nouveau bond dans sa poitrine. Alors qu’il croyait que Lucy ne ressentait plus rien à son égard, que leur histoire était définitivement morte et enterrée, il s’était visiblement trompé. Mais comment devait-il réagir face à une telle déclaration ? Où donc cette conversation allait les mener ? Il l’ignorait. Et il nageait dans un tel brouillard, brouillard qui ne se dissiperait probablement jamais.

« Ne dis pas ça » murmura-t-il, la gorge sèche. « Tu n’as pas le droit de me laisser encore espérer… »

Il se tut, ayant peur de commettre l’irréparable. Ressentait-elle encore la moindre chose à son égard ? Et lui ? L’aimait-il encore ? Ou du moins, suffisamment pour être tenté à nouveau ? Tant de questions auxquelles il ne parvenait à répondre.

« Réponds-moi sincèrement, Lucy. Et après… après, je te le promets, je te laisserai tranquille. Tu n’entendras plus jamais parler de moi. Mais j'ai besoin de savoir et je crois que toi aussi. Alors... Est-ce qu’il n’y a plus rien entre nous ? Est-ce que c'est définitivement fini ? »

Ce n’était pas un ultimatum. Ou tout du moins, Noah ne le percevait pas ainsi. Mais plutôt comme un point final, l’ultime chapitre qui conclurait – ou non – leur histoire. Ils ne pouvaient continuer plus longtemps à tourner autour du pot et cette conversation, la seule depuis des mois, se devait de résoudre le problème.

Ce que Lucy savait, c'est que lorsque l'interview en compagnie de Noah serait terminée, dès qu'ils se laisseraient repartir chacun de leur côté, sa vie en sortirait changée. C'est ce qu'elle pense en tout cas. Il ne lui semble pas qu'il pourrait ressortir une amitié de cette rencontre, même si elle aimerait bien.
Elle qui pensait réellement avoir besoin d'une discussion avec lui pour qu'ils puissent s'expliquer, se comprendre à nouveau et peut être tisser de nouveaux liens avec les anciens, elle n'en était plus très sure maintenant qu'elle voyait la tournure que prenait les choses. Là, elle voulait juste se transformer en oiseau ou en souris et se barrer rapidement... Mais d'un autre côté, retrouver Noah était un plaisir. Juste qu'elle aurait aimé que ça soit dans d'autres conditions que par surprise.

Lucy était plus qu'indépendante. Elle ne se sentait pas de vivre avec quelqu'un même si pour tout le monde, cela semblait être dans l'ordre des choses de voir une jeune femme de 28 ans en couple, avec deux enfants, déjà installée ; cela ne l'était absolument pas pour elle. Là, elle se demandait pourquoi il était aussi attaché à elle à l'époque et elle le questionne sur une chose : est ce qu'il a pensé à vivre avec elle quand ils étaient encore ensemble. Il lui répond que c'est une évidence mais que jamais il ne l'aurait forcé. Un léger sourire au coin des lèvres, la jeune femme n'a pas envie d'être méchante avec lui, mais sans doute aurait il pu attendre un long moment... Et il se serait impatienté.

L'issu aurait été la même...

Sincère avec son ex petit ami, la policière hausse les épaules. Elle est persuadée qu'il n'aurait pas pu tenir le temps qu'il lui aurait fallu pour accepter qu'elle a besoin de se poser, d'être avec un homme en particulier et qu'elle a des sentiments pour lui. Après, c'est après coup et en ayant à nouveau le jeune homme sous les yeux qu'elle se rend compte qu'en effet, elle éprouve quelque chose pour lui. Ou du moins, que ce moment passé avec lui à éveillé un petit quelque chose dans son cœur.

Ne sachant que répondre, elle aimerait pourtant être sincère avec lui, lui dire ce qu'elle ressent... Mais elle ne veut pourtant pas lui faire de mal alors, elle hésite. Quand il relève les yeux vers elle et capte une nouvelle fois son regard pour lui demander d'être sincère et de lui répondre : est ce qu'il existe encore quelque chose entre eux ou est ce que c'est vraiment terminé ? Lucy déglutit. Se doit elle vraiment d'être sincère ? Ou doit elle lui mentir pour lui permettre d'avancer et pour ne pas le blesser à nouveau ?...

Je... Je veux pas te faire de mal.

Noah s’attendait plus ou moins à cette réponse. Il ne se faisait pas trop d’illusion. Elle avait rompu une fois, ce n’était certainement pas pour éprouver la moindre forme de regret ou de compassion par la suite. Il s’était fait des illusions, encore. Et il s’en voulait terriblement. Elle ne souhaitait pas lui faire de mal ? Un rictus fendit son visage. Trop tard. Le mal était déjà fait. Il était fait depuis longtemps. Alors après tout, un peu plus ou un peu moins, quelle était la différence ?

« Je vois » conclut-il avec plus de froideur qu’il ne l’aurait voulu. « Je n’ai plus rien à faire ici, alors. Merci de l’interview… »

Interview qui ne lui servirait sans doute pas. Si seulement l’issue avait pu être différente, justement. Si seulement il s’y était pris autrement. Tellement de si seulement… Il inspira profondément, rassembla ses affaires sous le regard brûlant de Lucy, et lui tourna ostensiblement le dos, prêt à partir. Fuir cette atmosphère étouffante. Il ne la reverrait plus. Du moins, comme c’était difficile dans une petite ville telle que Shady Cove, il s’efforcerait de faire comme ces derniers mois : de ne pas la croiser, de faire mine qu’elle n’existait pas. Jusque-là, ça avait plutôt réussi. Et alors qu’il voulait quitter le bureau, il se figea. Où était passé son tempérament entreprenant et sûr de lui ? Qu’était-il advenu de l’ancien Noah Clarke ? L’enragé, le confiant, le passionné ? Il ne pouvait pas partir sans rien dire en acceptant gentiment la décision de Lucy. Non. Peu importe sa réaction, peu importe son choix final. Elle comptait pour lui. Plus qu’il ne le voulait. Il devait certes passer à autre chose, mais il en avait tout simplement marre, marre de stagner, de faire un pas en avant et deux pas en arrière, de ne pas évoluer. Quitte à mettre les choses à plat, autant y aller jusqu’au bout. Il se battrait et il le lui ferait savoir.

Alors faisant subitement volte-face, il planta son regard dans celui de son ancienne petite amie, crut vaciller un instant et lança :

« Non. Je ne peux pas partir comme ça. Il en est hors de question. Je tiens trop à toi pour m’en aller et ne plus rien avoir à te dire. Ce n’est pas fini… ça ne l’a jamais été pour moi ».

Son cœur battit à tout rompre dans sa poitrine. Il ne mesurait plus ses mots, s’exprimait avec énergie, l’énergie du désespoir. Il n’avait plus rien à perdre. Qu’elle le repousse, qu’elle s’en aille précipitamment, qu’elle s’excuse de ne rien pouvoir faire pour lui, ça n’avait plus aucune importance. Il se sentait grisé pour la simple et bonne raison qu’il avait tout à coup pris conscience de cette vérité, bien au-delà de tous les préceptes machos d’un temps révolu. Sa voix se perdit dans un souffle à peine audible.

« Je t’aime. Je t’aime vraiment, Lucy… »

Ce n’étaient pas des paroles en l’air à ses yeux. Cela n’avait rien à voir avec toute leur précédente conversation, pourquoi il l’aimait, pourquoi elle l’avait quitté, tout ce qu’ils avaient bien pu se dire ou oublier de se dire. Non, cela, il le pensait réellement. Et cette déclaration l’ébranlait d’autant qu’il ne l’avait encore jamais dite à personne avec tant de conviction – cette même conviction qui bouillonnait dans ses veines, qui le guidait et qui le faisait être ce qu’il était devenu aujourd’hui.

C'est le cœur lourd et l'estomac noué que Lucy voit le regard de son ex petit ami s'assombrir quand il réplique qu'il n'a plus rien à faire ici... Elle n'entend même pas ses faux remerciements et se sent plus bas que terre... La jeune femme n'avait pas eu envie de lui dire la vérité, de répondre franchement quand il lui a demandé si il n'y avait vraiment plus rien entre eux. Elle lui avait dit qu'elle ressentait ce pincement au cœur depuis qu'elle l'avait vu entrer dans la pièce, mais affirmer qu'il existe encore quelque chose entre eux, ou dans son cœur à son égard, est un peu trop compliqué pour la jeune femme. Elle n'a pas envie de le blesser et, par la même occasion, se protège aussi...

N'osant pas le retenir, ne sachant pas quoi répliquer de plus, Lucy ne s'était même pas rendue compte qu'elle venait de soudainement se lever sans lui dire un mot. Elle le regarde tout de même s'éloigner, et détourne le regard rapidement avant de se rasseoir. Elle ne voit donc pas sa réaction et ne s'étonne même pas de ne pas entendre la porte du bureau claqué tant elle est encore sous le choc de ce qu'il vient de se passer entre eux. Devait elle le retenir ? Ou laisser faire pour qu'ils puissent s'oublier mutuellement ?... Puis, elle relève subitement la tête quand elle entend la voix du jeune homme retentir dans la pièce. Elle pensait qu'il allait s'en aller et en rester là avec elle, au final, il lui balance un « Non » bien audible qui attire son attention. Yeux dans les yeux, ce qu'il lui dit la touche énormément...

Comment peux tu ressentir tout ça avec le mal que je t'ai fait ?...

Souffle t elle, sans pouvoir s'empêcher de le regarder dans les yeux. Elle a l'impression que sa respiration se coupe quand il ajoute encore autre chose d'important : il l'aime. Il ne lui semble pas avoir entendu ces mots là dans la bouche de son ex petit ami quand ils étaient encore ensemble. Il faut dire qu'ils ne sont pas allé bien loin tout les deux et pourtant, cela a suffit pour qu'ils se retrouvent l'un en face de l'autre, comme bloqué par les sentiments qu'ils éprouvaient.

Ne pouvant s'empêcher de le regarder dans les yeux, elle se laisse porter, avance vers lui pour passer sa main sur sa joue. Lucy est vraiment touchée par ce qu'il vient de lui dire avec autant de conviction.

Noah ignorait quelle serait la réaction de Lucy mais pourtant, il ne regrettait pas ses paroles. S’il partait sans rien lui dire, s’il lui tournait définitivement le dos, il ne pourrait plus revenir en arrière. Cette certitude s’imposa dans son esprit. Car même s’ils vivaient dans la même ville, ils ne pourraient certainement pas partager une relation même amicale. Ce n’était pas suffisant aux yeux du journaliste qui ne pourrait continuer de lui parler tout en l’imaginant dans les bras d’un autre. C’était encore pire que de ne plus lui parler du tout. Il restait immobile quand elle lui demanda, dans un souffle, comment il pouvait encore l’aimer après tout cela.

Décidément, elle peinait à croire qu’il puisse être sérieux dans sa déclaration. Il commençait à cerner son comportement et savait qu’elle doutait, de lui, d’elle, que c’était sûrement plus fort qu’elle, mais tout de même. Il allait bientôt être à court d’arguments pour la convaincre, même s’il ne baisserait pas les bras face à ses hésitations. Bien sûr, si elle lui opposait un « non » catégorique, il lâcherait l’affaire. Si elle refusait de continuer ce petit jeu, il ne réitérerait plus ses propos. Mais lui n’abandonnerait pas de lui-même. Il en était tout simplement incapable, par peur de passer à côté de quelque chose. Mais comment lui dire ? Comment lui dire qu’il croyait fermement au proverbe qui veut qu’on ne se rend compte de l'importance d'une personne que lorsqu'on la perd ?

« Parce que je crois le proverbe qui veut qu’on ne se rend compte de l’importance d’une personne que lorsqu’on la perd. C’est après ce que tu as fait, après que tu sois partie, que j’ai compris. Je tiens à toi. Mais à l’époque, je ne m’en rendais pas compte. Enfin, pas totalement ».

Déjà à l’époque, il tenait à elle, oui, mais pour les mauvaises raisons. Il avait fallu qu’elle coupe les ponts, qu’elle décide de rompre, pour qu’il prenne tout à coup conscience à quel point elle avait compté pour lui. Et qu’elle comptait encore aujourd’hui. Il comprenait son désir d’indépendance et il le respecterait. Il s’était peut-être montré trop précipité et c’était ce qui avait gâché leur relation. Et s’il avait fini par l’accepter, par refaire surface, ces derniers mois n’avaient pas été de tout repos. C’était bien la première fois qu’il peinait à se remettre d’une relation !

« Je sais que… Tu ne veux pas me croire, que je devrais t’en vouloir pour ce que tu m’as fait, et c’est vrai, je t’en ai voulu. Mais c’était il y a des mois, et c’est passé. Aujourd’hui…Aujourd’hui, j’ai juste besoin de toi » conclut-il finalement.

Au moins, si Lucy était insensible à ses propos et préférait partir, il aurait remporté la médaille du type le plus romantique de toute la création !

Lorsque Noah décide de faire demi tour, de lui tourner le dos, Lucy se surprend à se lever d'un seul coup sans qu'un son ne sorte pour autant de sa bouche. Elle sait qu'elle voudrait lui dire quelque chose mais ne sait pas quoi... Le laisser partir serait une erreur, mais d'un autre côté, elle se dit que ça serait pour son bien. Lui faire du mal est bien la dernière chose que la policière désire... Elle ne peut se mentir et dire qu'elle ne ressent rien pour lui ; il existe encore quelques sentiments à son égard dans son cœur. Pas aussi fort que ceux qu'il éprouve (éprouvait?) pour elle, mais tout de même présent et ça n'est pas donné à tout le monde d'avoir une petite place dans le cœur de Lucy Nelson...

Le journaliste finit par se tourner et par lui adresser la parole à nouveau alors qu'elle pensait que c'était fini. Surprise au possible, elle a l'impression que sa respiration se bloque quand il lui dit qu'il ne peut pas s'en aller comme ça parce qu'il tient trop à elle. Cela lui va droit au cœur, et elle ne peut pourtant pas croire qu'il soit sincère après le mal qu'elle a pu lui faire par le passé... Elle n'arrive pourtant pas à être sincère avec elle même et lui répondre franchement, comme il le lui demande.

Quand elle lui affirme, donc, qu'elle n'arrive pas à le comprendre, qu'elle ne sait pas comment il peut continuer à éprouver d'aussi forts sentiments envers elle alors qu'elle n'a pas été des plus tendre avec lui sur la fin de leur relation, il lui révèle que c'est quand elle est partie qu'il s'est rendu compte à quel point elle lui manquait. À nouveau, son cœur fait un bond dans sa poitrine. Bien qu'elle soit une dure à cuire, Lucy serait un monstre de ne rien ressentir face à de telles révélations. Elle reste une femme et se retrouve même quelque peu fleur bleue devant le discours qu'il lui tient.
Posant sa main sur la joue du beau brun puis sur son torse, elle lui offre un léger sourire.

Je... J'aimerais nous laisser une deuxième chance, Noah...

Souffle t elle avant de baisser les yeux.

Mais tu es quelqu'un de vraiment bien... J'ai pas envie de te faire du mal à nouveau...