11h30, Community Health Service Hospital, Eagle point.

Après trois heures d'opération plutôt difficiles pour extraire plusieurs fragments de verre du corps d'une femme d'une trentaine d'année passée par "accident" à travers la baie vitrée de son salon, Harper quitte enfin le bloc opératoire pendant que les infirmiers s'occupent de panser les plaies.

Epuisée, la jeune femme arrache sans la moindre précaution le masque qui lui couvre le visage et retire la charlotte et la paire de gants qui lui compressent les mains avant de les jeter sans même un regard dans la poubelle la plus proche.
La jolie brune n'a pris son poste à l'hôpital d'Eagle Point que depuis deux jours, et déjà, la pression environnante la submerge.

Passant par les vestiaires pour se rafraichir rapidement et changer de blouse, la jeune femme sent très vite son estomac se contracter en signe de protestation. Avec tout le stress occasionné par cette intervention, Cameron est affamée.

Se dirigeant vers la cafétéria située près du service des urgences, la jeune femme se faufile dans la queue d'affamés qui attendent leur tour. Quand vient le sien, la chirurgienne se commande un grand café noir accompagné d'une part de gâteau au chocolat et d'une pomme. La jeune femme a besoin de reprendre des forces avant qu'on ne l'appelle à nouveau d'urgence.

Portant son plateau jusqu'à une table, Harper s'installe rapidement et croque avec plaisir dans sa pomme lorsqu'un bruit de plateau renversé se fait entendre non loin d'elle. Tournant la tête, la belle brune aperçoit une femme blonde, sans aucun doute pompier à en croire son uniforme, un plateau renversé à ses pieds.
Posant sa pomme, Cameron se lève en vitesse pour lui venir en aide bien que l'envie de rester assise à ne rien faire soit aussi très tentante.

-Tout va bien? Questionne-t-elle rapidement tout en ramassant le gobelet de café dont le contenu est à présent répandu sur le sol.

Juliana adorait son job. Elle se le répétait régulièrement, comme pour ne pas oublier que malgré tout, ce n’était pas toujours facile. Ils récupéraient parfois des gens en sale état. Heureusement, c’était assez rare, et ces temps-ci, l’ambiance était plutôt calme et tranquille. Ce jour-là, la jeune femme s’était rendue à l’hôpital d’Eagle Point pour emmener un blessé – rien de grave, fort heureusement. Mais, une fois ceci fait, elle avait décidé de s’octroyer une pause, ayant du temps devant elle. Ils n’étaient pas débordés et ses collègues se chargeraient de la moindre urgence. Ce fut donc heureuse et surtout affamée qu’elle se rendit à la cafétéria en suivant consciencieusement les panneaux, en se remémorant de vieux souvenirs. A chaque fois qu’elle débarquait là, il lui arrivait une tuile. La première fois, elle s’était perdue dans les couloirs, et un concierge mal intentionné lui avait donné les directives pour se rendre non pas aux toilettes mais dans un vieux cagibi poussiéreux. Depuis, elle s’était jurée de ne plus faire confiance aux inconnus.

Elle se positionna dans la file qui attendait pour prendre à manger, garnit son plateau de la moitié de ce qui était proposé et se dirigea ensuite vers une table à l’écart, dans l’espoir de manger rapidement avant de repartir à la caserne. Evidemment, c’était sans compter sa maladresse légendaire. Alors qu’elle marchait tranquillement tout en essayant de maintenir son plateau droit pour au moins pouvoir manger l’énorme muffin au chocolat qui lui faisait les yeux doux, elle trébucha sur un caillou imaginaire et se retrouva littéralement à quatre pattes sur le sol.

« Et merde ! » jura-t-elle à voix haute, les joues rouges.

Elle venait de se ridiculiser en beauté. Poussant un nouveau juron, elle s’empressa d’essayer de ramasser ce qui pouvait l’être. Déjà, elle pouvait dire adieu à son café. Mais le fameux muffin ? Au même instant, une jeune femme se précipita pour l’aider. Qu’est-ce qui lui prenait ? Ah, la gentillesse. Juliana aurait presque oublié. Ou alors, l’inconnue souhaitait immortaliser ce moment en photographiant sa mine déconfite.

« Ouais, tout va bien. Je voulais tester le confort du sol, c’est tout ».

Elle poussa un soupir tout en se relevant péniblement. Ce n’était vraiment pas son jour. Déjà que l’hôpital en règle générale ne la branchait pas plus que ça, alors en plus si elle devenait la risée de tout une cafétéria !

« Mais merci, c’est gentil ».

S'octroyant une pause bien méritée après une opération longue et fatigante, Harper prie intérieurement pour que personne ne la bipe en catastrophe pour une nouvelle intervention d'urgence. Pourtant, la catastrophe se produit malgré tout, et seulement à quelques mètres d'elle. Une jeune femme vient de renverser son plateau après une légère chute. Immédiatement, Harper se déplace pour aller l'aider. Solidarité féminine sans doute. En dehors de l'hôpital, la jeune femme aurait peut-être sourit de loin et serait restée le cul vissé sur sa chaise, mais sur son lieu de travail, Cameron devient une autre personne, bien plus altruiste. Peut-être parce que celui-ci consiste à sauver des vies, et non pas à emmerder le peuple.

Esquissant un sourire lorsqu'elle entend la remarque de la jeune femme qui lui fait savoir qu'elle cherchait seulement à tester le confort du sol, Harper ramasse rapidement le gobelet en carton désormais quasiment vide et se relève en même temps que l'inconnue qui la remercie.

-Je vous en prie, c'est normal... Répond la jolie brune avec un sourire léger. Venez vous asseoir, je vais vous chercher un autre café. Propose-t-elle avant de s'éclipser sans attendre une réponse de sa part afin qu'elle n'ai pas le temps de refuser.

Se dirigeant rapidement vers le comptoir, Cameron prévient rapidement le personnel du petit accident et commande un nouveau café qu'elle paye avant de rejoindre la femme pompier à sa table. Déposant le gobelet tout chaud devant elle, Harper se réinstalle à son tour devant son propre plateau.

-Vous ne vous êtes pas fait mal? Questionne-t-elle afin de s'assurer que la jeune femme va bien.

Après tout, en tant que médecin, la jolie brune ne peut pas laisser passer une telle chute. Même si il ne s'agit de rien en apparence, Harper préfère prévenir que guérir.

L’inconnue insista auprès de Juliana en disant que ce n’était pas grand-chose, que c’était tout à fait normal, mais Jul’ ignorait si dans ces mêmes circonstances elle aurait agit ainsi. Bon, peut-être, si quelqu’un se mangeait juste devant elle quitte à se blesser sérieusement, elle aurait accouru aussitôt. Sauver la veuve et l’orphelin, ça la connaissait ! Mais avec seulement quelqu’un qui venait de se ramasser avec son plateau, elle se serait juste fendue la poire sans retenue. En attendant, R.I.P énorme muffin au chocolat, tu auras eu le mérite d’avoir une belle vie bien remplie, qui hélas s’est fini sur le sol pas forcément très propre de la cafétéria de ton lieu de vie. Avant même que Juliana ne puisse ouvrir la bouche, sa sauveuse lui proposa de s’installer à sa table et courut lui chercher un café.

« Merci mais c’est pas la... »

Oh, et puis, quelle importance ? Un peu surprise, le pompier obéit néanmoins et se releva avec son plateau vide, pour s’installer à la table qu’elle lui avait désigné. Au moins, elle pourrait toujours se consoler avec un café. Et elle ne grossirait pas avec le muffin cité précédemment. Elle observa l’inconnue revenir avec un gobelet rempli et un sourire éclaira son visage. Pourquoi donc avait-elle fait ça ? Avait-elle glissé un quelconque poison dans son gobelet ? Non, quand même. Elle devait vraiment arrêter la télévision. 

« Merci. Vous n’étiez pas obligée, hein. Enfin, je veux dire, c’est pas comme si vous m’aviez foncé dedans ! »

Elle lui en fut néanmoins reconnaissante et saisit le gobelet entre ses mains. Au moins un peu de réconfort. Ensuite, elle leva les yeux vers celle qui avait volé à son secours sans hésitation et parut heureuse qu’on s’inquiète pour elle. C’était assez rare pour être signalé.

« Non, ça va. J’ai déjà vu pire ! »

Le nombre de chutes qu’elle avait fait, surtout en exercice d’ailleurs ! Son métier n’était pas de tout repos et, casse-cou qu’elle était, il lui arrivait bien souvent de se faire mal. Elle porta ensuite le café à ses lèvres et en but une gorgée, satisfaite d’avoir au moins pu récupérer ça. Comme elle n’était pas si pressée que ça et qu’elle aimait faire de nouvelles connaissances – surtout dans cet hôpital où elle se rendait fréquemment, elle demanda :

« Vous bossez ici, alors ? Qu’est-ce que vous faites exactement ? »

Elle, ce n’était pas trop difficile à devenir, en voyant son uniforme, en tout cas.

Lorsque la jeune femme à qui elle a apporté son aide la remercie en lui faisant savoir qu'elle n'avait pas besoin de lui acheter un café puisqu'elle n'était pas responsable du sors réservé au précédent, Harper hausse les épaules et affiche un sourire amusé.


-Profitez-en, je suis pas toujours aussi gentille...Souffle-t-elle d'un air malicieux bien qu'il s'agisse là se la stricte vérité.

Bien qu'elle soit irréprochable dans son travail et une amie sur laquelle il est possible de compter lorsqu'on apprend à la connaître vraiment, Harper peut aussi se révéler être une véritable garce par moments. La faute à son éducation sans doute. Personne ne lui a jamais posé de limite, et la jeune femme s'est toujours plus à les repousser, encore et encore. Peut-importe le domaine, Harper est souvent imprévisible, ne fait jamais les choses à moitié et surtout, tire toujours tout ce qu'elle peut de la moindre occasion. En bien ou en mal, Harper se donne toujours à 120%.

Aujourd'hui, la jeune femme a néanmoins besoin  de relâcher la pression et de prendre une pause, ne rien faire en rapport avec la médecine pendant quelques minutes. Pourtant, instinct de médecin oblige, la jolie brune s'inquiète tout de même pour la femme pompier qui vient de s'installer à ses côtés après une chute. Rapidement, la chirurgienne l'interroge sur son état de santé et se trouve rassurée lorsque la jolie blonde lui fait savoir que tout va bien.

-Tant mieux alors... Souffle-t-elle avec un sourire tout en portant son propre café à ses lèvres.

Avalant plusieurs gorgées d'affiler, appréciant la chaleur presque douloureuse du liquide bouillant qui se fraie un chemin jusqu'à son estomac, la jeune femme repose son café tout en hochant la tête lorsque la jeune femme la questionne.
Portant par réflexe sa main à sa bouche pour retenir une goutte de café imaginaire à ses lèvres, Cameron lui donne rapidement une réponse.

-Je bosse aux urgences, je suis chirurgienne. Répond-t-elle avec un demi sourire. Je suppose qu'il serait idiot de vous demander dans quoi vous bossez... Ajoute-t-elle en indiquant l'uniforme de la jeune femme d'un coup de menton.

-Au fait, je m'appelle Harper... Dit-elle en tendant une main amicale à la jeune femme.

Après tout, si elles doivent passer les prochaines minutes en compagnie l'une de l'autre, autant qu'elles sachent l'une comme l'autre à qui elles ont affaire.

Entrée en matière assez peu commune que celle de buter sur un caillou imaginaire pour ensuite s’étaler sur le sol d’une cafétéria, avant de faire la connaissance de quelqu’un. Juliana avait essayé beaucoup de choses, il lui était arrivé des tas de trucs, mais ça, jamais. Personne n’avait d’appareil photo pour immortaliser sa chute, ce qui était déjà pas mal. Son regard se leva subrepticement vers le ciel. Pas de caméra à l’horizon. Ouf. En même temps, quel était l’intérêt de filmer des gens en train de manger leurs brocolis, sérieusement ?
Pas toujours gentille ? Bon. Juliana survivrait. L’inconnue semblait aussi douce qu’un agneau et, malgré toute sa bonne volonté, elle la voyait mal se montrer méchante. Enfin, elle n’en savait rien. Préjugés à la noix. Comme d’habitude, Jul’ s’emballait pour un rien. Il fallait vraiment qu’elle évite les premières impressions !

« J’en prends note » sourit-elle. « Et maintenant, je vous dois un café ! »

Le comble aux yeux de Juliana aurait été de se fouler une cheville, ou même pire, en renversant son plateau. Elle qui bravait le danger, qui prenait des risques parfois inconsidérés, pour venir en aide à la veuve – le veuf serait plus approprié dans ces circonstances – et l’orphelin, aurait été alitée pendant des semaines à cause de ça. Elle n’osait imaginer la tête de ses collègues si une telle scène arrivait. Point positif, elle se trouvait déjà dans un hôpital et elle n’aurait pas beaucoup de chemin à parcourir pour qu’on s’occupe d’elle.

Son interlocutrice était donc chirurgienne, aux urgences. Quel métier passionnant. Tout comme celui de Juliana, cela devait être éreintant, difficile, mais tellement grisant. Son regard s’illumina. Jul’ ne se voyait pas faire autre chose que son job et ce devait sûrement être pareil pour la jeune femme. Toutes deux partageaient ce point commun et ce n’était pas un détail négligeable.

« Chirurgienne ? Wow ! C’est génial, ça ! Et vous bossez ici depuis longtemps ? » Elle marqua une pause puis un sourire amusé éclaira son visage. « Dans le mille ! Je bosse à la caserne de Shady Cove, si vous connaissez. Les pompiers sont des brutes, mais j’estime bien m’en sortir ».

Tous les jours, elle avait affaire à des démonstrations de la virilité masculine. Ce n’était  pas dérangeant en soi, bien sûr, d’autant que les hommes en question arboraient des corps musclés sur lesquels Juliana appréciait de se rincer l’œil sans aucune retenue, mais malgré tout, ils en faisaient parfois trop. Et puis l’accepter, elle, l’anglaise, dans la caserne, n’avait pas été chose facile. Une femme pompier ? Bon. Ce n’était pas encore ça.

« Enchantée, Harper ! Moi, c’est Juliana. Je préfère Jul’ ! »

Lorsque la jeune femme fait savoir à Harper qu'elle lui doit un café, la jolie brune esquisse rapidement un petit geste de la main, pour lui faire savoir qu'elle n'a pas besoin de lui rendre la pareille. Harper n'a pas fait ça pour que la jeune femme lui retourne l'intention, seulement par gentillesse, même si comme elle l'a expliqué un peu plus tôt, elle ne se montre pas tous les jours aussi sympa avec tout le monde.

-Pas la peine, ça m'a fait plaisir... Dit-elle dans un léger sourire.

Prenant quelques gorgées de café, la jolie brune l'aimant chaud, et pas tiède, Harper explique par la suite au pompier, qu'elle travaille aux urgences de l'hôpital. Cette nouvelle semble impressionner la jeune femme, ce qui arrache un sourire au médecin qui secoue la tête lorsque la jolie blonde lui demande si elle exerce ici depuis longtemps. A vrai dire, Harper vient tout juste de prendre ses fonctions au sein de l'hôpital. Malgré tout, la jeune femme se sent déjà parfaitement bien intégrée à son équipe, même si quelques unes de ses collègues ont l'air d'être de vraies pestes.

-Deux jours! Fait-elle savoir avec un nouveau sourire. Je viens d'être mutée ici. J'étais à San Francisco avant... Confesse-t-elle avant d'afficher un air tout à fait surpris lorsque la jeune femme lui annonce qu'elle bosse pour la caserne de pompiers de Shady Cove.

-Un peu que je connais Shady Cove, je suis née là bas! S'exclame la jeune femme ravie d'apprendre que la jeune femme est sans doute l'une de ses "voisines". Mais vous avez raisons, les mecs peuvent êtres de vrais cons quand il s'agit d'intégrer une femme dans une équipe...

Après tout, Harper sait de quoi elle parle, elle même a subit les allusions idiotes de ses collègues masculins lors de sa formation au mémorial hospital de San Francisco. La jolie brune ne compte plus le nombre de fois où on lui a conseillé d'aller faire de la broderie plutôt que de vouloir apprendre à recoudre les gens. Heureusement, parce qu'Harper n'est pas du genre à se laisser faire sans distribuer quelques paroles assassines, voire même quelques coups, ce genre de petites plaisanteries n'ont pas réellement durées.

Se présentant finalement à la jeune inconnue, Harper préférant savoir à qui elle s'adresse en règle générale, la jolie brune adresse un sourire à celle qui se présente sous le nom de Juliana tout en serrant sa main avec conviction.

-Enchantée Jul'! Souffle-t-elle avec un regard de connivence.

Même si Harper insistait en disant que cela lui avait fait plaisir, Juliana ne pouvait s’empêcher de se sentir un peu gênée. Certes, il ne s’agissait que d’un café, mais quand même. S’il y avait bien quelque chose qu’elle pouvait détester, c’était avoir des dettes ! Mais dans le cas présent, elle aurait peut-être d’autres occasions de se rattraper. Surtout quand elle apprit que son interlocutrice venait elle aussi de Shady Cove ! Juliana fut vraiment heureuse de l’apprendre. Elle ne connaissait pas encore beaucoup de monde en ville et n’avait pas forcément beaucoup d’amis à côtoyer. En fait, à part sa sœur et une ou deux bonnes amies qu’elle s’était faite au fil du temps, il n’y avait personne. Et c’était bien dommage, elle qui était aussi folle que sociable.

« Deux jours ? » répéta-t-elle, un peu surprise. « Je suppose que ça doit vraiment vous changer, de passer de San Francisco à Shady Cove. Je vous comprends ! Je me suis installée ici il y a bientôt trois mois, l’acclimatation n’est jamais vraiment facile. En tout cas, si jamais vous avez besoin de quoique ce soit, n’hésitez pas ! ».

Juliana était ravie de voir que, malgré le fait qu’elle se soit littéralement mangée devant Harper, un certain feeling s’était instauré entre elles en quelques minutes. Après tout, Jul’ découvrait qu’elles avaient plus de points communs qu’elle n’aurait pu le penser d’abord. Outre le job difficile qu’elles exerçaient, elles étaient toutes les deux relativement nouvelles à Shady Cove et, surtout, avaient dû se faire une place dans un monde d’hommes. L’intégration étant encore récente, Juliana se souvenait parfaitement des premiers jours ici. On l’avait regardé de haut, on s’était demandé ce qu’elle venait faire là au lieu d’être restée en Angleterre, et… elle n’avait pas eu le cran de leur répondre. Sa simple réponse ? Voir du pays, changer d’air. Si seulement. Si seulement il n’y avait que ça.

« Oui, je suis totalement d’accord. Quand ils m’ont vu arriver la première fois, ils croyaient que je m’étais trompée d’endroit et m’ont clairement fait comprendre qu’ici, c’était une caserne de pompiers. Comme si ce n’était pas assez explicite ! »

Elle sourit à ce souvenir. Heureusement, aujourd’hui, ils la percevaient enfin à sa juste valeur. Pas seulement une femme, une étrangère, mais une tigresse qui avait peut-être plus de cran que certains hommes dans le coin. Et cela, indubitablement, forçait le respect. Elle serra chaleureusement la main de la jeune femme et but en même temps une gorgée de son café. Maintenant que les présentations étaient faites, et suivant l’habitude de Juliana d’être amie avec tout le monde, elle la tutoya le plus naturellement du monde.

« Alors, pourquoi tu es partie de San Francisco ? La ville était trop grande ? »


C'était une question que la jeune femme se posait, bien sûr. Ce n'était quand même pas courant, ce genre de déménagement, et elle avait hâte d'en apprendre les raisons !

Hochant la tête en guise d'approbation lorsque Juliana lui fait remarquer que l'ambiance doit être autrement différente à San Francisco qu'à Shady Cove, Harper ne peut qu'être d'accord avec elle. L'effervescence de la Californie, son ambiance et ses habitants sont vraiment différents de ce que l'on peut trouver ici en Oregon, tout spécialement à Shady Cove qui n'est finalement qu'une toute petite ville, mais la jeune femme n'est malgré tout pas mécontente de retrouver sa ville natale. Bien sur, San Francisco lui manque, ses collègues, ses amis, mais en revenant à Shady Cove, Harper savait qu'elle prenait ce risque, et puis, ce n'est pas comme si elle arrivait ici sans le moindre repère. Une bonne partie de sa vie est ici, peut-être même la meilleure. De toute façon, rester à San Francisco n'était plus une option, pas avec Shawn Leicester sur le dos...

-C'est vrai que c'est étrange de passer si vite d'un mode de vie à l'autre, mais j'ai toujours aimé Shady Cove, je suis pas déçue d'y revenir. C'est gentil en tout cas, j'y songerais à l'occasion... Répond-t-elle avec un sourire.

Prenant quelques gorgées de café pendant qu'il est encore bien chaud, Cameron ne l'aimant que comme ça, noir et bouillant, la jolie brune explique à la jeune femme en face d'elle qu'elle trouve le comportement des hommes face  à des femmes exerçant le même métier qu'eux, souvent déplacé et misogyne, chose qu'elle a beaucoup de mal à supporter, étant donné son caractère bien trempé.


-De vrais trouducs... Commente la jeune femme avec un sourire entendu.

Croquant dans sa pomme afin de la finir avant que sa chair n'ai le temps de s'oxyder, chose qu'elle déteste par dessus tout, Harper secoue négativement la tête le temps d'avaler le contenu de sa bouche avant de donner une explication à la jolie blonde, sur les raisons de son retour ici. Bien sur, il ne s'agit là que de la version qu'à choisis de donner la belle brune qui ne souhaite pas s'étaler sur les véritables motifs de son retour.

-Ma famille me manquait et j'avais besoin d'un petit retour au sources... Fait-elle savoir tout en faisant tourner sa pomme entre ses doigts pour trouver un endroit où la peau n'a pas encore été croquée.

En réalité, c'est parce qu'elle savait que sa carrière était compromise à San Francisco que la jeune femme a décidé de revenir exercer ici. Son ancien patron lui aurait sans doute pourrit la vie comme il promettait de le faire si elle était resté en Californie. Harper a donc préféré fuir. Et puis, voilà une belle occasion de montrer à tout le monde à Shady Cove que la famille Cameron n'a pas engendré que des bons à rien comme tout le monde semble le penser...

-Tu m'as dit que tu t'étais installé ici il y a trois mois non? Pourquoi Shady Cove alors? Questionne-t-elle à son tour, curieuse de savoir ce qui a pu pousser la jeune femme à venir s'enterrer ici.

Ainsi, Harper connaissait déjà Shady Cove avant de quitter San Francisco pour s’installer ici. Cela semblait plutôt logique, puisque rares devaient être les citadins à connaître une ville aussi petite et ordinaire que celle-ci ! Cette histoire l’intéressait. Le regard illuminé, elle s’empressa alors de demander :

« Alors tu connaissais déjà Shady Cove avant ? Je suis d’accord avec toi, cela dit. Ici, c’est le meilleur endroit pour recommencer à zéro… Enfin, presque, évidemment. Ça ne m’étonne pas que San Francisco ne te convenait plus ».

Elle ne connaissait pas grand-chose de l’histoire d’Harper, certes, mais Juliana était loin d’apprécier les villes en général. L’Oregon était une région parfaite pour se ressourcer, comme le disait si bien son interlocutrice, et Juliana se serait sentie à l’étroit dans une ville telle que San Francisco. Elle n’y avait jamais mis les pieds et ce n’était pas son souhait le plus cher. La campagne lui plaisait bien mieux, posséder une maison avec un jardin, pouvoir marcher à travers les champs, ne pas se soucier des klaxons et de la pollution… C’était une vie rêvée pour elle. Shady Cove n’était peut-être pas l’endroit parfait, mais c’était ce qui se rapprochait le plus du paradis. Elle hocha la tête, un sourire aux lèvres, face à l’insulte, partageant totalement l’avis d’Harper. Ses collègues n’étaient pas méchants, et heureusement, juste un peu lourds, de temps en temps. Mais elle commençait à les apprécier et peut-être parviendrait-elle à les considérer comme sa seconde famille, comme en Angleterre. Mais le chemin était encore long avant d’y parvenir.

« Ouais, j’comprends. La famille, ce n’est pas toujours facile, mais on serait incapable de s’en passer ».

Elle parlait pour elle, bien sûr, étant issue d’une famille particulièrement soudée, elle n’avait jamais manqué de rien et adorait ses parents et ses deux sœurs. Il y avait peu de conflits entre eux et ils avaient toujours tendance à se soutenir dans les moments difficiles. Parfois, c’était même encombrant. Mais au moins, Jul’ n’était jamais toute seule, et c’était le plus important. D’ailleurs, Harper lui demanda ce qu’elle était venue faire ici. Son sourire s’élargit.

« Je me suis installée chez ma sœur, Alyssa. Je vivais en Angleterre avant, et… Elle m’a proposé de venir vivre chez elle quelques temps. Je n’ai pas pu refuser ».

Comme d’habitude, Juliana resta vague sur les vraies raisons, mais quelle importance ? Elle menait une discussion joyeuse en compagnie d’une jeune femme très sympa et n’avait pas envie de plomber l’ambiance avec ses problèmes de conscience suite à la mort d’un de ses collègues, quand elle était encore en Angleterre. Après tout, elle aurait le loisir d’en parler en temps voulu.

Lorsque Juliana conclue qu'elle a déjà vécu à Shady Cove avant aujourd'hui, Harper s'empresse de hocher la tête. En effet, la jeune femme a déjà vécu à Shady Cove. Elle a passé en tout et pour tout dix huit ans de sa vie dans cette petite ville. Autant dire une éternité...

-Ouais, je suis née là-bas... Fait-elle savoir avec un léger sourire.

Acquiesçant d'un signe de tête lorsque la jolie blonde admet estimer que Shady Cove est l'un des meilleurs endroits pour recommencer à zéro, Harper ne peut qu'être d'accord avec elle. Bien que les rumeurs sur ses habitants soient plutôt agaçantes la plupart du temps, sa ville natale est malgré tout un endroit relativement calme et sympathique, peut-être même trop calme et sympathique à son goût. Harper a besoin d'action, de sentir ses veines palpiter sous l'effet de l'excitation. Heureusement, la jeune femme sait pimenter suffisamment son quotidien pour qu'une ville comme Shady Cove soit à même de lui convenir. Après dix huit ans passé là-bas, la jolie brune sait désormais comment mettre un peu d'action dans les rues inanimées de la ville.

-Crois moi, tu dis ça parce que t'es pas née dans ma famille... Plaisante la jolie brune lorsque Juliana lui fait remarquer qu'il est difficile de se passer de sa famille.

Loin des siens, Harper a très bien vécu. Certes, le manque se faisait ressentir parfois, mais repartir à zéro loin des rumeurs circulant sur sa famille, avoir la possibilité de se construire sa propre réputation sans que les gens ne voient en elle le simple reflet de la déchéance parentale a vraiment profité à la jeune femme même si au fond, elle n'a jamais réellement réussi à renier ses origines et à changer qui elle était.

Questionnant finalement la jeune femme sur les motifs de sa venue à Shady Cove, Harper esquisse un sourire tandis qu'elle lui explique être venue d'Angleterre pour vivre en compagnie de sa soeur.

-Ca va, la pluie ne te manque pas trop?  Questionne-t-elle avec un sourire amusé, légèrement moqueuse.

Il s'agit là d'un énorme cliché sur l'Angleterre sur lequel Cameron n'a pas hésité à jouer. Harper est moqueuse et ne rate jamais une occasion de le faire savoir bien qu'il ne s'agisse jamais de quoi que ce soit de très méchant, à moins que la personne en face d'elle ne l'ai vraiment cherché et mérité.

Renouer avec ses origines, Juliana trouvait l’idée terriblement romantique. Si elle avait dû choisir entre San Francisco et Shady Cove, son cœur aurait immédiatement penché pour Shady Cove. Puis elle songea à Oxford. Oxford, son ancienne ville d’habitation, la ville qu’elle connaissait par-cœur, les rues animées, l’ambiance si particulière qu’elle adorait. Peut-être serait-elle restée si les choses n’avaient pas été si différentes. Peut-être aurait-elle préféré rester en ville plutôt que de s’enterrer à la campagne. Enfin, là n’était pas la question et elle sourit timidement quand Harper lui répondit qu’elle n’était pas née dans sa famille ! C’était peut-être le cas, car Jul’ ne pouvait pas se plaindre de la sienne. Parmi tous les tarés de la planète, elle était tombée dans une famille relativement normale avec deux parents aimants et deux sœurs aussi adorables que démoniaques, mais à peu près saines d’esprit. Ça restait à vérifier.

« Ouais, ça doit être ça. Mais je crois que toutes les familles sont un peu cinglées, à leur façon. Certaines plus que d’autres, sans doute ! »

Quand Harper lui demanda si la pluie ne lui manquait pas trop, Juliana laissa échapper un rire franc et sincère, ce qui détendit considérablement ses traits. Ah ! L’éternel cliché concernant l’Angleterre. Il y avait du soleil, malgré tout. Parfois. De temps de temps. Certes, le ciel était souvent pluvieux et grisâtre, mais elle avait grandi là-bas et n’y faisait plus attention. Malicieuse, elle rétorqua :

« Elle me manque plus que les énormes hamburgers remplis de cochonneries et tout ce qui constitue la nourriture américaine ! »

Juliana se moquait volontiers de ce qu’on mangeait ici, aux Etats-Unis. Cela faisait plusieurs mois qu’elle se trouvait là et elle ne parvenait pas à s’y habituer, regrettant à chaque fois son Angleterre natale. Ici, du moins dans les villes plus imposantes, les fast-foods pullulaient et dans les supermarchés, le moindre paquet de nourriture était prévu pour nourrir au moins cinquante personnes, visiblement. Et elle exagérait à peine. Enfin, heureusement, elle parvenait tout de même à se nourrir à peu près convenablement !

Un sourire au coin des lèvres, Harper ne peut qu'être d'accord avec Julianna qui fait remarquer que toutes les familles sont un peu cinglées à leur façon. Pour sa part, sa famille n'a jamais été comme une vraie famille. Oh bien sur, elle a des parents et un frère, cela ne fait aucun doute, mais leur comportement a toujours été celui d'amis, de ceux que les vrais parents considèrent comme de mauvaises fréquentations, de ceux qui vous félicitent lorsque vous réussissez votre premier larcin, parce que finalement, ils voient en vous une petite partie d'eux. Voilà ce qu'à toujours été la famille Cameron, de mauvaises fréquentations... Tout le monde en ville le dit, et Harper elle même a déjà eu l'occasion de s'en rendre compte. Mais il s'agit de sa famille, et elle l'aime malgré tout.

-Ca ne fait même aucun doute... Commente-t-elle avec un sourire.

Questionnant finalement la jolie blonde à propos de l'Angleterre, souhaitant savoir si son pays lui manque, Harper n'hésite pas à faire de l'humour avec cette jeune femme qu'elle ne connait pour ainsi dire pas du tout, en abordant un sujet "sensible", la pluie. Véritable cliché lorsque l'on parle de l'Angleterre...!

La réponse de Juliana arrache un léger rire à Harper. La jeune femme vient elle aussi, de pointer du doigt l'un des plus gros clichés américains, la nourriture. Et au fond, la jeune femme est dans le vrai. Les nombreux fastfoods et autres chaines de vente à emporter sont nombreuses à avoir vu le jour, et plus nombreux encore, sont ceux qui y mangent, mais l'Amérique du nord a tout de même une histoire gastronomique bien plus diversifiée, notamment grâce à l'immigration! Quoi qu'il en soit, Cameron ne peut qu'être d'accord, même si elle même est accro à la junk food.

-C'est vrai, on mange gras et on ignore souvent ce qu'on a dans notre assiette, mais avoue que c'est quand même très bon! Fait-elle remarquer avec un sourire.

Après tout, rares sont ceux qui peuvent dire qu'ils n'ont eux même jamais mangé dans un fastfood. La simplicité, la rapidité du service, font que beaucoup privilégient ce mode de nourriture plutôt que quelque chose de plus équilibré. Malheureusement, beaucoup en font aussi les frais, Harper en est témoin chaque jour à l'hôpital, lorsque les urgences reçoivent toujours plus de personnes obèses ayant fait un arrêt cardiaque ou autre malaises.

Juliana songea à sa famille, à ses parents et à sa sœur cadette, restés en Amérique, avec qui elle s’efforçait de garder le contact. Ce n’était pas toujours facile. Elle s’était éloignée d’eux pour se rapprocher d’Alyssa et l’idée la réjouissait. Et au moins, elle s’était intégrée – à peu près – au sein de la population de Shady Cove. Tous ne l’avaient pas accueilli à bras ouverts, bien sûr. Certains lui lançaient même des regards haineux. Juliana éclata de rire quand elles évoquèrent la nourriture délicieusement grasse des Etats-Unis, l’un de ses meilleurs clichés. Bien sûr, elle savait qu’il n’y avait pas que ça. Que la culture gastronomique s’était forgée au cours des siècles par les vagues d’immigration. Mais Jul’ était trop fière de son Angleterre natale pour reconnaître la diversité de la cuisine américaine.

« Je m’incline, c’est parfois super bon… Parfois seulement. Mais je suis sûre que si tu venais en Angleterre, tu ne voudrais plus en repartir ! »

Car comment résister à l’attraction britannique ? Son cœur se serra de nostalgie. Elle n’avait plus trop envie d’en parler, au risque de fondre en larmes. Et elle n’avait pas trop envie d’éclater en sanglots devant une semi-inconnue, au risque d’inonder son café fraîchement acheté. Cela aurait été du plus mauvais effet ! Au lieu de cela, elle préféra reporter la conversation sur Shady Cove. Même si Harper revenait seulement en ville, elle devait tout de même avoir un certain nombre d’anecdotes croustillantes à raconter. Sur la population, notamment.

« Alors… Je suppose que tu connais encore les habitants de Shady Cove, la plupart n’ont sûrement pas changé depuis ton départ, y a longtemps. Qu’est-ce que tu peux me dire sur eux ? Je préfère savoir à qui j’ai affaire » Elle sourit légèrement. « … Il y en a éviter ? Des types pas très fréquentables ? Ce genre de trucs, ça m’intéresse ».

Oui, peut-être qu’Harper connaissait des choses sur la ville que Juliana ignorait. Et comme il y avait trop longtemps que celle-ci n’avait pas échangé de ragots, elle était toute disposée à entendre des calomnies sur les habitants de Shady Cove. Comme on dit, parfois, cela fait tellement bien de dire du mal. Peut-être qu’Harper savait des choses et elle était impatiente à l’idée de les entendre. Et puisque les gens passaient leur temps à répandre des rumeurs, pourquoi ne se laisserait-elle pas prendre au jeu ?

Avec un léger éclat de rire, Harper est heureuse de voir que Juliana soit en mesure d'admettre que la nourriture servie ici, aux Etats-Unis, n'est pas si mauvaise mais plus amusée encore, par le chauvinisme dont elle fait preuve vis à vis de l'Angleterre.

-Si j'y vais un jour, c'est promis, je te ferais un compte rendu de mes impressions! Propose-t-elle avec un sourire amusé.

Le sujet déviant finalement sur leur plus grand point commun, à savoir Shady Cove, Harper est de nouveau amusée par la question que lui pose Juliana. En effet, elle sait qui sont les personnes à éviter en ville, du moins, pour ceux qui y vivent depuis des années, mais aussi ceux à fréquenter, mais elle doute que Juliana soit de son avis. En général, Cameron fait plus partie des marginaux...

-A en croire la plupart des gens, je suis le genre de personne à ne pas fréquenter... Fait-elle savoir avec un sourire malicieux. Mais si rentrer dans le moule n'est pas ton objectif, alors je dirais que la plupart des gens là bas sont à éviter. Ils sont tous trop à l'affut de tes moindres faits et gestes... Explique-t-elle avec sincérité.

C'est ce qu'elle pense de la plupart des habitants de la ville, et ceux-ci le lui rendent bien, notamment les habitants les plus âgés dont le seul et unique passe temps, mis à part chercher leur dentier ou leurs lunettes, et de cracher sur le reste de la ville en compagnie des meilleures langues de vipères du coin. Mis à part ses amis, Harper ne fait pas confiance à grand monde à vrai dire au sein de la petite ville.

Heureuse de cette réponse, Juliana approuva d’un hochement de la tête. De toute façon, elle essayait de persuader tous ceux qu’elle croisait de se rendre en Angleterre, le plus beau pays au monde selon elle. Jusque-là, les gens assuraient qu’ils iraient un jour, sans vraiment y croire, en plaisantant. Pour lui faire plaisir. Mais elle s’en fichait, sa terre natale était extraordinaire et un jour, ils se rendraient compte à quel point elle avait raison ! Quand Harper lui expliqua qu’elle n’était pas le genre de personnes à fréquenter, du moins selon les habitants de Shady Cove, Juliana fronça les sourcils. Elle, la si gentille et souriante Harper, n’était pas fréquentable ? Impossible. Les gens se trompaient.

« Je ne veux pas rentrer dans le moule » assura-t-elle aussitôt, comme pour s’assurer sa sympathie. « Ce n’est pas dans mes habitudes ».

Elle était sincère. Juliana était loin d’être méchante, au contraire, peut-être un peu naïve. Elle voulait qu’on l’aime, bien sûr, mais se considérait elle-même comme une marginale, une fille un peu folle aux accès de panique fréquents. Alors en règle générale, on préférait l’éviter. Elle tâchait de ne pas s’en plaindre.

« C’est juste que… Ces gens me regardent un peu bizarrement et… Je n’ai pas envie de me faire avoir, tu comprends. J’ai pas tellement envie qu’on se serve de moi. Evidemment, je viens de débarquer, alors on a pas encore eu le temps de dire des trucs à mon sujet, mais je préfère me méfier. C’est pour cette raison que j’aurais aimé connaître ceux qu’il valait mieux ne pas fréquenter. Hormis toi, bien sûr. Je suis sûre qu’ils racontent n’importe quoi à ton sujet ! »

Jul’ n’aurait su dire la raison, mais Harper lui inspira confiance. Peut-être se trompait-elle, comme souvent, mais son joli visage et sa bonne humeur lui plaisait beaucoup. Et elles partageaient en commun un métier difficile et assez singulier, si bien que la jeune femme la comprenait. Avec un peu de chance, elle parviendrait à s’en faire une alliée dans ce monde de brutes.

Ne pas rentrer dans le moule. Voilà une réponse qui satisfait vraiment Harper. Pour sa part, elle n'est jamais réellement rentré dans le moule, n'a jamais fait ce que l'on attendait d'elle. Même en faisant de brillantes études et en trouvant un poste bien placé en tant que chirurgienne urgentiste, la jeune femme a pris soin de ne pas faire ce qu'on lui demandait. Tout le monde escomptait la voir finir coiffeuse comme sa mère, ou bosser au garage grâce à son père, mais une fois de plus, Cameron a réussit à épater la galerie... Une belle victoire.

-T'as bien raison... Rien de mieux que l'anticonformisme. Assure-t-elle avec un sourire.

Hochant positivement la tête lorsque Juliana lui explique son ressentit par rapport aux personnes qui habitent à Shady Cove, Harper ne peut que la comprendre. Malgré tout, lorsque la jolie blonde lui assure être certaine que la plupart des gens racontent des mensonges à son sujet, la jolie brune ne peut s'empêcher de tiquer.

- Si tu veux éviter les ennuis, évite surtout les gens trop gentils. Ils te mettent en confiance, te font parler un petit peu, et quelques jours plus tard, tout le monde sait tout sur toi... Et puis, les petites vieilles et les bourgeoises arrivistes... Les pires si tu veux mon avis. Explique-t-elle avec un sourire amusé. En ce qui me concerne... Je dirais que la plupart des gens disent la vérité à mon sujet, peut-être même qu'ils minimisent... Mais j'assume ce que je fais!

Harper n'a pas peur de montrer qui elle est. La plupart des rumeurs qui circulent ou ont un jour circulé à son propos en ville sont réellement arrivés, mais parce qu'elle se moque de ce que l'on peut dire à son sujet, la jeune femme ne cherche pas à les contredire, au contraire...

Bien sur, la jeune femme est consciente que ce genre de "révélations" pourraient faire fuir le pompier en face d'elle, mais Cameron a toujours privilégié la franchise, ce qui n'a d'ailleurs jamais amélioré sa réputation. Mais peu importe, elle ne compte pas changer pour autant.

Juliana, elle, se fondait rarement dans la masse. Déjà avec son métier, ce n’était pas le plus facile, mais en plus avec sa capacité étrange à s’emmêler les deux pieds pour s’étaler sur le sol et à piquer une crise pour pas grand-chose. Mais elle adorait malgré tout cette idée. Qu’on se souvienne d’elle était déjà une excellente chose ! Elle approuva d’un frénétique hochement de la tête suite aux propos d’Harper. Il valait mieux à ses yeux ne pas être conforme aux normes imposées par la société, c’était beaucoup plus amusant.

Elle l’écouta attentivement, intéressée par les propos de la jolie brune qui expliquait de qui il valait se méfier le plus. Les gens gentils ? Bien sûr. Mais à ce compte-là, ne devait-elle pas se méfier de tout le monde ? A la fois des salopards de première et des gens arborant un sourire trop large pour être honnête ? Et d’Harper, devait-elle se méfier ? Après tout, elle la connaissait à peine et était déjà tombée dans le panneau plus d’une fois.

« Je me méfierai » promit-elle. « Mais je crois que je n’ai pas beaucoup de flair pour détecter ce genre de personnes. Surtout à Shady Cove, elles doivent être nombreuses. Et l’instinct, c’est pas trop mon truc. »

Elle se tut, les yeux rivés sur son gobelet de café presque vide, et songea que décidément, les relations humaines étaient la chose la plus compliquée du monde. Et la plus bizarre également. Mais on ne pouvait vivre sans, sans ce contact avec autrui, car c’était justement cela qui nous faisait avancer. C’était peut-être pour cette raison que Juliana était si naïve : elle avait trop besoin de ce contact. Qu’importe les conséquences. Elle releva les yeux, un peu surprise, et s’exclama :

« Vraiment ? Je t’avoue que je suis surprise. Qu’est-ce qu’une chirurgienne urgentiste pourrait avoir à se reprocher ? Je n’ai pas entendu les rumeurs à ton sujet. Si c’est pas trop curieux de ma part, évidemment. Mais qu’est-ce qu’on peut bien raconter ? »

La question pouvait se poser et, fidèle à elle-même, Jul’ ne prit pas de gants pour le lui demander. Elle n’imaginait pas une seconde qu’une femme aussi jeune, aussi amicale, puisse être la source de ragots divers.

Un sourire au coin des lèvres, Harper est satisfaite d'entendre Juliana lui promettre qu'elle se méfiera à l'avenir, des gens trop gentils, de ceux qui veulent toujours aider et qui finalement, sont rarement d'une aide précieuse.

Pour Harper, la méchanceté est toujours bien plus honnête que la gentillesse. Elle s'est toujours méfiée des personnes au caractère trop facile, qui font souvent leurs mauvais coups en douce pour ne pas décevoir les autres, ou qu'ils ne les voient pas venir. Selon la chirurgienne, les personnes mauvaises n'ont plus rien à cacher, tout le monde sait à quel point elles peuvent être mauvaises, ce qui facilite grandement la tâche quand il s'agit de s'en protéger ou de s'en faire des amis.

-T'en fais pas, après deux ou trois mauvaises expériences, tu sauras les repérer...Rassure-t-elle la jolie blonde lorsqu'elle lui avoue ne pas être certaine de reconnaitre les bonnes personnes, des mauvaises.

Pour sa part, Harper est considérée comme une mauvaise fréquentation. La plupart des gens en ville ne l'apprécient pas, sans doute parce qu'elle n'a jamais mâché ses mots, ou n'a jamais hésité à faire ce que bon lui semble quelles qu'en soient les conséquences. C'est ce qu'elle explique d'ailleurs au pompier sans manifester la moindre gêne. Elle est consciente de ne pas être la meilleure personne qui soit.

-J'ai pas toujours été aussi "droite"... Encore aujourd'hui, j'aime faire tout ce dont j'ai envie sans me soucier de ce qu'on en pense, c'est sans doute ce qui déplait aux gens. On dit souvent que je suis de la mauvaise graine, que je met le bordel partout où je passe...On apprécie pas trop le fait que je sois trop "libérée".. Explique-t-elle avec un léger sourire presque nostalgique.

Depuis un bon nombre d'années déjà, les rumeurs circulant à son sujet sont restées les mêmes. Une fille facile, un garçon manqué, la digne fille de son père, et parfois même de sa mère... Mais comme toujours, tout cela lui passe aisément par dessus la tête, peu importe ce que l'on dit à son propos, Harper n'est pas prête de changer.

Plus facile à dire qu’à faire, évidemment. Juliana promettait de ne pas faire confiance aux gens trop gentils, mais elle avait déjà commencé, notamment avec un certain Elliot, rencontré quelques temps plus tôt à la caserne. Inexorablement attirés l’un par l’autre, ils s’étaient embrassés, elle s’en souvenait encore, et puis… Plus rien. Elle n’avait plus eu de ses nouvelles après avoir appris qu’il s’était joué d’elle. Ce n’était peut-être pas plus mal, à cause de tous les mensonges proférés, mais bon. Elle tombait facilement dans le panneau et n’était sûrement pas prête à changer.

« J’espère bien ! J’en ai déjà vécu une à Shady Cove, c’est suffisamment traumatisant pour que je ne veuille pas recommencer. Il reste la vie en ermite, mais je ne suis pas sûre que ce soit le mode de vie idéal, en fait… »

Harper lui expliqua ensuite, avec une nostalgie retenue, qu’elle n’avait pas toujours été ainsi. Juliana se surprit à se demander quel avait pu être le parcours de cette femme, qu’elle connaissait si peu. Un parcours sans doute chaotique et douloureux. Harper sembla vouloir se justifier. Certaines personnes n’acceptaient visiblement pas son comportement et Juliana connaissait cela. Elle avait eu la chance de grandir dans une famille soudée et aimante, mais l’adolescence ne l’avait pas épargnée et, surtout, l’entrée dans le monde des adultes ne s’était pas fait en douceur. Ses parents avaient eu du mal à accepter son désir de devenir pompier, tout d’abord. Et tant de choses s’étaient passées, depuis…

« Je ne vois pas en quoi ce serait un problème de faire tout ce dont tu as envie. J’aurai plutôt tendance à t’envier ! Non pas que je sois prisonnière ou quoi que ce soit d’autre. Mais parfois, on n’a pas le choix, on doit se plier aux conventions, aux règles de la société… »

Jul’ n’était pas prête à débattre de philosophie ou de tout autre domaine pendant sa pause déjeuner, mais elle aimait discuter avec Harper, qui lui offrait une vision à la fois similaire et différente de la sienne. Et elle admirait sa force de caractère.

« Enfin, je dis ça, mais tu as entièrement raison. Ne pas vivre comme on le voudrait, ça, c’est le genre de torture que je ne pourrais jamais supporter ».

HJ:

Bien qu'elle ne la connaisse finalement pas, Harper est désolée d'apprendre que des mauvaises expériences, la jolie Juliana en a déjà fait à Shady Cove. Pour sa part, elle n'a pas encore eu le temps d'avoir de mauvais contacts depuis son retour, mais elle se doute que la même bonne vieille ritournelle ne tardera pas à reprendre son cours. D'ici peu, la ville se plaindra à nouveau de sa présence entre ses murs, Harper en est persuadée.

Quoi qu'il en soit, tout comme Juliana, la jolie brune n'est pas persuadée que de vivre en ermite soit une bonne solution. Bien qu'elle ne soit pas du genre à s'attacher, Cameron a tout de même besoin de voir du monde, de sentir le contact avec les autres êtres humains. Et puis, après tout, les mauvaises expériences sont celles qui forgent le caractère!

-Vivre en ermite...? Je pense que je ne pourrais pas personnellement. J'ai besoin de voir du monde, même si je me passerais aisément de certaines têtes à Shady Cove! Confie-t-elle avec un sourire.

Expliquant à la jeune femme qu'elle n'a pas toujours été le gentil docteur Cameron qu'elle a sous les yeux, et qu'elle ne l'est d'ailleurs toujours pas à plein temps, la chirurgienne lui fait par du ressentit des habitants de la ville à son sujet. Beaucoup ont du mal à supporter qu'une jeune femme puisse être aussi frivole qu'un homme, aussi masculine aussi par la même occasion, et surtout qu'elle ai si bien réussi dans un domaine où personne n'aurait ne serais-ce qu'imaginé qu'elle puisse avoir sa chance.

-Voilà un truc que je déteste, les règles de la société. Franchement, j'emmerde le peuple! Je pense que tout le monde doit pouvoir être libre de voir midi à sa porte sans que le voisin n'ai son mot à dire. Fait-elle savoir sans la moindre retenue.

Lorsqu'il s'agit de défendre sa cause, et celle de ses "semblables", Harper est intraitable et fait preuve d'une vivacité incroyable. Ce genre de carcans que la société impose, la jeune femme n'aspire qu'à une chose, s'en libérer, et vivre sa vie à 200 à l'heure.

-C'est clair... J'ai jamais vécu avec des barrières, et je ne compte vraiment pas m'y mettre. Assure-t-elle avec un sourire.

[Pas de souci, je m’en occupe  ]

Juliana aimait bien écouter Harper, elle ne semblait pas avoir sa langue dans sa poche et la jeune femme pourrait ainsi apprendre des infos croustillantes sur les habitants de la ville. Mais bon, après avoir achevé son café, elle se doutait bien qu’elle ne pourrait rester là éternellement. Le devoir l’appelait et Harper avait sans doute également ses obligations ! La jeune femme était en train d’expliquer que jamais elle ne pourrait vivre en ermite, et Jul’ la comprenait aisément. Curieux paradoxe, certes, mais elle non plus ne supporterait pas de ne plus voir du monde. Comme on dit, le bonheur est fait pour être partagé et Juliana ne voyait pas vraiment de points positifs à vivre en ermite. Au contraire. Elle deviendrait plus dingue qu’elle ne l’était déjà, de toute évidence.

« Si seulement tout le monde pouvait raisonner comme toi, le monde tournerait beaucoup mieux ! » répliqua-t-elle avec un sourire. La société fonctionnait ainsi et ce n’était pas toujours facile d’accepter de s’y plier, même involontairement. Certaines personnes étaient plus lâches que d’autres et se taisaient plutôt que de s’élever – Jul’ espérait ne pas être ainsi.

Elle continua en silence d’écouter les paroles de son interlocutrice, tout en jouant avec son gobelet vide, et hochait la tête de temps à autre pour montrer son assentiment. Décidément, le caractère d’Harper lui plaisait chaque seconde davantage. Puis, quand la conversation sembla achevée, ou tout du moins quand Juliana se rendit compte qu’elle était déjà à la bourre, elle conclut :

« Bon… Je dois filer, je suis désolée. Je suppose que t’es débordée, toi aussi. En tout cas, j’ai vraiment été ravie de discuter avec toi. J’espère qu’on se reverra à Shady Cove, ou ailleurs ».

Et qu’on se liguera contre les quelques abrutis qui peuplaient la ville, songea-t-elle mentalement. Mais elle se garda bien d’évoquer à voix haute le fond de sa pensée. Au lieu de ça, elle lui adressa son plus beau sourire et acheva par un simple « à bientôt ! », avant de tourner les talons. Oui, elle était sincère, elle espérait avoir bientôt des nouvelles d’Harper, la voir autre part qu’ici, sur son lieu de travail. En dehors, elle ne devait sûrement pas passer inaperçu !

[Topic terminé]