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Since forever For years on end Newbies

Assise à la table de ma cuisine, je triais les photos. Témoins silencieux d'une vie. J'aimais le regarder. De temps en temps. J'étais absente de la plupart. C'était moi qui les prenait. Cette passion me tenait depuis toujours. J'avais longtemps travaillé avec de vieux réflexes. Maintenant, j'étais équipée. Je n'aimais pas me voir, figée sur le papier glacé. Je préférais être derrière l'objectif. A l'abri des regards. J'aimais rendre les choses plus belles. Il suffisait d'une lumière particulière. D'un angle de vue. J'avais des tonnes d'albums vides qui n'attendaient que d'être remplis. Des images de ma vie que je voulais conserver. Pour ne rien oublier. Pour rester consciente de tout. J'attrapai un premier album. J'allais ranger dans l'ordre. De ma naissance à maintenant. Pour ne rien louper en les parcourant. Par chance, mes parents avaient toujours pris soin de noter les dates derrières les photos. Par soucis de précision.

10 septembre 1990, Peyton et Grace, à la maison. Deux petites filles rousses. Deux sourires éclatants. Je n'avais de souvenir de ces jours que dans les photos. La mémoire de mes deux ans et demi me faisant défaut. Nous arrivions juste à Shady Grove. Je ne me rappelle pas de notre maison à Eagle Point. Grace pas plus que moi, je suppose. Je me sens comme une enfant de la ville. C'est ici, à  Shady Grove qu'est ma maison. Partir me semble impossible tant j'aime tout ici. Nos parents m'ont toujours dit que j'avais immédiatement adopté la maison. C'était rapidement devenu mon terrain de jeu. Même pendant les travaux. Sur cette photo, Grace et moi nous ressemblons encore. Nous étions jeunes. Aujourd'hui la ressemblance s'est estompé. Les gens se rendent compte que nous sommes de fausses jumelles. J'aurai pourtant aimé ressembler à ma sœur tant je la trouve belle.

3 juillet 1995, en famille, New York. Ces vacances avaient été les plus fabuleuses de ma vie. Nos parents nous avaient emmenées sur la route. Trois mois de liberté. Nous nous arrêtions partout où le cœur nous en disait. Un tour des Etats-Unis, en somme. A bord du camping-car, nos liens s'étaient encore renforcés. Nous étions devenus une famille plus qu'unie. Nous partagions tout. Toujours fourrés ensemble. L'espace de vie était petit. Pas de place pour l'intimité. Nous avons découvert tellement de paysages fabuleux. C'était l'époque où nous aimions dessiné, Grace et moi. A chaque arrêt, nous mettions sur le papier la vue. Un stock de centaines de dessins, précieusement conservés. C'était notre patte artistique. C'était dans le gènes. Nos parents nous avaient transmis l'amour des belles choses, dès notre plus jeune âge.

28 novembre 2002, Grace et Peyton, repas de Thanksgiving. J'avais déchiré cette photo il y a longtemps. Je me souvenais encore du crépitement des flammes lorsqu'elles avaient brûlé la moitié sur laquelle j'étais. C'était une mauvaise période. Celle où, plus que jamais, je détestais qu'on me prenne en photo. Je n'y avais laissé que Grace. Ce jour là, je n'avais pas mangé grand chose. Presque rien. Grace, elle, dévorait tout sur la table. Elle avait une chance inouïe. Elle pouvait manger tout et n'importe quoi. Elle ne grossissait jamais. Moi si. Alors je ne mangeais pas. J'étais affreuse. Je maigrissais. Mais ce n'était jamais assez. Je ne ressemblais toujours pas à ma sœur, si parfaite. Dans ma tête, je revoyais encore la partie disparue à jamais de la photo. Les cernes autour des mes yeux. Les marques de fatigue. A cette époque, je n'étais rien d'autre qu'un fantôme. Je passais à travers ma vie. Spectatrice plutôt qu'actrice. Je me cachais toujours derrière l'appareil. J'en avais pris énormément à ce Thanksgiving. Des photos d'une famille heureuse, sur lesquelles je n'apparaissais pas. Des sourires sincères. A force de me cacher, je m'étais découvert un don. Au moins une chose que je savais faire. Une chose qui me maintenait à la surface, tant bien que mal.

31 août 2008, Benjamin et moi, au Shelter. Le bon vieux temps. Celui où nous étions amis. Celui où j'avais rêvé d'un peu plus. Cette photo me fit un pincement au cœur. Il y avait eu quelque chose entre nous. Il me semble. Mais Benjamin avait fini par me délaisser un peu. Pour sa sœur. Sa famille était sa priorité à un moment où j'avais besoin d'avancer. Je sortais d'une adolescence difficile. J'étais à l'Université. Je restais à Ashland la semaine, ne rentrait que le week end. Il n'avait pas de temps pour moi. Rien ne s'est jamais concrétisé. Depuis nous nous sommes perdus de vue. Tant d'espoirs déçus. Il en allait ainsi de ma vie sentimentale.

7 janvier 2011, la boutique. C'était l'entrée. Les travaux tout juste terminés. La peinture toute fraîche. Ma sœur s'était occupée des meubles. Elle avait un savoir faire exceptionnel. Ce jour là, j'avais été ravie de placer l'écriteau « ouvert » sur la porte. J'avais tout imaginé moi-même à l'intérieur. Un prêt pour acheter l'emplacement et nous avions pu commencer les travaux. Ce n'était pas très grand. Ca me suffisait. J'y travaillais seule. J'avais développé quelques photos pour les accrocher dans la boutique et en vitrine. Pour faire ma propre publicité. Aujourd'hui, les lieux avaient changés. En deux ans, ils s'étaient chargés d'histoires. D'aventures. Je gardais un trace de chacune de mes missions, si on me le permettait. Je les affichait sur les murs. Ma boutique était le témoin de la vie à Shady Grove. La plupart des grands évènements y étaient affichés. Je gardais des traces de son histoire.