Aujourd'hui, il fait beau. Aujourd'hui, Morgan n'a pas traîné cent cinquante ans à Ashland, dans une librairie ou une bibliothèque. Aujourd'hui, en plein milieu de l'après-midi, après une matinée de cours bien remplie, il est installé bien tranquillement sur un banc, plongé dans un livre. Les abords de la Rogue River sont calmes aujourd'hui. On est en semaine en même temps. Le jeune homme n'est pas passé par la case maison en rentrant. Il a mangé un truc à Ashland avant de revenir à Shady Cove pour profiter des bords de la rivière pour lire. C'était un bouquin, ou les cours, mais il ne pouvait pas rester sans rien faire. Sinon, il pense à "ça", et "ça", ça lui mine le moral plus que de raison.

Cela fait plusieurs jours qu'ils s'évitent avec Christopher, depuis le baiser. Ils ne se sont pas échangé plus de quelques mots, et Merlin fait presque tout pour ne pas rester à la maison. Le premier jour, il n'arrivait même pas à le regarder en face. Il n'arrivait même pas à se regarder lui-même. Un réflexe lui est venu alors : se plonger ailleurs. Cours, livres, films... Tout est bon pour s'évader de cette réalité. Il ne peut pas penser à ce qu'il s'est passé. S'il devait mettre un mot dessus, il dirait que ça l'angoisse. Vraiment. Alors, étant humain, il essaye de se concentrer sur autre chose. Et il y arrive plutôt bien.

Tellement bien que lorsqu'un homme vient s'asseoir à l'autre bout du banc, il ne le remarque pas tout de suite. Il répond seulement à sa salutation par un rapide coup d'oeil et un hochement de tête, et il retourne immédiatement à son livre. Il n'a pas tellement envie de parler aujourd'hui. Et puis, ce bouquin est vachement intéressant. Il l'a acheté hier, comme ça, sur un coup de tête. Il sait que l'auteur est plutôt connu, il se souvient en avoir déjà entendu parler plusieurs fois. Mais il n'avait jamais eu l'occasion de lire l'un de ses livres. Lorsqu'il entend une remarque de l'inconnu au sujet du roman, il hoche la tête en finissant son paragraphe.

— Mmh, je connaissais pas l'auteur avant, mais je crois que je vais chercher ses autres bouquins... lâche-t-il, pensif, avant de relever la tête en direction de l'homme.

Sa tête lui dit furtivement quelque chose. Cependant, il ne se souvient pas d'où il pourrait le connaître. Peut-être à une intersection à Shady Cove ? Non. C'est autre chose. Mais il n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Alors qu'il allait poser une question, un jeune chiot déjà pas mal grand attire son regard. Le britannique relève immédiatement les jambes pour se mettre en tailleur, s'étant instinctivement déplacé et penché dans la direction opposée au chien, et donc à l'inconnu. C'est son animal. C'est sûr. Il n'y a personne d'autre. Et c'est joyeusement que le toutou s'approche de son maître, aboyant un peu en voyant Morgan. Ce dernier est tendu, sentant la panique monter en lui, le regard fixé sur la bête. Qui n'a pas de laisse, de surcroit. Il faut dire que sa dernière rencontre avec un chien en ville ne s'est pas très bien déroulée.

C'est bien la première fois que Morgan angoisse pour un baiser, et accessoirement, sa vie sentimentale. Si une amitié entre bien sûr dans ce domaine. Et une amitié compromise pour une histoire d'embrassade entre assurément dans ce domaine. Soit. C'est donc le nez dans un bouquin, sur un banc, au bord de la Rogue River, que le britannique s'évade une fois de plus. Un inconnu dont la tête lui dit pourtant quelque chose s'assied à l'autre bout du banc et engage la conversation, parlant du livre actuellement entre les mains de Morgan. Le jeune homme explique qu'il aime bien le livre et, parlant de l'auteur, apprend par l'autre homme qu'il en a écrit trois autres et qu'un nouveau devrait sortir d'ici la fin de l'année.

Merlin se demande c'est juste une coïncidence si CE type justement assit sur CE banc en sait autant sur l'auteur qui a écrit CE bouquin. Néanmoins, il n'a pas le temps de recroiser ses informations avec l'impression qu'il a de l'avoir déjà vu. Un jeune golden retriever entre dans son champ de vision et suffit à faire remonter sa peur à la surface. Bien sûr, un chiot c'est toujours choupinou. Mais le brun a peur de tous les chiens inconnus, petits, grands, jeunes, vieux, bruyants, silencieux... Tous. Et celui-ci ne fait pas exception. Heureusement, l'inconnu perçoit son malaise et attache le jeune chien a l'aide d'une laisse. Morgan se détend quelque peu, tandis que le maître du toutou lui assure qu'il ne lui fera aucun mal. Il acquiesce silencieusement, puis détache son regard de la bête pour le porter sur l'homme.

— Je- j'en doute pas, c'est juste que j'ai un peu peur des chiens, mais tant qu'il reste loin... sourit-il doucement.

Ses battements de coeur se calment, sa respiration se calme. Lui-même se calme. Cette fois-ci, il n'y a pas Christopher pour le défendre et le rassurer. Le jeune homme garde tout de même un oeil sur le chien. Il n'est jamais totalement à l'aise avec ce genre d'animal. Il reste d'ailleurs assis en tailleur, gardant ses distances avec le chiot. Reportant son attention sur l'homme, il en vient à savoir pourquoi sa tête lui dit effectivement quelque chose. Il retourne le livre, inspecte la photo de l'auteur en quatrième de couverture, et fait aisément le lien avec l'inconnu en fait célèbre.

— Ah d'accord, pas étonnant que vous le trouviez bon ce roman, si c'est vous qui l'avez écrit, rigole doucement Merlin, ne percutant pas tout à fait que le type assit à côté de lui est connu et reconnu de la côte Est à la côte Ouest.

Il pensait être totalement tranquille au bord de la rivière, assis sur un banc, seul avec son livre. Mais non. La présence d'un inconnu ne gêne tout d'abord pas Morgan. Il n'est pas non plus mécontent de le voir engager une conversation sur ledit livre, surtout qu'il en lui apprend un peu plus sur son auteur. Cependant, il se serait bien passé du chiot. Lorsqu'il l'aperçoit, sa réaction est bien sûr immédiate, mais il se commence à se calmer lorsque le tout est attaché par son maître. Ainsi au bout d'une laisse, la bête ne lui sautera pas dessus. D'ailleurs, le type est plutôt sympa d'avoir fait ce geste, remarquant bien l'état du britannique. Cela lui permet de se calmer peu à peu.

— Non, pas vraiment. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'en ai toujours eu peur, répond-il avec franchise en haussant les épaules, il n'a aucune raison de mentir.

Il n'a pas eu d'expérience traumatisante, comme une attaque de chien, mais il n'a jamais aimé ces bestioles. Enfin, pas tout à fait. Il est bien capable de trouver ce chiot trop mignon, comme tout chiot, mais c'est plus fort que lui, il a peur. De l'inconnu sûrement, c'est peut-être parce qu'il ne connait pas l'animal qu'il réagit ainsi. Même s'il faut compter un très long délai jusqu'au moment où il peut s'approcher du chien sans trembler comme une feuille. Bref, c'est comme ça depuis qu'il est enfant, et il n'y jamais eu aucune amélioration.

Puis, reprenant ses esprits, Merlin devine enfin l'identité de l'homme à l'autre bout du banc. Ce n'est autre que l'auteur du livre qu'il a commencé de lire. Evan Baker. Un jeune écrivain dont il a déjà entendu parler, quelque fois. Il a déjà écrit plusieurs bouquins à succès. Le britannique se souvient qu'une de ses potes de Stanford se désolait de l'attente du cinquième roman. C'était en début d'année. Morgan n'aurait pas cru rencontrer ce gars, qu'il savait célèbre, mais sans plus, ici, à Shady Cove. Cette petite ville est décidément pleine de ressources.

— C'est normal ! Vous avez vraiment un bon style, et l'intrigue est bien menée, c'est un vrai plaisir, argumente-t-il avec sincérité. Je l'ai acheté hier et je crois que je l'aurais fini demain, ça en dit assez long je crois, conclut-il, souriant légèrement.

Il a l'occasion de parler avec un écrivain dont il lit justement un livre, et, toujours fidèle à lui-même, il dit ce qu'il pense de ce fameux livre sans faire de détour. Ayant lu de très nombreux ouvrages et poursuivant des études de lettres, on peut dire qu'il s'y connaît. Et il a lu des livres pas forcément bons, mais pas forcément catastrophiques non plus. De ce fait, ce gars-là, s'il est devenu un célèbre écrivain, ça n'est pas pour rien.

Morgan n'aurait pas cru rencontrer Evan Baker, ni même que ce soit celui-ci qui entame la conversation. Peut-être que c'est parce qu'il a justement l'un de ses livres entre les mains que l'écrivain est venu lui parler. Le britannique n'apprécie pas particulièrement d'être dérangé en pleine lecture, mais comme il est plutôt sociale, il n'en fait pas tout un plat. Surtout quand la personne est sympathique. Merlin se serait bien passé du chiot, mais là aussi, il ne se plaint pas. Il est reconnaissant à l'homme de tenir son chien en laisse, et répond naturellement à sa question pour expliquer en quelques mots pourquoi il a peur. C'est une phobie comme une autre.

Puis, encore plus naturellement, il complimente à sa façon le livre. Evan sourit alors en le remerciant. Morgan ne fait pas ça pour le brosser dans le sens du poil, pour lui lécher les bottes. Il pense vraiment ce qu'il dit. Et là, il pense effectivement que ce livre est un bon livre. Ce n'est pas pour rien qu'Evan est devenu célèbre, il en a la preuve sous les yeux. Il lira les autres, celui-ci lui a donné l'eau à la bouche. Mais d'abord, l'écrivain lui demande son nom. C'est vrai que question politesse, l'étudiant n'est pas au mieux de sa forme. Il en a oublié les présentations. En fait, puisqu'il connait l'homme, il ne lui est pas venu à l'esprit de donner son prénom, en plus troublé pour plusieurs raisons. Mais il se rattrape vite.

— Ah pardon, je m'appelle Merlin, répond-il avec un grand sourire. Morgan Merlin Smith pour être précis.

Son prénom n'est pas le plus important. Là, il se pose plus de questions sur le prochain livre d'Evan. Celui qu'il a en main lui a donné une bonne impression, et il ne doute pas que le prochain sera lui aussi très bon. Après un instant, le britannique n'hésite pas à demander quelques petites choses. Il est curieux, et on ne se refait pas.

— Alors votre prochain livre est prévu pour la fin de l'année ? commence-t-il de façon réthorique. Il avance bien ? Oh mais, c'est peut-être pour l'inspiration que vous êtes venu à Shady Cove...

Il ne tient pas sa langue. Mais il avait entendu dire, il y a déjà pas mal de temps, que le nouvel ouvrage d'Evan Baker se faisait désirer. Et puis, lorsque l'on est écrivain et que l'on veut se faire remarquer par une grande maison d'édition, le mieux c'est encore d'être à New-York, c'est là-bas qu'il se passe tout. Evan a déjà passé cette étape, il a donc très bien pu venir s'installer à Shady Cove, ayant déjà un éditeur, pour écrire en paix son livre. Et puis, si on part du principe qu'en général, un auteur s'inspire du quotidien, Evan doit pas mal être servi ici.

Pour Morgan, la célébrité est quelque chose de très aléatoire qui ne veut pas dire grand chose. Des "stars" mériteraient d'être inconnues, tandis que des inconnus valent dix fois plus qu'elles sans en faire tout un foin. Donc le britannique ne voit pas Evan comme quelqu'un au-dessus des nuages. Il est comme tout le monde. Respectable certes, mais pas si éloigné du commun des mortels. Ainsi, même si le jeune homme n'est pas naïf au point d'ignorer quelle personnalité il a à côté de lui, il n'est pas frappé par cette adoration fiévreuse que le peuple a pour ces gens célèbres, au niveau national ou international. Et puis, comme tout le monde aussi, l'écrivain lui demande son nom, ce à quoi Merlin répond avec plaisir, avant de l'interroger sur son prochain bouquin et sur sa présence à Shady Cove.

Encore une fois, il a visé juste en parlant d'inspiration, car c'est bel et bien son manque qui a conduit Evan à partir de New-York. De plus, d'après ses dires, son futur livre devrait être fini pour la fin de l'été. Effectivement, Shady Cove lui a visiblement donné un regain d'inspiration. Est-ce l'air pur de la province, ou les commérages, toujours est-il que cette ville leur réussi bien, à lui et son bouquin. Morgan est piqué par l'utilisation de "encore". Là, il a l'impression qu'Evan se sert de son environnement, comme tout écrivain, mais que, puisqu'il a "épuisé" les ressources intéressantes à ses yeux de New-York, il changé de coin pour s'abreuver de nouvelles histoires afin de trouver l'idée de la sienne. Et Merlin n'est pas vraiment connu pour réfléchir avant de parler, histoire de savoir si ses questions sont correctes, ou non.

— Vous vous servez des ragots ? Pour vos intrigues, ou autre ? demande-t-il presque innocemment. C'est vrai que c'est une source inépuisable ça, lâche-t-il, plutôt sérieux.

En y réfléchissant bien, cela pourrait être amusant d'écrire sur Shady Cove. Avec toute cette galerie de personnages prêts à l'emploi et toutes ces rumeurs, il y aurait les ressources pour un bon roman. Voir même plusieurs. Un peu comme Zola qui avait au cours d'une multitude d'ouvrages dépeint la vie d'une famille sur plusieurs génération. On pourrait en faire de même avec la ville, d'autant qu'elle n'est pas grande, que tout le monde se connaît, et que certaines familles ressortent, ainsi que certaines personnes. Au fil des commérages, on pourrait tisser une telle toile qu'elle en serait infinie. De quoi s'inspirer pour un roman, donc. Même s'il n'y a rien de bien méchant en soi si ce vice n'est pas poussé trop loin.

— Je suis encore étudiant, en littérature, sourit-il en réponse. J'habite à Shady Cove oui, mais seulement depuis un mois, environ, complète-t-il calmement.

La plupart des écrivains ne sont pas accostés dans a rue comme certaines célébrités. Ils sont plus connus pour leurs écrits, donc leur boulot, et donc leur talent, que pour leur visage. Cependant, comme écrire est quelque chose qui se fait seul, s'ils ont du succès, c'est d'autant plus valorisant. Et chacun sait que la popularité monte rapidement à la tête. Enfin, Evan n'a pas l'air comme ça. Sans doute le fait qu'il n'ai pu sortir un autre bouquin rapidement y est pour quelque chose. En tout cas, c'est pour cette raison qu'il est maintenant à Shady Cove.

Bien entendu, Merlin est à des lieues de se douter qu'il vient de tirer en plein dans la pomme lorsqu'il parle des commérages de la ville. Il trouve Evan plutôt sympa, et ne va pas plus loin dans la réflexion. Comme d'habitude en fait. Il est naïf et innocent et pense par défaut que tout le monde a bon fond. Et par extension, que tout le monde est sympathique. Donc il ne vient pas à l'esprit que c'est justement pour les ragots par centaines que l'écrivain est ici, d'autant que celui-ci reste assez naturel pour faire croire au britannique qu'il n'y avait même pas pensé. Il rajoute aussi que c'est tout bonnement l'environnement différent qui lui a fait retrouver son inspiration. Et Morgan le croit.

— Je vois, répond-il simplement. C'est vrai qu'au bout d'un temps, New-York est fatigante, rajoute-t-il avec un sourire.

C'est tiré de sa propre expérience. Certes il n'y est resté qu'un an, mais trop de grande ville tue la grande ville. Et New-York est vraiment très, très grande. Soit. Evan pose ensuite quelques questions banales sur le jeune homme, qui y apporte une réponse naturellement. En effet, elles ne portent que sur ce qu'il fait dans la vie et sur son lieu d'habitation. Évidemment, en apprenant que Merlin fait des études littéraires, l'écrivain sourit en faisant remarquer que c'est un bon choix, avant de lui demander plus précisément les raisons qui l'ont poussé à venir s'installer ici. Morgan n'est pas réticent à expliciter davantage.

— C'est juste que, comment faire simple.. mes parents voulaient que je fasse des études de physique, j'ai refusé bien sûr, mais la situation est devenue insupportable, dit-il avant de hausser les épaules. Donc je suis parti.

Il a choisi d'éviter soigneusement de parler de Christopher. Après tout, il n'a rien à faire dans l'histoire, et on n'a pas besoin de lui pour la comprendre. D'autant qu'il n'a même pas envie de penser à lui.

— Oui, un an, mais ça m'a suffit, répond-il à l'écrivain, en souriant franchement.

Celui-ci lui a demandé, suite à sa remarque, s'il avait déjà vécu à New-York. Ce qui est en effet le cas, de 2005 à 2006. Il était encore jeune à l'époque, 14-15 ans, mais la ville lui avait vraiment parue trop grande. Gigantesque. Et étant donné que ses parents avaient les moyens, ils habitaient dans un grand appartement moderne, proche du lieu de travail de son père, et donc proche du centre des affaires, et donc en pleine ville. Entouré d'immeubles. De gens. De taxis. De bruits. Par contre il garde un bon souvenir de Central Park, ça au moins c'était bien.

Voyant que Morgan n'hésite pas à répondre à ses questions, parce qu'elles sont bénignes et pas tellement personnelles, Evan continu sur sa lancée. Cependant, cette fois-ci, elle touche un point sensible. En effet, après avoir fait remarqué que la réaction de ses parents était étonnante — ce à quoi l'étudiant n'a eu le temps de répondre que par un simple haussement d'épaules —, il demande s'il est arrivé seul à Shady Cove. Le visage de Merlin se décompose un peu, lorsqu'il se rend compte qu'il va devoir parler de Chris. Il fait ensuite comme si de rien n'était. Ou essaye. Enfin, reprenant contenance, il se passe une main dans les cheveux.

— Concernant mes parents, c'est plus compliqué que ça, sourit-il doucement. Bref. Si je suis venu ici, c'est parce qu'un ami a accepté de m'héberger. D'ailleurs s'il n'avait pas été là, je ne sais pas où j'aurais fini.

Il finit par un léger rire. Il dit la vérité, et ce doit être ça le pire. Si Christopher ne lui avait pas ouvert sa porte, il n'ose même pas imaginer ce qu'il serait devenu. En même temps, il n'aurait jamais cru que la situation, que leur relation, tourne ainsi. Il n'a aucune idée de l'avenir. Du moins, c'est encore plus flou qu'avant cette histoire d'études universitaires. Déjà que le britannique n'est pas du genre à se projeter dans le futur, à présent, il ne sait même pas ce qui va lui tomber sur le coin du nez la semaine prochaine avec cet orage qui plane entre lui et Chris. Enfin, puisqu'il n'a pour l'instant pas d'emprise là-dessus, mieux vaut se changer les idées.

— Shady Cove n'est pas bien grande, il n'y pas vraiment de quoi se sentir perdu, et puis l'intégration se fait petit à petit. J'ai l'habitude des déménagements, ajoute-t-il en haussant les épaules.

— Oh si ! C'est bien de vivre là-bas, mais pour une courte durée. Je n'y resterais pas des années personnellement, répond franchement Morgan.

Même par obligation, il n'y resterait pas quatre ans. En revanche, certaines choses lui ont manqué, peu après son déménagement. Parmi  ces choses qu'il a regretté de cette ville par la suite, il y a bien sûr eu Central Park, et la culture facilement accessible et, il ne faut pas l'oublier, sa petite amie de l'époque. La seule qu'il ai jamais eu en fait. C'est à cause du déménagement qu'ils ont cassés en plus, ils s'entendaient bien. Merlin en garde un bon souvenir, même s'ils ont fini par perdre contact. Mais c'est la vie.

Ensuite, l'écrivain ne montre pas plus de gêne que cela à poser d'autres questions, à en apprendre plus sur le jeune britannique. Lui qui n'a pas vraiment l'habitude parler de lui, il a l'impression de le faire beaucoup depuis qu'il est arrivé à Shady Cove. Cependant, c'est comme partout. Lorsque l'on débarque dans une nouvelle ville, un nouveau quartier, une nouvelle école, les gens cherchent toujours à vous connaître, à savoir qui ils ont en face d'eux. Ce n'est pas dérangeant pour Merlin, qui a l'habitude avec cette partie-là. Et puis, la plupart du temps, les personnes veulent seulement savoir des trucs bateaux, du genre "D'où-tu viens ?", "Tu fais quoi dans la vie ?", "Pourquoi tu es venu t'installer à [insérer nom de la ville] ?". Bref, c'est partout pareil.

— Et bien, c'est compliqué... soupire-t-il lorsqu'il s'agit des détails du problème qu'il a avec ses parents, il n'a pas vraiment envie de parler de ça mais il essaye au moins de combler la curiosité d'Evan. Mes parents voulaient que je suive mon frère, avec de grandes études et tout, et ça ne leur a pas plu que je fasse quand même littérature. Ils ne pensent pas que ce genre de choses soient un métier, sans vouloir vous offenser hein... ! précise-t-il en se tournant vers l'écrivain.

L'étudiant ne partage pas du tout cette vision, Dieu l'en préserve. Mais ses parents, et surtout son père, sont plutôt vieux jeu et, bien qu'ils accordent de l'importance à une solide culture générale, ils ne voient pas la nécessité d'études supérieures artistiques. Sauf pour la musique classique, évidemment, puisque William excellait au violon, c'était forcément une noble chose. Enfin. Morgan hoche par la suite la tête lorsque Evan lui dit qu'il a de la chance d'avoir eu cet ami, puis il explique ne pas avoir eu trop de mal à s'intégrer à la ville.

— Oh oui, beaucoup, répond-il en souriant, à la dernière question de l'écrivain. Plusieurs fois en Grande-Bretagne, une fois en France, de nombreuses grandes villes aux USA... Une bonne douzaine de fois je dirais.

Morgan et Evan partage la même vision à propos de New-York. La ville est exceptionnelle, évidemment, mais y rester trop longtemps n'est pas agréable. C'est un coup à vous faire devenir fou. Les gens qui y sont nés ont sûrement un point de vue différent, mais cette ville est démesurée, tout est grand, il y a du monde partout, tout le temps. Le rythme imposé est intenable à la longue. Après la Grande Pomme, le sujet de la discussion tourne autour du britannique. L'écrivain lui pose pas mal de questions, mais ça ne le gêne pas de répondre, étant habitué.

Merlin en vient à évoquer ses parents qui l'oppressent avec les études, et donc les raison qui ont fait qu'il est maintenant à Shady Cove, puis les nombreux déménagements qui l'ont rodé à l'intégration dans de nouveaux environnements, à la rencontre de nouvelles personnes. La ville n'est pas bien grande, et il n'a pas eu de mal à s'y sentir bien, loin de l'agitation. Evan a l'air admiratif et songeur face aux très nombreux déménagements du plus jeune dans différents pays. Avec un grand sourire, Morgan hoche la tête, étant complètement d'accord avec la remarque d'Evan.

— Et c'est le cas ! C'est pas à tout le monde que ça plairait, mais ça ne fait pas de mal non plus de découvrir de nouveaux horizons. Les voyages forment la jeunesse à ce qu'il paraît, rajoute-t-il.

Il a de la chance, malgré ces obligations de changer de ville, il n'a pas fait d'overdose de déménagements. Sans doute parce qu'après être allé de ville en ville, bougeant tous les ans, il est resté trois ans au même endroit. Après Stanford, il pensait retourner en Grande-Bretagne, pour s'y installer et trouver un boulot. Tout simplement. Mais ses plans ont quelque peu changés, et à présent il n'est sûr de rien. C'est alors qu'il sent son portable vibrer dans sa poche. Fronçant les sourcils, il le sort puis lance un sourire d'excuse à Evan avant de décrocher.

— Allô.. ? ... Oui... Quoi, maintenant ? Mais tu-... Ah oui c'est vrai... D'accord, j'arrive, abandonne-t-il avec un soupire. C'est ça, à tout de suite, dit-il avant de raccrocher, puis il se lève, glissant son portable dans sa poche, puis sourit de nouveau à l'écrivain. Je dois y aller, urgence universitaire, déclare-t-il en haussant les épaules avant de se lever. Bon et bien, bonne balade. Ce fût un plaisir de discuter avec vous. Au revoir, lance-t-il avec un sourire, avant de se détourner et de prendre le chemin le plus direct pour rentrer.

Un de ses potes, qui suivait les mêmes cours que lui, avait besoin d'un coup de main immédiat. Merlin ne pouvait pas le laisser tomber ainsi, ce n'est pas dans ses habitudes de ne pas aider un ami.