Bien qu'ils se connaissent depuis pas mal de temps, ils ne se sont jamais beaucoup attardés sur l'histoire de chacun. Ils ne sont pas entrés dans les détails. Ce qui est normal, Flóki et Nick passent plus de temps à s'éclater ensemble qu'à parler de leurs problèmes comme des nanas. En cette matinée très avancée, consacrée au décuvage, les deux potes n'ont aucun mal à passer d'un sujet à l'autre. C'est sans doute mieux que de crever lentement mais sûrement devant un programme télé idiot. Ils évoquent donc différents sujets, se foutant royalement du temps qui passe. Le norvégien n'a rien prévu. Il ne prévoit souvent rien pour un lendemain de soirée. C'est toujours foireux comme plan. Il déjà testé une ou deux fois, en se disant qu'il serait raisonnable, mais ce fut en vain à chaque fois. La conversation emprunte un chemin plus personnel lorsque le comédien évoque sa famille. Il ne s'entend pas avec un de ses frères, mais ne le vit pas trop mal. Il a appris à passer outre. Ils ne s'aiment tout simplement pas, ce n'est rien.

Pour donner le change, Flóki interroge le gérant sur sa relation avec Reese. Même s'il sait qu'ils s'entendent bien, avoir des détails supplémentaires ne fait pas de mal. Puis le norvégien dévie sur les parents de l'américain, et en apprend un peu plus. Nick est parti de chez ses parents pour vivre sa vie. Quoi de plus logique ? Cependant, leur conception de la vie différaient vraiment. Ils ont fini par couper les ponts. Flo ne sait pas ce qui est le pire, ne pas s'entendre avec un frère, ou ne pas s'entendre avec ses parents. Ce deuxième point est peut-être le pire. Inconsciemment, on cherche toujours à faire plaisir à nos parents. D'un autre côté, la relation avec un frère est souvent très important. Flóki ne s'est jamais entendu avec ce petit frère, il ne sait pas pourquoi. Des atomes crochus, rien de plus. Et puis, la fratrie est grande, aucun des deux n'est seul dans son coin, avec deux clans. C'est toujours ça.

— Qui ne tente rien n'a rien, souffle-t-il en haussant les épaules, lorsque Nick lui dit qu'il serait impossible de faire comprendre à sa mère le point de vue du barman.

Comme dit, faire la fierté des parents est souvent un objectif que chacun suit, même involontairement. Pour dédramatiser un peu, l'acteur lui balance qu'il n'a plus qu'à se trouver une petite femme pour fonder un foyer. Il a déjà une situation stable, après tout. Flóki le voit mal rangé, marié, avec un gosse en route. Et ceci s'applique tout aussi bien à lui-même. Il pourrait se poser et chercher ce que tout homme de son âge cherche. Une femme. Mais franchement, ce n'est pas pour lui.

— J'ai pas dit que c'était facile, c'est ça le truc ! lance-t-il en rigolant à la répartie de son pote. Pis franchement, tu me vois avec un gamin sur les bras ? Merci, mais non merci, déjà qu'avec ceux des autres c'est pas la joie... Il sourit franchement, en se disant qu'une femme qui le supportera des années durant, ça ne court pas les rues. Puis il aperçoit le chat qui se tape l'incruste sur le canapé. Un chat c'plus gentil, hein ? glisse-t-il avec un petit sourire en grattouillant la bestiole sous le cou et sur la tête. Depuis quand t'as un chat toi au fait ? demande-t-il en atterrissant finalement.

Même si le sujet de l'entente entre Nick et ses parents est plutôt sensible, en en parlant, cela ne se ressent pas vraiment. Ils n'en ont jamais parlé, certes, mais Flóki ne trouve pas plus mal de l'évoquer. Il en apprend plus sur son pote, ce n'est pas inutile. Bien qu'il le connaisse déjà bien, son caractère et ses habitudes, il n'est pas contre savoir le malaise entre lui et ses géniteurs. En y repensant, le norvégien se dit que vu que le petit frère est pareil, ce n'est pas étonnant qu'il soit venu vivre avec Nick. Ils ont d'ailleurs parlé de lui un peu plus tôt, et le gérant a confirmé qu'il s'entendait très bien avec son frangin.

Quoiqu'il en soit, en raison de leur état, l'ambiance ne peut pas vraiment être lourde et tendue. Le comédien n'a pas de mal à retrouver le sourire, et à le redonner à son pote. Il lui assure pouvoir faire changer d'avis, au moins un peu, sa mère. Nick lui rétorque que c'est impossible. Et puis ils repartent de nouveau dans une autre direction. Trouver la femme parfaite pour nous, celle avec qui on accepterait d'avoir des enfants, ce n'est pas chose aisée. Mais c'est aussi ça, le défi. Le barman est sur ce point d'accord avec Flóki, avant de rire en lui disant qu'il le verrait avec des gosses une fois qu'il en aura. C'est vrai que l'islandais ne se voit pas encore père, mais il est aussi conscient que s'il avait rencontré la bonne, peut-être serait-il en ce moment a acheter des couches ou a aider pour les devoirs. Encore que, il a toujours envie de profiter.

— Tss, j'préfère encore avoir la gueule de bois pour dix-huit ans qu'avoir un gosse dans l'année, balance-t-il en haussant les épaules.

Il esquisse un sourire, puis ajoute que les chats c'est plus sympa. Et carrément moins prise de tête. S'il en parle, c'est que Lechat vient de ramener sa pomme, faisant presque sa loi en se faisant une place sur le canapé. Flóki aime beaucoup les chats. Il aime bien les chiens aussi, il aime bien toutes les bébêtes en fait. Il commence tout de suite à faire plus ample connaissance avec le minou, en lui caressant la tête.

— C'est carrément moins saoulant qu'une nana ouais, plaisante-t-il en riant, avant d'apprendre que ce minet est simplement venu un jour chez Nick, est qu'il n'est plus reparti. J'me souvenais pas qu't'en avais un tu vois, avoue-t-il en souriant.

Puis il se place en tailleur, et le chat vient se frotter contre lui, alors il lui prodigue encore d'autres grattouilles. Flóki s'amuse sans problème avec le félin, comme un gamin. Il lui fait des câlins, le chat lui ronronne au visage. Quoi de mieux pour décuver ? En plus son mal de crâne est passé, il n'a plus l'impression d'avoir le Sahara dans la bouche... Tout va bien.

Depuis qu’ils ont évoqués Reese, ils n’ont pas arrêté de parler de famille. Tout d’abord avec l’un des frères de Flóki, avec qui il ne s’entend pas, puis avec les parents de Nick, avec lesquels il ne s’entend pas non plus. Puis il est question de la femme de notre vie et de paternité. Honnêtement, même avec toute la bonne volonté du monde, l’islandais ne se voit pas vraiment ‘‘papa’’. Déjà se poser, c’est toute une épreuve, alors penser gamin... Non vraiment. Même s’il a la trentaine en fin d’année, il a encore le temps d’y voir venir. Plus tard oui, sans doute, pourquoi pas, mais maintenant, c’est inimaginable. Bien évidemment, comme tout bon pote qui se respecte, Nick se marre.

— J’ai pas dit ‘‘jamais’’, j’ai juste dit ‘‘pas tout de suite’’, précise-t-il en souriant.

Un jour ou l’autre, ça viendra de toute façon. Il suffit juste qu’il trouve la bonne personne. Quoique, peut-être finira-t-il par se caser avec un mec, comme Chris et son copain. Qui sait. Peut-être aussi que ce ne sera pas à l’ordre du jour jusqu’à ce que madame se décide ? Parce qu’avant de songer à l’élever, faut d’abord le faire naître le gosse. Et ce n’est pas les hommes qui se tapent les nausées, les maux en tout genre, les contractions... Et finalement, la conversation prend un nouveau tournant lorsque le chat de Nick vient dire bonjour. Flo ne tarde pas à sympathiser, ayant toujours aimé les chats.

— Ouais mais un chat ça parle pas, ça fait pas d’embrouilles, ça bouffe seul, tu peux les laisser plusieurs jours dehors et il te fera pas la gueule... énumère-t-il avec un petit sourire, avant de joindre son rire à celui du barman. Ce dernier lui explique ensuite que ça fait quelques mois que le matou a commencé à squatter, qu’un jour il l’avait laissé entrer. Flóki hoche la tête. J’vois. Difficile de s’en débarrasser de ces bébêtes hein, souffle-t-il avec un sourire en coin en jetant un coup d’œil à Nick. Il se doute bien qu’il a commencé à s’attacher au chat. Et puis il a l’air clairement adorable, lance-t-il en reprenant ses caresses. Il perd un peu de sa crédibilité là, mais les ronrons du félin prouve bien que c’est agréable de se faire caliner.

Flóki a eu de la chance à ce niveau-là. Sa famille n’a jamais été contre lui, ni contre un dans la fratrie. Chacun peut se destiner à ce qu’il souhaite. Acteur, docteur, peu importe, leurs parents étaient fiers. Flo a toujours été très proche de sa mère, mais il n’en aimait pas moins son père. Et malgré le fait que ce soit tendu avec l’un de ses frères, ils sont tous une fratrie soudée. Au moins il a grandi dans une bonne famille. Ça, il sait le reconnaître. Par rapporte à la famille de Nick par exemple, il se dit qu’il est vachement bien tombé.

Bizarrement, les deux potes en viennent à parler du fait d’être père. Ce doit bien être la première fois qu’ils parlent de ça. En même temps, depuis tout à l’heure, ils sont passés dans un registre plutôt sérieux, en dépit des rires et des sourires. Flóki ne se voit absolument pas avec un bébé dans les prochains mois. Un jour, peut-être, oui. Mais pas tout de suite. Nick balance qu’ils auront l’air fin avec un bambin dans les bras, quand le jour viendra. Le norvégien éclate franchement de rire. Il a assez de mal à s’imaginer dans cette situation, et pour le barman, c’est la même chose.

— Si t’as un petit garçon, bizarrement, j’te vois bien finir par l’emmener au Warehouse pour lui apprendre la vie, souffle-t-il avec un petit sourire.

En tout cas, maintenant qu’il y pense, Nick devrait être pas si mal dans le rôle de paternel. Il est stable lui. Avec la petite femme qui va avec, et hop le tour est joué. Et puis le gamin pourra même reprendre l’entreprise familiale de la discothèque. Top non ? Enfin bref, un chat c’est parfois mieux qu’une nana. Parfois. Flóki ne rechigne pas à donner de nombreuses caresses au chat du barman. Un beau minou qui ronronne de contentement. Les deux hommes viennent évidemment à comparer un chat et une femme, et Nick marque un point en disant que ça ne comble pas certains besoins. Encore une fois, le comédien rigole.

— T’as la main gauche aussi, tu peux varier. Non j’blague, une nana c’est vrai que c’est bien, mais c’est l’principe des coups d’un soir, les plaisirs sans les emmerdes, sourit-il largement. Si c’est une personne qu’il aime vraiment, les cartes sont différentes, mais ce n’est pas la situation dont il voulait parler. Et les sex-friends il n’en parle même pas, c’est une connerie sans nom à son avis, et ça fini toujours, toujours, toujours mal. J’sais, on en avait pris un quand on a déménagé à Oslo, souffle-t-il en regardant le chat, et en lui faisant un gouzigouzi sous le menton. Si un jour t’en as marre, tu m’le refilera hein ? demande-t-il, en plaisantant bien évidemment.

Ce n’est pas tous les jours qu’on aborde le sujet du fait d’être parent. Surtout quand cela concerne Flóki, qui est encore à mille lieues de s’imaginer père. Par contre il a moins de mal à se figurer Nick dans ce rôle. Ce qui ne l’empêche pas de blaguer encore une fois, le barman répondant bien sûr sur le même ton, le tout sur l’éducation d’un hypothétique futur fils. Ils rient tous deux, en s’imaginant le gamin sur les traces de son père au Warehouse. Ça n’étonnerait même pas Flo que le garçon finisse par aimer faire la fête lui aussi. Enfin, tout ça n’est qu’hypothétique.

Nick défend tout de même les femmes en disant qu’un chat ne les remplacerait pas. Certes non, mais un chat ça évite sûrement moins de prises de tête. A moins que la nana soit muette. Ça serait peut-être une piste à creuser ça. Flóki n’a pas envie de se prendre la tête avec une femme. Ou une relation tout court. Certains hommes peuvent être aussi cons à ce niveau-là. L’islandais est toujours sur le registre de la plaisanterie, même s’il est sincère quand il parle de coups d’un soir. Pourtant, le gérant marque un sacré point en disant qu’avec l’âge, c’est moins évident.

— Ouais mais à 70 ans, t’as pas forcément les mêmes besoins, ni les mêmes forces, hausse-t-il les épaules. Et c’est là où c’est intéressant d’avoir un chat, au final, conclu-t-il en un sourire amusé. Puis il se marre en entendant Nick lui faire croire que Lechat déprimerait dans lui. Genre ! C’toi qui t’sentirai seul ouais ! n’hésite-t-il pas à l’accuser.

Il se fout encore un peu de son pote. Pas méchamment. C’est juste pour rire. Il papouille le chat pendant de longues minutes, tout en continuant la conversation un peu décousue qu’il a avec Nick. Flo n’a pas franchement envie de rentrer chez lui tout de suite. Il ne sait pas depuis combien de temps il est réveillé, et il a plutôt bien émergé, mais même. C’est ainsi qu’ils restent encore à papoter, et à rire.