Chandler & Peyton

Ma brosse passait presque automatiquement dans mes cheveux. Sans que j'y fasse vraiment attention. Ce geste était devenu celui d'un robot. Jetant un œil dans le miroir que je regardais rarement, j'y découvris que mes cheveux étaient électriques. Crise de panique. L'heure tournait. Il ne me restait pas un temps infini avant le rendez-vous. Mon rendez-vous avec le maire. Je n'avais pas l'habitude que l'attention se porte sur moi. J'avais été extrêmement surprise par sa proposition, à la fin de notre dernière séance de travail. Je quittais en vitesse mes vêtements, les laissant tomber sur le sol de la salle de bain. Une douche s'imposait pour remettre ma coiffure dans un ordre acceptable. Je ne sortais pas avec n'importe qui, il s'agissait tout de même du maire ! Il fallait que je sois à peu près présentable. Même si nous allions en dehors de Shady Cove. Il ne tenait certainement pas à être vu en ma compagnie. Ca risquait d'alimenter les ragots. Je passais en vitesse sous le jet d'eau. Pas de temps à perdre. Chaque minute me rapprochait de son arrivée. J'étais stressée. Je me demandais encore ce qui l'avait poussé à m'inviter. Comme à chaque fois qu'un homme s'intéressait à moi. Je ne comprenais pas ce qu'on pouvait me trouver. Il y avait tellement de filles bien plus jolies en ville. Quelques petites touches subtiles de maquillage et je courais m'habiller. J'avais déjà tout préparé à l'avance. Ne me laissant pas le droit de changer d'avis. C'était pourtant tentant. Je n'avais pas l'habitude de porter des petites robes. Je ne tenais pas à exhiber mon corps que je trouvais ingrat. Mais je me l'étais juré. Ca pouvait sembler ne pas être grand chose. Mais pour moi, c'était un grand pas. Je ne me regardais pas dans le miroir pour voir à quoi je ressemblais. Je savais déjà que je me détesterais. Je vérifiai une dernière fois mon sac à main. J'avais toujours peur d'avoir oublié quelque chose. Ce n'était pas le cas. J'étais toujours prévoyante. J'en avais bien trop. Mon sac était en réalité un véritable kit de survie. J'étais préparée à toute éventualité. J'entendis le bruit d'un moteur. C'était pour moi. Je soufflai pour me donner du courage et un semblant de confiance en moi. Le bruit de la sonnette retentit à peine quelques instants plus tard. Je me dirigeais vers la porte d'entrée. Sans trop me pressée. J'étais morte de peur, comme à chaque rendez-vous qu'il m'avait été donné de faire. La porte s'ouvrit sur le maire. Je fis mon plus beau sourire. « Bonsoir. » J'attrapai mon manteau, pendu dans l'entrée, pour le déposer sur mes épaules.

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C'était presque insupportable d'être toujours aussi stressée. Il suffisait qu'on s'intéresse un peu à moi en tant que personne pour que j'angoisse. Je crevais de peur qu'on me pose trop de question. Je détestais avoir à cacher les choses comme il m'arrivait si souvent de le faire pour qu'on ne tombe pas sur mon problème. Le ton fut donné dès le début. Lorsque le maire, enfin... Chandler, me tutoya. Ca n'allait pas être évident pour moi de passer du vouvoiement professionnel à ça. Le rouge me monta rapidement aux joues. Rapport complexe au compliment. « Merci » Mon remerciement avait été à peine audible. Je ne me trouvais jamais splendide. Je m'accrochai au bras de Chandler pour descendre l'allée jusqu'à la voiture. Il se révélait être un gentleman. La soirée ne pourrait être que sympathique. Être passagère me plaisait beaucoup. J'aimais regarder le paysage. Même si il faisait un peu sombre pour que j'y vois très clair. « Oh c'est parfait ! J'ai plus l'habitude de ça que des restaurants gastronomiques ! » Habitude... Tout était relatif. Moi qui ne mangeait pas grand chose, j'allais assez rarement au restaurant. J'avais toujours peur d'y manger trop et de prendre du poids. Je me demandais déjà comment j'allais m'en sortir pour prendre quelque chose de léger sans laisser apparaître que j'avais un problème avec mon corps. Je profitai du fait que mon chauffeur avait les yeux sur la route pour le regarder un instant. Il avait un charme que j'avais déjà repéré en faisant les photos de sa campagne. Le contact facile, ce qui était plutôt obligatoire pour faire de la politique. « C'est chouette d'aller à Ashland en tout cas... Je n'y vais pratiquement jamais toute seule ! » Pour la simple et bonne raison que je n'avais rien à y faire. La ville avait ses propres photographes et personne ne s'intéressait vraiment au travail d'une fille de Shady Cove là bas. Je me recalai dans le fond de mon siège et tirai un peu sur le bas de ma robe. Mes cuisses étaient un peu trop à découvert et témoignaient de ma maigreur.

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J'acquiesçais aux mots de Chandler. On ne se faisait pas inviter très souvent par le maire en personne. Un restaurant gastronomique aurait sans doute été encore bien plus stressant pour moi. D'autant plus que j'avais du mal à apprécier la cuisine du fait de mon très faible appétit. Pour ne pas dire quasi inexistant. Depuis l'adolescence, manger était une forme de torture pour moi. Je m'étais longtemps trouvée beaucoup trop grosse par rapport à ma sœur. Aujourd'hui, je me trouvais trop maigre. Mais reprendre des habitudes de nutrition normal était difficile. Il restait en moi une petite part qui me criait de ne pas manger. Pour éviter une trop grande prise de poids. Je souris à mon chauffeur. « Pas de risque, je n'ai même pas pris mon appareil photos !! » Je l'avais la dernière fois que nous nous étions rencontrés. La fois où il m'avait proposé cette sortie. Derrière mon appareil j'étais toujours moins timide. Et plus bavarde. Quand je le lâchais, mon manque de confiance en moi revenait au galop. Je hochai la tête, les yeux encore rivés sur la route. Effectivement, Ashland était assez loin. C'était aussi pour ça que je n'y allais jamais. La plupart du temps, j'étais seule. Shady Cove me suffisait. Sauf pour les vêtements, c'était un enfer. Je fonctionnais beaucoup avec internet. La photographie était une histoire de toujours. J'avais grandi avec un appareil dans les mains. Elle s'était imposée à moi. C'était ma part de fibre artistique la plus poussée. Il m'arrivait également de dessiner. Mais je le gardais pour moi. « Franchement, je ne sais pas. Je n'ai que très rarement été sur des photos. Je les prends depuis toujours. Tu sais, c'est un peu comme si j'étais sorti du ventre de ma mère avec un appareil... Je ris. Mais je pense que j'ai choisi d'en faire mon métier vers l'âge de quatorze ans. Nous sommes tous un peu artistes dans la famille... Chacun ayant son domaine de prédilection ! » J'avais choisi ce métier à l'adolescence. La période la plus difficile de ma vie. Celle où je n'avalais rien. Je l'avais choisi parce qu'il me permettait de me planquer. Personne ne faisait attention au photographe, ce qui importait, c'était le modèle. Je quittais mes pensées pour me reconnecter sur la situation actuelle. C'est à dire, la voiture, avec Chandler au volant. « Est ce que les gens viennent parfois jusque chez toi pour se plaindre de quelque chose à propos de la ville ? » Cette question me perturbait un peu. Je me demandais si le maire avait beaucoup de temps pour lui. Ou si il était sans cesse la cible de ceux qui n'ont rien d'autre à faire que se plaindre.

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Je hochai la tête. Pas une seconde je ne pouvais m'imaginer à la place de Chandler. Être maire était un poste à responsabilités. Je n'avais définitivement pas assez d'assurance pour ça. Et pas assez d'esprit politique. J'étais une artiste, parfois un peu déconnectée de la réalité, il fallait bien l'avouer. Mon métier était certainement plus simple. Vivre de sa passion était un plaisir. Le seul côté sombre, c'était de devoir faire mes comptes toute seule alors que j'avais horreur des chiffres depuis toujours. J'étais quelque peu allergique aux mathématiques. Je ris à la remarque suivante. Shady Cove était une ville pleine de petits vieux attachés à leurs traditions et anti-nouveauté. J'acquiesçais. « Oui tu as raison ! Personnellement, je ne me vois pas vivre comme dans les années 50 sous prétexte que nous sommes à la campagne ! Je vois très bien de quelle genre de personnes tu parles, j'ai les mêmes qui viennent au studio et ne comprenne pas qu'on puisse utilisé un appareil photo numérique !!! » Ces personnes m'amusaient beaucoup. J'avais la chance de pouvoir les satisfaire, il me restait encore quelques vieux appareils photos en réserve. Pour ce genre d'occasion. Je ne les sortais que rarement, j'avais trop peur de les abîmer. Je ne connaissais pas le restaurant dans lequel la voiture s'arrêta. J'espérais de tout cœur qu'ils servaient des assiettes légères. Je ne voulais, ni ne pouvais m'empiffrer. La décoration me plaisait, dans sa simplicité. Je n'aimais pas quand il y en avait trop. Je suivis Chandler et le serveur jusqu'à notre table, près de la fenêtre. C'était rassurant pour moi. Je pourrai au moins prendre l'air lorsque la panique de la nourriture m'envahirait. Le serveur nous apporta le menu sans attendre, ainsi que la carte des vins. Je lui adressai un sourire poli. « Merci. » Je sentis un stress léger s'emparer de moi, j'avais peur de ce que la carte allait révéler. Je croisais les doigts pour qu'il y est des salades. « Je préfère te prévenir, le choix est toujours un peu long avec moi... » Je grimaçai, pour m'excuser. J'avais besoin de tout comparer jusqu'à trouver le plat le moins gras et le moins calorique. Celui qui ne risquait pas de me faire grossir trop. J'avais horreur de mon corps maigre mais j'avais encore plus peur de prendre du poids. Avant de me plonger dans la lecture et la réflexion, je regardai mon compagnon de table. « Comment est ce que tu as atterri ici, à Shady Cove ? Et qu'est ce qui t'as poussé à en devenir maire ? » Cette question me torturait l'esprit. Chandler n'était pas arrivé il y a longtemps en ville. Il en était rapidement devenu le maire. C'était d'ailleurs étrange qu'il ait été élu, il y avait tant d'anciens récalcitrants à l'idée de voir un homme encore assez jeune diriger la ville. Je me plongeais dans le menu, ouvert à la première page. Des salades, j'étais sauvée.

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Shady Cove était une petite ville pleine d'anciens têtus. C'était pour ça que j'aimais tant y vivre. Pour toutes les petites habitudes de tous. Pour les coutumes que nous ne nous lassions pas de faire survivre. Je faisais de ceux qui, tout en conservant la culture de la ville, laissait un peu entrer le monde extérieur. J'étais connectée avec le monde entier, comme la plupart des gens de mon âge. Je trouvais ma ville rassurante. On s'y sentait comme dans un cocon, lorsqu'on s'intéressait à tout ce qui pouvait se passer ailleurs. Mais je n'étais pas contre un peu de modernité. Je levai la tête de mon menu pour regarder Chandler, assis face à moi. Je hochais la tête, laissant échapper un petit bruit d'acquiescement, pour le remercier de son conseil. Il n'y avait aucune chance pour que je prenne le pâté de saumon. J'avais porté mon dévolu sur une salade. Assez simple mais pas trop grasse. Je fermai la carte. Mon choix était fait et il était irrévocable. Je me détestais d'être incapable de m'octroyer le plaisir d'un bon repas même un seul soir. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de contrôler ce qui allait passer dans ma bouche, c'était plus fort que moi. L'histoire de Chandler me passionna. Et me rendis fière de Shady Cove. La fête de la jonquille était toujours un moment génial de l'année. Notre petite ville était vraiment pleine de charme. « Je comprends que tu aies craqué pour Shady Cove, la fête de la jonquille as depuis toujours cet effet là je pense ! Tu es venu pile au bon moment ! » Je ris, légèrement. Je préférais parler de Chandler que de moi. Les sujets me concernant pouvaient se révéler des pentes extrêmement glissantes. Je me penchait un peu au dessus de la table pour continuer la discussion, prenant une voix presque chuchotante. « Au moins, tu as pris de l'importance ici ! Et si ça peut te rassurer... Je trouve que tu es un très bon maire ! » Je lui fis un clin d’œil avant de me rasseoir au fond de mon siège. Je prenais un peu d'assurance à ses côtés. La discussion coulait naturellement en lui. Il était intéressant. Presque captivant. Déformation professionnelle, certainement. « Dis moi, c'est si génial que ça un Spring Break, en vrai ?! » J'étais sceptique. Ce genre d’événements ne m'avait jamais attirée dans ma jeunesse. Mais à mon souvenir, dans cette période de ma vie, rien ne m'intéressais vraiment. J'étais enfermée dans mon monde à part. Je me tuais à petit feu en me faisant vomir. Et puis un jour, j'étais revenue à la lumière. Mais en gardant une part d'ombre. Il était trop tard pour ce genre de réjouissances. Ma sœur avait déjà vécu ses Spring Break et je n'avais personne d'autre avec qui y aller. Le serveur s'approcha de la table. Je levai les yeux vers lui et lui tendit mon menu. « Une salade de courgettes aux saveurs italiennes s'il vous plait. »

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J'écoutais Chandler avec attention. Il me captivait. Mais je n'étais pas la seule personne à qui il faisait cet effet, puisqu'il était devenu maire. Nous avions en commun des personnes. Les habitants de Shady Cove. Ils étaient ses électeurs. Et mes clients. Je connaissais leur attachement pour tout ce qui tournait autour de la ville. Je savais leur peur du changement. Celle de voir tout s'écrouler. Tout ce qu'ils avaient construit. Quand ils passaient devant mon objectif, j'essayais de mettre les gens en confiance. Ils finissaient toujours par me parler. Peut-être était-ce l'appareil entre nous qui leur donnait le courage de s'ouvrir. Mes photos n'en étaient que meilleures. Je saisissais ainsi vraiment qui ils étaient. Je souris à Chandler. Le Crater Lake était un de mes spots favoris. Je m'y échappais dès que l'occasion se présentait. Un véritable coin de paradis, d'après moi. J'y allais presque toujours seule. Pour me ressourcer. Je n'avais pas eu la chance d'y partager des soirées inoubliables entre jeunes. Mon adolescence avait été un peu trop chaotique pour ça. Je n'étais pas vraiment quelqu'un qu'on invitait. Trop peu sûre de moi et trop discrète. Toujours cachée derrière ma sœur. « Je pourrai passer ma vie sous une tente au Crater Lake... C'est un endroit tellement merveilleux... » Je ne comptais plus le nombre de photos que j'avais pris là bas. C'était là bas que j'allais pour faire un break. Pour oublier le reste. Un sourire s’immisça sur mon visage, en entendant le choix de Chandler. Il allait manger le plat le plus calorique de la carte pendant que j'avalerai quelques courgettes en prenant garde de ne pas toucher à la vinaigrette. De l'extérieur, ça allait être marrant à regarder. Je hochai la tête. Je n'étais pas contre un apéritif. Je ne m'interdisais pas un petit verre de temps en temps. Au moins, j'étais capable d'apprécier ce que je buvais. Peut-être que je n'étais pas encore totalement perdue. « Un Blue Cosmo s'il vous plait. » Cette boisson était à l'inverse de moi. Colorée et voyante. Pourtant, je l'adorais. L'expression qui voulait que les contraires s'attirent avait peut-être raison, parfois. Je ne me sentais jamais aussi bien que lorsqu'on ne parlait pas de moi. Mais ça ne pouvait pas durer. Après tout, un rendez-vous consiste à faire connaissance avec l'autre. Il était normal que Chandler finisse par me parler de moi, comme je lui avais posé des questions sur lui. La pente n'était pas encore trop glissante. Tant qu'on ne s'aventurait pas sur le mauvais chemin, j'étais capable de maintenir un semblant d'équilibre. Je secouai la tête. « Non... Je pris quelques instants pour réfléchir. Enfin... Presque pas. Je suis venue faire mes études ici, à Ashland. C'était le grand maximum pour moi !! » Je ris. Je faisais partie de ces amoureux transis de Shady Cove. Je ne me voyais vivre nulle part ailleurs. Et certainement pas dans une grande ville. J'aimais plus que tout l'esprit familial qui régnait ici. « J'ai grandi ici. Je m'y sens chez moi... Je ne m'imagine pas un instant ailleurs. J'ai comme l'impression d'être à ma place à Shady Cove. » Je grimaçais. « Je sais, ça peut sembler tordu ! »

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Un apéritif aurait au moins l'avantage de me détendre. Tant que je me contentais de ça. Je ne supportais pas très bien l'alcool. Probablement par manque d'habitude. Je n'avais pas appris à y résister comme tous les adolescents lambda qui s’enivraient en soirée. Je m'étais bien rendue à quelques soirées pendant mes années universitaires mais je n'étais pas franchement une grande fêtarde. Pas assez à l'aise avec moi-même pour me libérer totalement. Pour m'affranchir de mes limites, comme toutes celles que j'avais du raccompagner dans leur chambre, complètement déchirées. Ashland n'avait été qu'une parenthèse dans ma vie. Un endroit ailleurs pour me rendre compte. Pour m'assurer que je n'étais nulle part aussi bien que chez moi. Ca paraissait insensé pour certaines personnes de mon âge, qui rêvaient de la ville et du bruit. De la technologie à tous les coins de rue et du monde partout. J'étais l'inverse de cette génération, avide de calme et de sécurité. Et on se sentait vraiment bien, ici, à Shady Cove. Je hochai la tête. « Oui, c'est tout l'attrait des petites villes. Tout le monde se croise et finit par se connaître... Plus ou moins. » J'avais décidé de rester ici. Chez moi. Pourtant, ce n'était pas le meilleur endroit pour exister mon travail. Il y aurait certainement beaucoup plus à photographier dans une grande ville. Plus de contrat. Mais il n'y avait pas moyen de me faire partir, même l'attrait de la reconnaissance n'y arrivait pas. Pourtant il y avait bien un endroit que je rêvais de visiter. Je souris. « Oui il y à un endroit... Le Kenya. Ca doit être tellement beau, tellement dépaysant... » Tout m'intéressait là bas. Découvrir une culture complètement différentes m'attirait. Et les paysages... « Mais je n'ai pas encore les moyens malheureusement ! » Je consacrai mes petits revenus à une vie décente. J'espérais avoir un jour assez d'économies de côté pour voyager. Nos apéritifs arrivèrent, accompagnés de petits gâteaux, posés au milieu de la table. Un endroit vers lequel ma main ne risquait pas de se tendre. Je me contenterai de mon verre. Je souris au serveur. « [color]Merci[/color] » Je levai mon verre en direction de Chandler, pour trinquer. Je ne buvais jamais un apéro sans trinquer, question d'habitude et question familiale.

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Je hochai la tête. C'était l'une des raisons pour lesquelles je n'avais pas pu rester à Ashland, comme ma sœur. Ne pas connaître le nom de mes commerçants me paraissait horrible. Comment, alors, leur faire confiance sur la provenance de la marchandise ? Surtout moi, qui faisait attention à tout ce qui passait la barrière de mes lèvres. Ici, à Shady Cove, je me sentais en sécurité. Je savais que personne ne me mentait sur le pourcentage de graisse. Ou celui de sucre. J'étais certainement un peu naïve. J'avais l'impression que, chez moi, on pouvait faire confiance à n'importe qui. Je souris à mon compagnon de table. L'Afrique était encore un rêve innaccessible. Mais je ne cessais pas d'espérer. C'était l'un de mes objectifs. Une de mes envies. Y être un jour, de l'autre côté de l'océan. Dans cet endroit magique où des animaux exotiques vivent en liberté. « J'espère ! Je réfléchis un instant. Quel est le lieu qui te fait rêver, toi ? » J'avais des images du Kenya plein la tête. Des paysages baignés par la lumière du soleil. Ceux que j'avais eu l'occasion de voir en photos et que je rêvais d'immortaliser à mon tour. Revenant sur terre, je trinquais avec grand plaisir. Ce geste était ancrée en moi. Comme il l'était dans ma famille. Je laissai un rire m'échapper. « Oui, à Shady Cove ! » Je ne parlais pas trop fort. Je ne voulais pas risquer de m'attirer les foudres d'un habitant d'Ashland en criant sans gêne le nom de ma petite ville. Je bus une gorgée du liquide bleu qui emplissait mon verre. Une petite. Je ne voulais pas aller trop vite, ma résistance à l'alcool n'atteignant pas des sommets. Chandler mangeait les gâteaux apéritif et c'était parfait, j'espérais qu'il aurait vite fait de les terminer, pour ne pas avoir le temps de se rendre compte que je n'essayais même pas d'en avaler un. Le compliment me vint droit au cœur. Mon travail était une des très rare chose dont j'arrivais à être fière, parfois, et qui me concernait. Je souris, les joues un peu rougies « J'adorerais ça... Un road trip à travers les Etats Unis. C'est vrai qu'il y a beaucoup à voir. Mais je n'oserais jamais partir toute seule. Je grimaçai. Surtout avec ma petite voiture... Elle ne tiendrait pas le choc ! » Je m'étais déjà imaginée sillonnant les routes. Pour mieux me renfermer dans Shady Cove. Je m'étais imaginé tous les scénarios catastrophes dès que cette idée m'était venue en tête. Ca m'avait calmée, tant que je n'avais personne pour m'accompagner. Je bus à nouveau une gorgée avant d'enchaîner. « Mais dis moi... Tu as beaucoup voyagé toi ? Tu as l'air de connaître un peu les paysages américains ! » Mon intérêt était piqué au vif. Pour moi qui n'étais jamais partie plus loin qu'Ashland, cette discussion sur d'autres coins pouvait vite devenir passionnante.

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De mon côté, la gastronomie n'était pas l'un des critères principaux quand au choix du pays que je voulais visiter. La France et ses nombreux restaurants n'étaient pas faits pour moi. Evidemment, comme beaucoup, je rêvais de la découvrir. De déambuler dans les rues parisiennes, symboles d'une histoire ancienne. L'architecture semblait y être fabuleuse. Et je voulais moi aussi immortaliser ma vision de la tour Eiffel. Ca finissait par être trop ennuyant de se contenter toujours de celle des autres. « Oh je vois... Monsieur serait-il un romantique ? » Un petit rire m'échappa. Je l'imaginais la fleur aux dents, dans la ville lumière. La France et sa capitale me renvoyait cet image très fleur bleue de l'amour. C'était peut-être l'inconscient collectif qui voulait ça. Combien avaient rêvé de s'envoler pour Paris en voyage de noces. Je grimaçai. Effectivement, toutes les villes des Etats Unis ne me semblaient pas aussi calmes que Shady Cove. Et j'étais extrêmement peureuse. Il m'arrivait même parfois d'avoir encore peur le soir, seule chez moi. En particulier lorsqu'un meuble se mettait à craquer. L'un des nombreux meubles en bois que j'avais obtenus par ma sœur. « En effet... Je pense que notre ville doit faire baisser le taux de criminalité des Etats Unis ! » Je me savais incapable de partir toute seule. C'était une des raisons qui me faisait rester, y compris les jours de congés. Ashland était déjà une grande sortie à mes yeux. J'avais toujours peur de faire des mauvaises rencontres, où que j'aille. J'écoutais avec attention les paroles de Chandler. Il avait de la chance, d'avoir eu ces occasions. De voir un peu de pays, ce n'était peut-être pas grand chose mais c'était toujours mieux que moi. Un sourire illumina mon visage à l'évocation de la Maison Blanche. Cette visite me semblait tout à fait en adéquation avec lui. Tout ça parce qu'il faisait de la politique. Je n'allais pas chercher bien loin ! « Ahah, la naissance d'une vocation peut-être ... » Un clin d’œil ponctua ma phrase. Je sirotais mon verre. L'alcool m'aidait à supporter l'idée d'être au restaurant. J'avais l'impression de faire offense au patron en étant là et en me contentant d'une simple salade alors qu'il y avait beaucoup de plats sur la carte. Ca faisait tellement longtemps que je n'avais pas mis les pieds dans une restaurant avant cette soirée. Je fis un geste de la main. Un geste de refus, mélangé à de l'indifférence. « Oh ne t'inquiètes pas pour moi, fais toi plaisir... Tu as l'air de les apprécier ! » Je forçai un peu mon sourire. Personne ne savait que je m'interdisais ce genre de nourriture. Je donnais le change, sans trop savoir comment. Peut-être parce que je mangeais rarement accompagnée. Seule, dans ma cuisine, je n'avais pas besoin de me cacher pour manger mes quantités minuscules. De quoi vivre tout au plus, mais rien qui puisse me faire prendre un gramme. « J'ai remarquiez que vous, les hommes, nourrissiez une passion pour les gâteaux apéritifs... Pour ma part je me contente de boire ! » J'essayais de ne pas laisser ma gêne s'exprimer, tant dans mon visage que dans ma voix. J'espérais être convaincante. Je ne tenais absolument pas à me livrer ni à parler de mes problèmes. Quoi de plus barbant lors d'un rendez-vous ?

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Je ne connaissais pas encore ce côté de Chandler.  A l'image du reste des habitants de notre ville. Le romantisme n'était pas un des atouts qu'il mettait en avant dans ses discours officiels. Et il avait raison. Ca n'aurait pas été très professionnel, probablement. Ce n'était pas ce que les gens attendaient de leur maire. Mais c'était agréable, de découvrir Chandler sous un autre jour. Dans un cadre plus intime. Mes joues prirent une rapide teinte rouge au moment où il posa sa main sur la mienne. La surprise. Je la laissai là un instant, le contact de nos peaux ne me dérangeait pas. Je finis quand même par la ramener à moi. Vers mon verre. Notre ville était un écrin de tranquillité. Mais Chandler avait raison, elle ne suffisait certainement pas à faire baisser le taux de criminalité de notre pays. Pas assez importante. Je haussai les épaules. « On peut toujours rêvé un peu sur l'importance de Shady Cove ! » Et puis, ma ville était la seule dont je pouvais vraiment parler en toute connaissance. Je n'avais pas eu l'occasion de beaucoup voyager dans ma vie passée, malheureusement. Mon adolescence avait été un peu perturbée par mon anorexie, j'avais alors autre chose en tête qu'un voyage. C'était une des raisons qui faisaient que je ne me lassais pas d'écouter Chandler parler des siens. Je les vivais un peu, par procuration. Je ris. Effectivement, changer le monde était un objectif de taille. « Avant de t'occuper du monde, commence par Shady Cove ! C'est plus petit mais ça te fera de l'entrainement ! » Je ne fis même pas mine d'approcher ma main des gâteaux. Je n'en voulais pas. Ce n'était pas pour faire croire que j'étais une fille light ou bien élevée. Je n'étais pas de celles qui avaient peur de briser l'illusion qu'on se faisait d'une femme : polie, gentille et droite. Je ne pouvais seulement pas en manger. J'étais incapable de le mettre dans a bouche. L'idée même me révulsait. Je souris à Chandler. Je ne tenais pas à lui dévoiler mon côté sombre, mon problème avec la nourriture. Faire semblant d'être une fille comme les autres me paraissait plus simple. J'acquiesçai. Je fis un signe de la tête au serveur, juste avant que mes joues ne prennent un nouvelle teinte rouge. Mes yeux étaient bien le seul atout physique que je me trouvais. « Merci... » Mon remerciement se voulait discret, prononcé presque dans un souffle. Je baissai un instant les yeux, pour me remettre de mes émotions. Les compliments ayant toujours un effet dévastateur sur moi. J'attrapai ma fourchette pour piquer dans une tomate. Le plat léger que j'avais commandé me permettait de rester sereine quand à la nourriture. Je repris notre discussion où elle s'était arrêtée. Elle s'étira longuement, dans la soirée. Nous permettant l'un comme l'autre de nous connaître un peu plus.