La carte de banque sonna dans la machine, indiquant que la transaction était terminée.  La vendeuse  fit un peu la frotte-manches avec la mannequin, en même temps vu la somme sympa qu'elle venait de débourser, Emily profita un peu de ses compliments et ne manqua pas de lui expliquer que oui, elle va revenir sur le devant de la scène, qu'elle repart d'ailleurs pour New-York dans une vingtaine de jours, blablabla.

Un grand sourire aux lèvres, Emily sortit du magasin avec deux sacs.  Dans l'un d'entre eux, le cadeau de Noël de sa maman: un superbe pull en cachemire.  Dans l'autre, une petite nuisette sexy pour Fiona.  Entre nanas, elles adorent se faire des cadeaux débiles du genre.  Ceux qu'on est hyper gênées d'ouvrir devant la famille.  C'est bien pour ça qu'elles se font une petite soirée de réveillon à trois, Fi', Sophia et elle.  Bien que ça soit très bientôt son anniversaire, Emily pense aussi à gâter ses proches, faut pas croire.  Le seul truc qu'elle ne sait pas, c'est si elle doit offrir un truc à Dan ou pas.  C'est pas noté sur le mode d'emploi.  Elle pense que non parce que c'est trop récent, mais si lui il lui offre un truc elle aura l'air d'une imbécile.  Et si elle lui offre un truc et que lui n'a rien prévu ça va être gênant, bref.  Aucune idée.   Et de ça, par contre, elle ne peut pas en parler avec ses amies, puisqu'elle refuse encore de leur avouer quoi que ce soit à ce sujet.  Elle se contente de nier.  Depuis qu'elle s'est faite embrasser par Ryan (a), Fiona lui fout un peu la paix, c'est déjà ça.  Ce n'est d'ailleurs pas la blonde le problème, c'est Sophia Turner.  Cette dernière passe tellement son temps à cracher son bonheur à la tête de ses amies que ça en devient parfois une compétition.  Laquelle des deux a la vie la plus enviable.  Vu la conjoncture actuelle, la question ne se pose pas. Pause carrière forcée de quasi un an, relation secrète qui n’aboutira sans doute à rien, Emily n'a pas vraiment beaucoup de poudre à jeter aux yeux de ses amies.  Mais elle s'en fiche.  Elle sauve les apparences comme elle peut.

La brune fit « biper » du bout des doigts sa voiture qui se déverrouilla dans un bruit, avant de remettre ses clés dans sa poche.   Elle ouvrit le coffre et mit les paquets à l'intérieur.  Fort contente d'elle-même, elle arrangea les sacs pour ne pas les abîmer et referma, avant de contourner son véhicule et d'ouvrir la portière.  Elle n'eut pas le temps d'ouvrir bien grand d'ailleurs qu'elle entendit qu'on l'interpellait.  Surprise, elle referma et se retourna.  Lorsqu'elle identifia l'interpellant, Emily posa un instant le poids de son corps contre sa voiture, en se félicitant de ne pas avoir encore des tas de choses à faire de sa journée, parce qu'elle sait qu'avec lui, elle va en avoir pour un petit temps.  Mais ça ne la dérange pas vraiment, elle est plutôt de bonne humeur.  Ca pourrait presque s'avérer amusant.

Clay revenait d'une petite intervention. Il avait tenu à s'y rendre lui même, un jeune avait vandalisé quelques bâtiments publiques avec une bombe de peinture. Clay connaissant les parents du morveux, il avait décidé de prendre l'affaire en main laissant ainsi ses adjoints faire la paperasse au bureau. L'avantage quand on était du pays comme on dit c'est qu'on connaissait énormément de gens. On pouvait ainsi être à l'écoute plus facilement.

Là cette famille déchirée, il la connaissait bien, le père du gosse étant un ami du paternel de Clay (aujourd'hui décédé). Le gamin vandale avait perdu ses repères depuis que sa mère avait sombré dans l'alcoolisme et que son père avait été licencié.

Après trois quart d'heure de discussions, Clay avait réussi à raisonner le vieux Joe pour que son fils arrête de faire des conneries. Ils devaient reprendre la vie de leur fils en main avant que ça ne soit trop tard. De toute manière le shérif avait prévenu la famille, la prochaine fois, l'ado finirait au poste de police. Pour le moment Clay l'avait obligé à nettoyer les dégâts qu'il avait causé.

Après avoir achevé cette mission de médiation, Clay roulait en direction du poste de police pour retrouver toute son équipe et revenir sur une affaire plus sérieuse qui concernait la découverte d'un cadavre dans la forêt aux alentours de Shady Cove. Le shérif avait mis deux équipes sur cette affaire sordide. Sur le chemin, Clay s'arrêta pour prendre deux cafés, il en devait un à Jim, un de ses agents qui lui en avait payé un la dernière fois.

A peine 500m plus loin il vit une voiture qu'il ne connaissait que trop bien garée devant la banque. Il distinguait une femme de dos, la chevelure brune, la silhouette longiligne en train de ranger son coffre. Le shérif commença à ralentir pour se garer derrière cette voiture et arrivé assez près de celle-ci, il fit hurler sa sirène durant une demi seconde ce qui ne manqua pas de faire sursauter la jeune femme devant lui. C'était d'ailleurs le but puisque Clay était tout sourire.

Il descendit de son véhicule les deux cafés à la main et se rapprocha d'Emily qui fut à l'école avec lui quand ils étaient plus jeunes. Une sacrée peste qui lui en avait fait bavé.

- Salut Fisher ! J'étais de retour de mission et puis j'ai vu ta voiture, je la trouve tellement jolie, je me suis dit que je devais aller l'inspecter de plus près... encore une fois... Ah tiens au fait c'est un café latte avec un extra crème. C'était pour un collègue mais bon il risque de refroidir maintenant, alors autant que tu profites de toute cette crème bonne pour ta ligne !

Clay lança un petit rictus narquois à l'intention de son ex camarade de classe qu'il adorait détester.

Entendant la sirène d'une voiture de police, il est certain qu'Emily sursauta, ne s'y attendant pas.  C'est pas dans un coin tranquille comme à Shady Cove qu'on entend souvent une sirène retentir.  Elle ne rentra donc pas sa voiture, mais se retourna avant de réaliser à qui elle avait affaire.  Si elle avait réfléchi deux minutes, elle aurait tout de suite capté que ça ne pouvait être que le sherif, cet emmerdeur de service.   Une fois que son camarade de jeu fut à vue, elle lui offrit un superbe sourire, feignant d'être ravie de le voir.

« Salut Clay ! »

Hors de question pour elle de l'appeler monsieur le shérif ou un truc du genre.  Elle préfère très clairement la condescendance, parce que c'est ce qui a l'air de l'agaçer. C'est donc comme ça qu'elle aime le mieux jouer !  

« Tu m'étonnes, je te comprends, elle est tellement belle. »

Elle était pour le coup rassurée de s'être garée en ayant mit un ticket au parcmètre, d'être bien près de la bordure, bref qu'il n'y ait rien qui cloche à ce niveau là.  C'est ça d'amende qu'elle aura en moins à la fin de la conversation.  Clay pratique clairement sur elle un abus de pouvoir, mais elle n'en a rien à faire, elle a du pognon et il ne va pas dans sa poche à lui.  Elle y perdrait plus en lui montrant que ça la rend dingue.

« Merci c'est... gentil ? »

Elle lui sourit, venant chercher le gobelet, avant d'ajouter.

« T'es au courant que même si je grossissais avec toute cette crème, je ne voudrais toujours pas coucher avec toi ? »

Ouais, elle aime bien le faire enrager, parce qu'elle se doute bien que s'il y a une nana dans tout Shady qu'il n'a pas envie de se faire, c'est elle.  Elle a été une belle garce pendant toute son adolescence et elle doute franchement qu'il se serait senti mieux s'ils avaient couché ensemble après ça.  Il a besoin de prendre sa revanche, pas d'oublier le passé.  Bref, elle se contente juste d'être désagréable.

Clay venait de tendre le café à Emily qui le remercia ironiquement ou sans trop comprendre la démarche du shérif. Clay n'avait spécialement envie d'offrir un café à cette femme mais il n'aimait pas non plus le gâchis et puis cela lui avait permis de rebondir sur une petit blague. Faire une remarque sur le poids d'une femme c'était tellement assassin et petit. Les femmes étant tellement complexée par leur problème de ligne, il était facile pour Clay de faire cette remarque qui n'était pas très raffinée. A vrai dire, le shérif s'en fichait pas mal son but était de descendre Emily, il ne l'appréciait pas vraiment et tous les moyens étaient bons pour qu'elle puisse se sentir mal à l'aise. Elle l'avait tellement embêté à l'école qu'il fallait qu'il rattrape un petit peu son retard.

Le shérif sortit avec un grand sourire son carnet de contravention ainsi qu'un stylo. Il sifflota un petit air simple puis bu une gorgée de son café. A cet instant, Emily lui fit une remarque lui disant que même si elle prenait du poids avec la crème du latte ça n'était pas pour autant qu'elle souhaiterait coucher avec lui. Clay avala de travers son café et toussota bruyamment, il se racla ensuite la gorge tout en regardant Emily avec des yeux écarquillés. Sur l'instant il ne savait pas quoi répondre alors que pourtant avec ce genre de femme il fallait être assez direct et répondre du tac au tac.

Cela avait réveillé un vieux sentiment moisissant en lui. D'ailleurs, il en avait presque honte de s'en souvenir. Emily avait été la pire garce de la terre avec lui quand ils étaient jeunes et pourtant, cela n'avait pas empêché Clay d'en pincer un petit moment pour le jolie minois de Fisher. Bien sûr il n'avait jamais aimé son caractère et sa personnalité mais la remarque de la jeune femme avait eu l'effet d'un coup de marteau sur les doigts pour Clay qui sortit de sa courte torpeur pour répondre :

- Hum, ça tombe bien mon lit ne serait pas assez large pour ton gros postérieur Fisher !

Pathétique... il le savait bien mais il n'avait rien trouvé mieux que  ça, c'était tellement vulgaire mais en même temps le shérif était un peu rustre et n'avait jamais eu trop de répondant ou de tact avec les gens. Disons qu'il avait toujours eu du mal à faire dans la finesse.

- Ça me fait plaisir de voir la grande New-Yorkaise capricieuse et hautaine que tu es devenue revenir au pays... ou pas en fait !  Alors vérifions un peu ce véhicule, tu peux m'allumer tes phares et feux arrières ?

Clay s'amusait à appuyer sur son stylo pour faire sortir et rentrer la pointe de ce dernier dans le petit "clic" habituel. Il était prêt à aligner Fisher, après tout elle avait de l'argent c'était normal qu'elle en fasse profiter les habitants de Shady Cove non? Tous n'avaient pas eu sa chance et ses possibilités de carrière. Enfin le shérif était loin de l'envier dans le fond, il adorait sa terre, son comté, l'Oregon, il n'aurait échangé ça pour rien au monde. Au fond il se demandait même comment Emily pouvait être heureuse à New York City.

Toujours très sure d'elle et détestablement belle, la brune lui souffla que même si elle prenait du poids, elle ne voudrait toujours pas de lui. Le shérif n'avait jamais à ses yeux montré de l'intérêt envers sa personne. En même temps c'est plutôt normal, vu la garce qu'elle a été avec lui. Ils n'ont jamais été amis et elle l'a tout de suite pris en grippe. Le revers d'être une fille populaire, c'est de ne pas avoir peur de faire des choses pas trop sympas et de blesser des gens. Emily vit plutôt bien avec ça et n'est pas trop du genre à se culpabiliser. Même si elle regrette certaines choses, elle met ça sur le compte de la jeunesse. A l'heure actuelle, elle fait quand même toujours quelques erreurs pour lesquelles elle n'a plus cette excuse, mais elle aime autant ne pas y penser ! Comme pour lui montrer à quel point elle n'avait pas peur d'une prise de poids quelconque, elle but un peu du café qu'il lui avait étonnement offert.

Emily éclata de rire à sa remarque. Elle riait non pas parce qu'il était drôle, mais parce que ce qui est drôle c'est à quel point il est prêt à dire n'importe quoi pour essayer de la casser. Il n'est, visiblement, pas passé à autre chose. C'est incroyable, après tellement de temps ! En même temps, tout le monde ne peut pas être mature et s’assagir... comme elle (a) (a) (a). Il prétendit que ça lui faisait plaisir de la revoir, non sans l'affubler de quelques sobriquets peu élogieux. Elle se contenta de lever les yeux au ciel, alors qu'il se mit à lui demander d'aller allumer les feux de sa voiture. Sériusement ? Il est shérif et il n'a rien de mieux à faire que de l'emmerder ? Bon sang c'est le genre de trucs qu'ELLE fait parce qu'elle s'emmerde.. mais lui, là. Il est sensé être juste et sauver les gens. Pas faire de l'abus de pouvoir pour se faire mousser. En même temps, elle ne veut rien lui montrer. Avec un grand sourire charmeur, elle lui souffla :

« Avec plaisir monsieur l'agent. »

Bon, il est shérif, mais si elle peut l’agacer un peu aussi. Ca fait dix minutes là qu'il fait cliquer son bic et qu'elle a envie de lui trouer la carotide avec alors... De toute façon, elle sait bien qu'elle finira avec au moins un pv. Peut-être qu'une peine pour meurtre serait à envisager (a). La mannequin fit volte-face et monta à l'intérieur de son véhicule, abaissant sa vitre pour entendre les injonctions de son enfoiré d'ancien camarade de classe. En petite fille obéissante, elle alluma les phares. Sale con.

Clay se délectait de cette situation. C'était peut-être de l'abus de pouvoir mais c'était tellement bon. Au final il ne faisait que rendre la monnaie de sa pièce à Fisher. Elle et sa bande l'avait ridiculisé plus d'une fois. Emily avait toujours été LA fille du lycée, la plus populaire mais aussi la plus manipulatrice, elle avait eu ce don de rallier énormément de monde à sa cause juste grâce à un petit sourire et à un physique assez avantageux. Clay avait beau être rancunier et amer, il reconnaissait quand même que Fisher avait été une jolie fille qui est devenue une jolie femme. Malheureusement pour elle la beauté de son âme était loin d'égaler celle de son corps. Gabriela son ex-compagne avait eu ce don de rendre Clay meilleur. Depuis qu'ils avaient rompu, le shérif avait du mal à se trouver, il était nerveux, facilement agacé voir parfois odieux.

Aujourd'hui il allait passer son humeur sur Emily Fisher, déjà qu'il ne l'aimait pas de coutume alors là il allait tout faire pour que la jeune femme ne reparte pas sans une petite note salée. Le shérif avait préparé le carnet et Fisher exécuta sa première injonction, c'est à dire allumer les phares et feux du véhicule. C'était quelque chose de très important pour la visibilité et la sécurité des automobilistes. Clay inspecta d'abord les deux feux arrières puis fit le tour du véhicule pour aller checker les phares à l'avant. Fisher avait baissé sa vitre pour entendre ce que le shérif avait à dire. Lorsque ce dernier passa à hauteur de la jeune femme il lui fit un petit sourire sournois avant de vérifier si les phares avant étaient en bon état.

- Ok t'as un feux arrière qui est presque mort ! J'espère que la prochaine fois qu'on se croisera tu l'aura changé sinon je serais obligé de te coller une amende. Les pneus maintenant...

Clay se mit accroupi et constata que les pneus avant n'étaient pas des pneus adaptés à l'hiver. Il se releva et mit un léger coup de pied dans les pneus pour voir s'il étaient bien gonflés. Il passa à l'arrière et là même constat, le véhicule n'était pas équipé de pneus adéquat pour cette période de l'année.

- Fisher je ne sais pas si tu sais lire un calendrier où si tu n'as pas remarqué le changement de températures et les premières gelées mais tes pneus ne sont pas adapté à la saison... Clay remplit rapidement une contravention qu'il tendit à Emily qui était toujours dans la voiture... Ensuite un de tes pneus avant est dégonflé... t'étonnes pas si tu dérapes sur une plaque de verglas même si j'aurais plus de peine pour l'automobiliste d'en face... Clay remplit une autre contravention qu'il tendit avec un petit sourire à son interlocutrice. Tu dois changer tes quatre pneus en fait, c'est assez cher mais pour une New-Yorkaise dans ton genre c'est plus qu'abordable.

Clay fit de nouveau le tour du véhicule, il remit son stylo dans la poche et rangea son carnet.

- Tu as le choix soit tu me payes maintenant soit tu viens au poste dans les 2 jours qui suivent, bien sûr le risque si tu ne te présentes pas c'est de récolter une autre amende... et puis je suis sûr que tu as ce qu'il faut sur toi !

Clay avait posé son gobelet de café sur le toit de la voiture lors de son inspection et fit exprès de le renverser sur ce dernier en voulant le reprendre !

- Oops dit-il sans grande conviction.

Elle leva les yeux au ciel, tout en obtempérant tout de même, allumant ses phares.  En même temps, elle a presque de la peine pour Clay.  Le pauvre :  pour se faire mousser, il doit martyriser une innocente.  Sa vie ne doit pas être très drôle.   Elle soupira lorsqu'il arriva à sa hauteur et lui annonça ce qu'elle devrait changer.

« Ca sera fait. »

Le rassura-t-elle.  Elle irait au garage changer ça.  C'est devenu comme une sorte de petit concours : rendre sa voiture irréprochable pour qu'il ne puisse rien lui dire.  Quand il annonça verifier ses pneus, la belle éteignit le contact, remonta sa vitre et sortit.

« Tu déconnes ? C'est des quatre saisons.  Tout le monde en a, presque !  Va réviser ta loi ! Y a pas de glace ni de neige, donc ça n'est absolument pas une infraction.  Continue comme ça, et je n'hésiterai pas à aller porter plainte contre toi pour harcèlement. »

Le menaça-t-elle, une fois sortie de son véhicule et revenue à sa hauteur, faut quand même pas qu'il abuse, parce que ça devient vraiment n'importe quoi.  Il n'a rien à lui reprocher, alors il invente n'importe quoi.  Elle s'en fout, c'est pas elle qui risque de perdre son boulot.

« Je viendrai dans deux jours, quand tes deux neurones se seront reconnectés entre eux.  T'auras peut-être retrouvé la raison ! »

S'exaspéra-t-elle.  Lorsqu'il renversa « par mégarde », le contenu de son gobelet sur le toit de sa voiture, Emily lui offrit un grand sourire, essayant de retrouver, en surface, son calme.  A l'intérieur pourtant, elle avait envie de se jeter sur lui et de lui donner des coups de poings !

« C'est rien, t'en fais pas.  Je t'enverrai la note du carwash. »

Visiblement, la remarque de Clay sur les pneus du véhicule d'Emily n'avait pas plu à cette dernière qui s'offusqua directement. Le shérif en avait absolument rien à faire que la voiture était équipée de pneus quatre saisons. Ce qu'il voulait, c'était énerver Emily et la faire casquer. Si Clay avait le sourire au début de la tirade de son interlocutrice, il déchanta rapidement lorsqu'elle commença à le menacer de porter plainte.

Le sourire de Clay s'effaça d'un trait et son regard devint noir. Clay était quelqu'un qui avait le sang chaud, il perdait rapidement patience et ça beaucoup de ses officiers avaient pu l'expérimenter. Il avait toujours su qu'en engageant ce petit jeu avec Emily Fisher, il pourrait facilement sortir de ses gonds. Elle avait cette capacité à le prendre de haut et cette malice qui avait le don de l'énerver. Emily avait réussi là où il avait échoué, il n'avait pas réussi à énerver la jeune femme ce que elle était parvenu à faire visiblement.

D'un pas lourd, Clay s'approcha d'Emily pour ne plus être qu'à quelques centimètres d'elle. Il la fixa d'un regard furieux :

- Ici c'est moi la loi et je te conseille de garder tes menaces pour toi ! ... Harcèlement ? Sérieusement ? Qu'est-ce que je devrais dire moi quand tu as foutu en l'air ma jeunesse, que j'étais la risée de tout le lycée à cause de tes conneries ! Tu m'as démoli, je ne dormais plus, je ne mangeais plus, j'allais au lycée tous les matins avec une boule au ventre et j'ai eu énormément de soucis de santé ! Tous ça pourquoi ? Pour préserver ta popularité ? Va te faire f***** Emily !

Clay serrait les poings et sa mâchoire, il avait souffert en silence pendant toute ses années de lycée. Le temps passait, certains oubliaient mais pas Clay, il ne pouvait pas, il y avait des choses qu'il ne pouvait pas oublier. Le shérif avait totalement perdu ses moyens mais il essayait de se calmer et de reprendre ses esprits en même temps que son coeur palpitait sous l'effet de la colère.

Clay commença à s'éloigner d'Emily, puis fit volte-face pour revenir vers elle, il prit les contraventions qu'elle avait dans la main puis les déchira avant de les mettre dans la poche de sa veste en cuir. Il reprit d'un ton qu'il essayait de maintenir calme :

- Tu sais Fisher, tu as peut-être tourné la page, eu la vie que tu as toujours rêvé d'avoir mais je me demande comment chaque matin tu pouvais te regarder dans le miroir en pensant à ce que tu m'avais fait et à ce que tu allais me faire. Même si tu es une sale peste de première, j'ose espérer que tu avais conscience de ma souffrance et j'espère aussi que tu peux comprendre que ce que tu m'a fais, je ne peux pas l'oublier... Clay commença à tourner les talons pour retourner dans son véhicule... Ah et pour la note du carwash tu peux te la mettre où je pense Emily !

Il espérait que la colère qu'il avait déversé sur Emily allait la faire réagir, il ne cherchait pas à avoir des excuses mais des explications sur les agissements qu'elle avait eu envers lui... Peut-être qu'il n'en aurait jamais... mais si elle avait un brin de compassion et de bon sens alors...

Non mais franchement, faut que Clay se calme.  Même s'il adore adresser des procès verbaux à Emily pour des faits qu'il ne punirait pas chez d'autres habitants, faut qu'il arrête les conneries lorsqu'il parle des pneus hiver !  Elle connait la législation à ce sujet.  On peut même dire que c'est grâce à lui qu'elle est devenue pas trop mauvaise en loi automobile.  A force de devoir faire un bras de fer continu avec lui, elle avait appris tout un tas de choses.  Seulement là, il allait trop loin.  Du coup, elle ne se gêna pas pour lui faire comprendre que s'il lui mettait réellement cette amende, elle n'hésiterait pas à porter plainte.  Faut pas abuser non plus.

Si en apparence Emily n'était pas énervée, à l'intérieur c'était pile l'inverse.  Mais, elle est passée reine dans ce genre de petits jeux de pouvoir et elle se refuse de perdre.  Elle veut donc jusqu'au bout donner du fil à retordre à son adversaire, sans pour autant lui montrer qu'elle est touchée elle aussi.   Masquer ses sentiments c'est devenu une vraie seconde nature pour elle.  Voir le visage de Clay se fermer et son regard s'assombrir était une victoire en soi, mais Emily déchanta assez rapidement.  Ce qu'il lui dit lui fit l'effet d'un seau d'eau glacé sur la tête.  Pourtant, elle n'en montra rien, si ça n'est qu'elle se débarassa de son air victorieux.  Elle se contentait donc de le fixer et d'écouter ce qu'il avait à lui dire.  Très honnêtement, adolescente, elle n'avait aucune idée que ses actes et ses paroles pourraient être aussi durs à porter pour lui.  Normal, elle ne pensait qu'à elle, comment aurait-elle pu se mettre à sa place.

« Donc là tu me punis ?  Sauf que j'ai quand même bien envie de te dire que moi quand j'ai fait la conne, j'étais adolescente !  Toi t'es un adulte et si t'as tellement souffert de ce que je t'ai fait, pourquoi est-ce que tu essayes de refaire la même chose ?  C'est facile de tout me mettre sur le dos ! »

Elle avait beau dire ça, au fond, elle se sentait terriblement coupable.  Tout ça c'est de la faute de Dan.  Depuis qu'il est réellement entré dans sa vie, il la rend un peu plus humaine et parfois elle regrette la bitchy bitch qui ne ressent rien.  Elle eut franchement peur au moment où il fit volte-face et s'avança vers elle.  Allait-il la frapper ?  A nouveau, elle essaya de ne rien laisser paraître mais son coeur se mit à battre la chamade.  Finalement, il vient déchirer les contraventions.  Il reprit la parole et a nouveau, ses propos glacèrent le sang de la mannequin.  Visiblement, il lui en voulait encore à mort, plus d'une dizaine d'années après.  Rien de ce qu'elle ne pourrait dire ou faire ne le ferait changer d'avis, alors elle resta silencieuse, en le regardant s'éloigner.

Au fond elle n'avait pas tort, bien au contraire, elle avait même raison... Pourquoi avait-il gardé cette rancœur et surtout pourquoi avait-il à de nombreuses reprises tout fait pour contrarier Emily et lui rendre la monnaie de sa pièce ? Il s'était comporté comme Emily lorsqu'elle était adolescente, il ne valait pas mieux qu'elle. Si cette manie de mettre des contraventions à tout va à Emily était au début un jeu pour lui, c'était vite devenu une revanche. Une revanche qu'il avait si souvent savouré et qui aujourd'hui avait un goût amer. Il n'était pas fier c'était le moins que l'on pouvait dire. Il n'avait pas réussi à tirer un trait sur ce passé et il faudrait sans doute encore beaucoup d'efforts pour qu'il y arrive. Il ne pourrait pas pardonner si facilement à Emily mais après tout ce n'était peut-être pas ce qu'elle demandait.

Quoiqu'il en soit, Emily avait raison, il s'était comporté comme le dernier des imbéciles à abuser de son pouvoir pour assouvir une vengeance dévorante. Il n'avait pas accepté de porter cette insigne pour se comporter de cette manière. Où était cette soif de justice, ce respect des règles ? L'honneur du shérif ? Il avait besoin de se recentrer, de reconquérir certaines de ses valeurs.

Bien sûr qu'il rejetait toute la faute sur Emily et même si Clay avouait ses torts, il rejetterait toujours le mal-être de son adolescence sur le dos de la jeune brune. Après tout c'était elle qui en avait fait sa tête de turc et qui avait monté une bonne partie du lycée contre lui. Il avait du subir moqueries et railleries à longueur de journée, cette réputation de redneck lui avait collé à la peau pendant de nombreuses années.

Clay avait l'impression qu'Emily essayait de se déculpabiliser lorsqu'elle lui avait fait remarqué avec quelle facilité il lui avait rejeté la faute. Cela prouvait au moins qu'elle devait se sentir ne serait-ce qu'un petit peu coupable et ça Clay l'avait bien compris. Alors qu'il arrivait à hauteur de la portière de son véhicule de police, il ouvrit celle-ci  puis se retourna avant de claquer sa portière. Il fit en fait demi-tour pour revenir de nouveau vers Emily. Cette fois son pas était plus posé mais aussi plus résigné comme s'il était lassé de cette revanche.

Le shérif s'assit sur le capot de sa voiture, son regard vide fixait Emily et il faisait balancer ses jambes. Il soupira un grand coup comme pour se donner du courage

- Tu as raison sur un point ! Ce que tu m'as dit m'a fait redescendre sur terre. Je n'aurais pas du agir comme je l'ai fait. J'ai outrepassé mes droits dans le seul but d'avoir ma revanche et j'avais tort. Je me suis abaissé à tout ce dont j'ai horreur, à tout ce que j'ai détesté en toi pendant tant d'années. Sur ce coup là je te dois sans doute des excuses. dit Clay peu fier son regard se dirigeant vers le sol. Il fouilla dans sa poche intérieure et en extirpa une quinzaine de dollars. Pour le carwash, considère ça comme une petite excuse mais pas comme un pardon ! Il tendit ainsi le billet à Emily.

Très sérieusement, Emily était bouleversée.  Quand le policier lui expliqua ce qu'il avait ressenti et à quel point elle avait pu lui faire du mal, elle se sentit vraiment très mal à l'aise.  Elle n'avait aucune idée de l'enfer qu'elle lui avait fait vivre et elle s'en voulait vraiment.  Évidemment, elle ne peut pas tout mettre sur le compte de l'age parce qu'elle savait qu'elle le ridiculisait, mais elle pensait que ça restait dans le cadre de l'école, pas qu'il en souffrait aussi en dehors.  En même temps, vu qu'elle ne pense qu'à son nombril, elle a souvent du mal à se mettre à la place des autres.  Elle réagit plutôt bizarrement, en ne s'excusant pas.  Elle a l'impression que si elle le fait là, maintenant, comme ça, il ne la croira pas, il ne trouvera pas ça sincère.  Par contre, elle ne manque pas de lui faire remarquer que si elle lui a fait vivre un enfer à l'époque et qu'il en a souffert, il n'avait pas à la blâmer de son comportement s'il faisait la même chose à son égard.  Sauf qu'Emily est moins fragile.  En tout cas pour ça et pour ce qu'elle en montre.  Elle n'a pas peur de sortir de chez elle et de le croiser, parce qu'elle croyait que c'était un « petit jeu » entre eux.  Ca la faisait grave chier, mais quelque part, elle s'y était presque habituée.

Par contre, où Emily resta sur le cul, c'est quand il revint sur ses pas, qu'il s'assit sur sa voiture et qu'il lui fit son mea culpa.  Elle était complètement en train d'halluciner.  Il s'excusait ?  Non mais c'est bon, il a rien fait de trop grave non plus, c'est pas comme si elle avait des difficultés financières  non plus.  En plus, le fait qu'il agisse comme ça la faisait encore un peu plus culpabiliser d'elle n'avoir rien dit.  Elle s'était en quelques sortes justifiée en expliquant qu'il agissait de la même manière avec elle aujourd'hui.

« Non mais c'est bon, ça va t'inquiètes. »

Articula-t-elle, incapable de savoir si elle était en train de rêver ou tombée dans la quatrième dimension.  Voilà qu'en plus il lui proposait de payer le carwash.

« Je veux pas de ton argent, je disais juste ça pour t'embêter.  C'est gentil. »

Franchement, elle ne savait que dire ou que faire parce qu'elle avait l'impression d'être spectatrice plutôt qu'actrice de la scène qui se passait sous ses yeux.

Toujours assis sur le capot de son véhicule de police, Clay serrait les poings. S'il était devenu shérif c'était parce qu'il avait toujours été très attaché à la justice mais surtout parce qu'il voulait rendre honneur à la mémoire de son défunt père. Lorsque son paternel avait été assassiné, il s'était mis en tête de ne plus être spectateur de la justice mais de l'aider. Aujourd'hui il éprouvait un certain déshonneur. En abusant de son pouvoir pendant tout ce temps avec le cas d'Emily Fisher il avait fait une croix sur tout ce qu'il avait juré d'être en devenant shérif. Il avait servi une vieille cause, une vengeance ancienne et aigrie et il avait utilisé son statut de représentant de la loi pour cela. Quel exemple ! Tout ces jeunes gamins qui rêvait de devenir flic, s'il savait ce que Clay avait fait. Bien sûr si Emily avait décidé de le poursuivre il serait tombé pour abus de pouvoir et harcèlement. C'était en le mettant devant le fait accompli que Clay avait enfin réagi. Il avait eu peur de perdre tout ce pourquoi il s'était battu d'une part mais d'autre part il avait aussi honte et c'était la raison pour laquelle il présenta des excuses à son ennemie d'antan qui aujourd'hui ne devait plus l'être... du moins pas de cette manière. Il ne se posait pas la question du pardon, c'était évidemment bien trop tôt pour l'instant. Il ne pouvait pas tout balayer d'un coup mais il pouvait au moins reconnaître ses torts et c'était ce qu'il avait fait, ce qui n'avait pas manqué d'étonner la jeune femme qui se tenait en face de lui.

Clay ôta son chapeau de de cow-boy qu'il prit entre ses mains puis fixa Emily.

- Non ! Écoutes je sais que ces excuses peuvent te paraître étranges mais... elle sont je pense justifiées. Bien sûr ce que je t'ai fait subir est loin de ce que toi tu m'as fait subir quand on était plus jeune mais c'est déjà suffisant pour moi, pour me sentir honteux et pour présenter mes excuses. J'ai toujours eu horreur du pouvoir et de l'emprise que tu avais sur les autres élèves à l'époque du lycée. J'ai reproduit des erreurs que toi tu avais commises quand tu avais 17 ans, j'en ai 31 ! J'ai abusé de mon statut de shérif et du pouvoir que j'ai entre mes mains... comment je peux prétendre servir la justice après ça ! dit Clay déterminé à reconnaître son erreur.

Clay avait appris à constamment se remettre en question et il savait reconnaître ses erreurs même s'il avait parfois du mal à les avouer. Seulement quand c'était aussi énorme, il ne pouvait pas passer à côté et se cacher éternellement derrière sa fierté d'homme et de son orgueil de cow-boy. Il n'était pas face à ses adjoints et et ses officiers là, il n'avait pas à s'imposer et à montrer que c'était lui le patron. Ici, même s'il était en face d'une personne qu'il avait longtemps viscéralement détesté et qu'il détesterait encore sans doute pendant un petit moment, il devait savoir se montrer digne. Être un homme ce n'était pas toujours causer fort et exhiber sa force c'était aussi montrer que l'on avait du cœur. S'excuser c'était faire preuve de courage. Voyant qu'Emily n'avait pas pris son billet pour le carwash, Clay eut un petit rictus.

- Tu sais Emily, je pense que tu es trop matérialiste. L'argent que je te propose c'est pas seulement de l'argent, c'est symbolique, ce sont mes remords qui sont dans ce billet ! Tu es née à Shady Cove bon sang ! Je pense que parfois tu devrais revenir à des valeurs plus simples ça t'aiderait et ça te ferait le plus grand bien même si aujourd'hui tu vis à New-York !

Clay se leva du capot de sa voiture, remit son chapeau de cow-boy puis coinça le billet sur l'essuie-glace arrière de la jeune femme. Il s'apprêtait à présent à repartir. Clay était fier d'avoir tiré un trait sur cette vengeance qui avait dévoré de longues années de sa vie. Il ouvrit la portière de son véhicule et s'accouda à celle-ci quelques instants.

- J'espère que tu as apprécié le café au moins ?! dit le shérif non sans une petite pointe d'ironie.

Il y a des moments, dans la vie, où on ne comprend pas grand chose.  Et clairement, Emily était en train de vivre un de ceux là.  Elle était face à un revirement de situation extrêmement inattendu.  Pendant des années, Clay l'avait malmenée en lui mettant des contraventions à chaque fois qu'il la voyait.  Heureusement qu'elle était 11 mois sur 12 à New-York ou ailleurs dans le monde à l'époque, ça lui permettait d'éviter de le croiser trop souvent.  Et aujourd'hui, voilà qu'il vidait son sac devant elle.  Il lui expliqua ce qu'il avait ressenti pendant leur adolescence, quand elle en avait fait une proie.  Ca avait été plutôt facile pour la brune car le garçon était différent et on peut facilement se moquer de ça.  La mannequin fut tout de même choquée quand elle l'entendit lui expliquer ce qu'il avait ressenti à l'époque.  Ne pensant qu'à elle, elle n'avait même pas imaginé la tourmente quotidienne qu'elle lui avait fait endurer et elle s'en voulut instantanément.  Pourtant, elle ne fit pas son mea culpa, parce qu'elle devait lui ouvrir les yeux.  Il était en train de faire pareil, même si bon les conséquences sont totalement différentes et elle n'éprouve pas de trouble psychologique suite à ses actions.

Contre toute attente, voilà que Clay commença à s'excuser, à se justifier, à faire tout ce qu'elle aurait dû faire.  C'est clairement le monde à l'envers.  N'ayant pas besoin de tout ça, Emily lui dit qu'il n'avait pas besoin de continuer, mais visiblement, le shérif avait besoin de parler.  Si la situation avait été différente, elle se serait sans doute mise à rire ou à croire qu'il s'agissait d'une caméra cachée.  Elle se sentait devenir un peu nerveuse face à cette situation qu'elle ne gérait pas.  S'il pouvait se taire plutôt que se flageller, ça arrangerait assez la brune.

« C'est de l'histoire ancienne à présent du coup, donc t'as pas à t'en vouloir avec ça.  Tout le monde fait des erreurs... et sans vouloir faire la mesquine, t'es pas mieux qu'un autre.  Donc arrête de t'auto punir. »

Ouais, elle a une drôle de méthode pour remonter le moral aux gens.  En même temps, elle n'a pas eu le temps de se préparer.  Elle pare au plus pressé !  Elle lui expliqua ensuite ne pas vouloir de son argent, mais voilà que l'agent se prenait à présent pour un poète et qu'il se mit à lui expliquer que ça représentait plus que des sous.  Elle préféra à nouveau se taire que de parler, parce qu'elle ne voyait pas quelque chose d'agréable à ajouter par rapport à ça et qu'elle doit arrêter de se moquer de lui.  

« Je vais y penser. »

Répondit-elle simplement, juste pour clore la conversation, parce que là, elle est sur le cul et il faut qu'elle digère tout ce qui vient de se passer.  Il coinça le billet sur sa voiture, alors que la brune restait toujours immobile.  Voilà qu'en plus, il se mettait à plaisanter.

« Pas autant que mon capot... Merci. »

Conclut-elle en haussant les épaules.

Clay avait fait son mea culpa et il se sentait déjà un peu plus léger, le fait d'enterrer en quelque sorte la hache de guerre l'avait libéré d'une vengeance qui l'avait enchaîné des années durant. Il espérait que sa repentance fasse cogiter Emily. Il ne cherchait pas forcément des excuses, seulement à la faire réfléchir. Aujourd'hui, Clay avait fait un grand pas, il avait tiré un trait sur une vieille affaire qui l'avait rongé. S'il avait réussi à faire cette démarche alors il pourrait la reproduire pour d'autres évènements passés notamment sa séparation avec son ex-compagne. Clay ne devait plus être prisonnier de son passé, il devait aller de l'avant et se montrer fort. S'excuser auprès d'Emily c'était déjà un acte fort, alors que certains pensaient le contraire, que l'excuse était pour les faibles et que la rancune nourrissait la force. Le shérif n'était pas de cet avis et il venait de le montrer. Il sentait que son interlocutrice était un peu décontenancé face à ses excuses sans doute inattendue.  

- Comme tu dis, maintenant c'est de l'histoire ancienne. C'est pas de l'auto-punition, je me suis libéré d'un poids et ça fait juste du bien et en effet je vaux pas mieux que les autres ! dit Clay posément.

Le shérif avait une opinion assez étrange de lui même. Il faisait le dur sous son chapeau de cow-boy mais il était conscient qu'il y avait eu de lourds échecs dans sa vie et il avait eu une fâcheuse tendance à se morfondre dans son coin sans jamais se confier à qui que ce soit. Aujourd'hui c'était terminé, il voulait apprendre à s'ouvrir aux autres et à être sincère. On pouvait avoir l'impression que le jeune homme s'apitoyait ainsi sur son sort mais il cherchait juste à se libérer de l'emprise de son passé simplement en parlant, en en faisant plus un tabou.

A présent, le shérif n'avait plus rien à dire à Emily, il devait retourner travailler, faire ce pourquoi il avait été élu et non pas dresser arbitrairement des contraventions. Lorsque Emily lui lança que le capot de sa voiture avait plus apprécié le café qu'elle même, Clay réprima un petit rire. Il monta ensuite dans sa voiture, ferma la portière et démarra. Arrivé à hauteur d'Emily il ouvrit la fenêtre

- A plus Fisher et n'oublie pas de changer ton feu arrière droit ! Clay salua Emily d'un petit geste avec son chapeau de cow-boy puis s'éloigna. Il fit hurler la sirène et activa les gyrophares lorsqu'on l'appela sur une rixe. Le devoir appelait le jeune shérif qui à partir de maintenant se montrerait digne de son insigne.

Emily avait l'habitude de ce genre de petites rencontres fortuites avec Clay.  Il faisait le casse-bonbons et elle avait une amende.  En même temps, elle le méritait parce qu'elle avait tellement été chiante par le passé avec lui que son attitude envers elle était encore une douce punition.  Quoi qu'il en soit c'était bien énervant et voilà qu'aujourd'hui il voulait la punir alors qu'elle n'avait pas commis d'infraction.  Alors là, elle n'est pas d'accord et elle le lui fait savoir.  Tout bien réfléchit, elle aurait certainement mieux fait de se taire, parce que le mélodrame qui suivit lui coupa le souffle.  Dans un premier temps, Clay lui avoua ce qu'il avait ressenti tout le temps où il avait été sa « victime ».  Franchement, elle se sentait mal parce qu'elle n'avait pas imaginé qu'il ait pu si mal vivre les choses.   Si elle était égoïste et parfois injuste, elle n'avait pas un fond méchant.  Elle faisait ça pour s'amuser et elle n'avait aucune idée des conséquences de ses actes.

Puis, il se mit à lui expliquer qu'il n'agissait pas mieux qu'elle et à se confondre en excuses.  Franchement, ça en était presque trop.  Elle essayait de le faire taire, parce que ça la gênait un peu au final, mais on ne peut pas dire qu'elle soit la reine de la finesse et de la douceur.  En tout cas, elle fait son possible pour gérer cette situation cocasse.  Visiblement, il se sentait libéré et c'est tant mieux pour lui, mais maintenant il ne pourrait pas y aller ?

Il lui fit une petite remarque à laquelle elle répondit au sujet du café et finalement se mit au volant de son véhicule.  Emily était vraiment déboussolée par ce retournement de situation inattendu.  Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'arrêta à sa hauteur pour lui parler du phare arrière, elle se sentit tout de suite beaucoup mieux et répondit :

« Oui, shérif. »

Avant qu'il ne disparaisse de sa vue.  Elle ne sait pas vraiment si ce sont les fêtes qui font un drôle d'effet aux gens, mais elle n'aime pas trop ça.


FIN DE LA SCENE