-
Je suis désolé Mr. Fisher, vous ne disposez pas du physique. Vous êtes trop… banal. Votre mâchoire a quelque chose, c’est vrai, mais vous êtes quand même trop charismatique pour le rôle. En fait, vous avez une tête qui ne marque pas. Avec cette gueule de chiot, vous n’irez pas très loin, je tiens à vous en informer ; n’allez pas croire que vous avez une quelconque chance de percer dans un rôle dramatique. On ne vous prendra jamais au sérieux. Vous ne vous prenez vous-même pas au sérieux de toute façon, j’ai raison ?Je suis sorti, j’ai rien dit. J’ai nerveusement frotté le gravier avec mes semelles, m’allumant une cigarette. J’ai tapé dans un caillou, pour l’envoyer contre un banc. Je me suis assis sur ce banc. J’ai longuement froncé le sourcil devant un bâtiment imposant. Je me suis senti tellement fâché contre ce bâtiment.
Puis j’ai pris le bus et je suis rentré chez moi. Chez moi, c'est-à-dire : un appartement cosy et pas cher au quatrième étage ; situé dans un quartier très animé de Los Angeles ; et partagé avec deux personnes qui m’étaient alors inconnues jusqu’à mon arrivée en Septembre. (Et depuis, on est devenus super copains.)
Ma colocataire, Ellie, m’accueillit avec une assiette fumante de paella. J’ai tout mangé sans un mot. Après j’ai fait la vaisselle avec elle, et elle ne parlait pas non plus. Tous les deux plongés dans notre mutisme et dans la mousse, nous avons été interrompus par la venue de Tulio, autre colocataire, espagnol. Il nous a pris dans ses bras, en remerciant chaleureusement Ellie d’avoir fait de la paella. Ellie n’a pas tout de suite compris, parce que Tulio parle vraiment très vite.
-
L’odeur de son pays squatte tout l’appartement du coup il est content, je lui ai expliqué.
« Les racines, amigo, ti comprends » Ji comprends Tuli.
Il m’a foutu le seum. Je pensais à mes racines à moi.
Je suis allé me coucher après avoir skypé Reese et posté une vingtaine de photos bizarres sur le mur Facebook d’Eleanor. J’ai écrit à ma mère, et j’ai envoyé une photo du chat roux qui traîne tout le temps dans notre appartement à Samantha (elle seule peut comprendre).
Mais j’ai pas vraiment réussi à dormir. J’ai encore cherché pendant deux heures des propositions d’auditions à Los Angeles. J’ai noté toutes celles où je pouvais me rendre, toutes celles qui ne nécessitaient pas « un air tragique et un physique sombre ». J’ai que mes cheveux de sombre, c’est dommage. Je sais pas si ça m’a découragé, que ce recruteur me dise ça.
•••
Quelques jours plus tard, j’ai capté que ça m’avait encore plus boosté. Je suis fait pour ça, je veux dire, être sur les planches, faire ressentir des émotions aux gens ; les faire rire, les inquiéter, les énerver, les embarquer hors de leur réalité sinistre ; Un moment entre eux et moi. Qui ne voudrait pas ça ? C’est le plus beau métier du monde, et ce n’est pas un espèce de crétin qui juge à la première impression qui me fera reculer.
Finalement, j’ai obtenu un rôle dans une petite pièce, qui sera représentée dans une salle minuscule. Je suis cependant entouré de comédiens confirmés. Je joue un majordome cleptomane, un rôle qui alterne entre sérieux et grotesque. Et tous les soirs, vraiment tous les soirs, je me dis que j’ai une chance inouïe d’être dans cette école, et que je ne la gâcherai pour rien au monde.
Vivre loin de Shady Cove, c’est l’un des pires trucs au monde, mais ça en vaut la peine. J’ai heureusement pas mal de temps libre pour m’y rendre régulièrement. En ce moment, à l’approche des fêtes de fin d’année, ça me tiraille, ça me manque, alors je me suis accordé deux semaines de vacances, entre Novembre et Décembre.
-
Reviens-nous vite, amigo. N’oublie pas, el trabajo. J’ai embrassé mes deux colocataires et je suis parti, chargé comme un mulet, avec le chat.