Emily regarda par la vitre du four en tournicotant une mèche de ses cheveux. Elle avait suivi les indications de sa maman à la lettre : ne toucher à RIEN. C’était Ellen elle-même qui avait mit le plat au four et programmé la chaleur de peur que sa fille n’arrive à encore tout faire foirer. Si Emily a beaucoup de talent dans certains domaines, pour ce qui est du monde de la cuisine, elle est catastrophique. Elle arrive à tout foirer. Encore la dernière fois qu’elle avait fait juste cuire les pancakes elle avait réussi à les cramer. En même temps, elle avait bien mieux à faire que de s’occuper d’un plat au four.

Elle termina de mettre la table pour deux. Ce soir, elle reçoit son meilleur ami. Même si elle n’est vraiment pas genre « femme au foyer soumise » elle se plait dans de rares cas à jouer l’hôtesse attentionnée, mais faut vraiment le mériter. Maintenant qu’elle est coincée pour un petit temps à Shady Cove, elle a vraiment envie de passer du temps avec les gens qu’elle aime et surtout de rattraper le temps perdu.

En ce qui concerne sa tenue, elle a fait relativement sobre. Elle porte simplement une tunique rouge à fleurs sur un pantalon en cuir noir. Son bras gauche est soutenu par son attelle. pas besoin de faire des chichis pour Noah, il l'a vue pire qu’elle n’est jamais apparue aux yeux de personne. C’est sans doute pour ça qu’elle l’aime autant. Il ne l’a pas jugée, il l’a protégée et il a gardé son secret.

Une fois qu’elle eut terminé de mettre la table, elle alla retrouver Kitty, son adorable chaton tigré et jouer avec elle de sa main libre, sur le canapé. Si son père voyait la scène, il aurait crisé, mais ce soir ses parents dinaient à l’extérieur. Elle n’avait aucune idée du programme de la soirée d’Eliott, mais elle sait qu’il ne serait pas du genre à s’imposer auprès de sa sœur. On ne peut pas vraiment dire qu’il recherche les contacts avec elle, le garçon. Ems alluma la télévision sur une chaine musicale, tout en continuant à jouer avec sa peluche vivante, jusqu’à ce que la sonnette retentisse. Guillerette, elle sautilla jusqu’à la porte pour l’ouvrir pour son invité.

« Coucou toi. »

Il y avait bien longtemps qu’il ne s’était pas octroyé une soirée de repos, et l’invitation d’Emily tombait à point nommé. Noah ne l’avait pas vu depuis un certain temps et la jeune femme commençait à lui manquer. A cause de son boulot, il ne lui rendait pas suffisamment visite et s’en voulait à chaque fois un peu plus. Pourtant, ce soir-là, ce serait leur soirée. A tous les deux. Si son téléphone sonnait, il ne décrocherait pas. D’ailleurs, il l’avait mis en silencieux, au cas où. Il n’accepterait pas que quelqu’un, n’importe qui, vienne bouleverser ce tête-à-tête avec celle qu’il considérait comme sa meilleure amie.

Il la connaissait depuis une dizaine d’années maintenant, mais elle parvenait encore à le surprendre. Connaissant ses talents culinaires, le jeune homme espérait qu’elle n’avait pas essayé de cuisiner le moindre plat pour l’impressionner ! Avec un peu de chance, elle aurait commandé un truc. Enfin bon, ça, il verrait bien. N’ayant pas eu le temps de se changer en sortant du Journal, ce fut donc vêtu de son habituel costume-cravate cintré qu’il remonta l’allée conduisant à la maison des Fisher. Noah était en effet du genre à privilégier les tenues chics plutôt que décontractées et son goût vestimentaire avait vite fait le tour de Shady Cove ! Même dans une petite ville de la campagne, le journaliste tenait à apparaître distingué. C’était l’une de ses principales qualités. Ou l’un de ses principaux défauts, au choix.

Noah appuya sur la sonnette sans hésitation, impatient à l’idée de retrouver sa meilleure amie, et la porte s’ouvre quelques instants plus tard. Le journaliste esquissa un sourire en la découvrant dans l’embrasure de la porte. Elle était toujours aussi belle, aussi rayonnante, malgré l’attelle qui lui maintenait l’épaule. Heureux de la revoir, il s’avança pour la serrer délicatement dans ses bras, en faisant attention de ne pas la blesser.

« Salut ! Tiens, je t’ai ramené des chocolats, je sais que tu adores ça. »

Il lui tendit une boîte assez imposante fermée par un ruban rouge, pour donner l’illusion d’un parfait cadeau. Manquait plus que l’emballage, mais le jeune homme n’avait pas eu le temps d’en trouver, il s’était donc contenté d’enrouler du ruban autour de la boîte tout juste achetée ! Il la suivit ensuite à l’intérieur de la maison et, comme toujours, Noah fut très heureux de retrouver l’atmosphère chaleureuse qui la caractérisait. Il y avait tant de questions qu’il désirait poser qu’il ignorait par où commencer.

« T'es toute seule ? Ta famille n’est pas là ? »

Pour passer le temps, Emily avait mis la musique sur la télévision et jouait avec Kitty. Son petit trésor. Elle dût l’abandonner lorsque la sonnerie retentit et qu’elle alla ouvrir à son meilleur ami. C’était toujours une immense joie de le voir. Pourtant, les débuts n’ont pas été simples. Quand il l’a retrouvée, dans une ruelle, complètement déboussolée, elle a été horrible avec lui. Elle lui a dit tout un tas d’horreurs qu’elle lui ferait s’il révélait ce qu’il savait à qui que ce soit (a). Et pourtant, il ne l’avait pas abandonnée en plan ni laissé tomber par la suite. Elle sait que sans son aide et les sentiments qu’elle a commencé à cultiver pour lui à ce moment-là, elle n’aurait jamais pu se détacher de son bourreau. Noah l’a donc sauvée de plus d’une façon. Si elle cultive autant de respect et d’amour pour lui, c’est qu’il n’a jamais essayé d’obtenir plus d’elle que son amitié. Ca fait quand même une grosse dizaine d’années qu’ils se connaissent et pas une fois il ne s’est passé quelque chose de réellement ambigu, sauf dans le chef de miss Fisher.

Lorsqu’elle le vit se tenir si élégant sur le pas de sa porte, un grand sourire vint illuminer son visage alors qu’ils s’étreignirent un instant. Lorsqu’elle se recula il lui offrit des chocolats, mais quel amour, ce garçon ! Elle ne manqua pas de sautiller sur place en poussant un petit cri de joie, avant de prendre la boîte.

« Merci beaucoup, t’es le meilleur du monde ! »

La boîte était grosse en plus. Emily rentra donc à l’intérieur de la maison, avant de se diriger vers la cuisine pour y déposer les chocolats. Elle ne crut pas bon lui dire de déposer son veston, s’il le voulait, au porte-manteau car ils se sentent assez à l’aise que pour le faire d’eux-mêmes quand ils vont l’un chez l’autre.

« Mes parents sont à un souper chez des amis et mon frère, j’en ai aucune idée. Il passera peut être plus tard, j’en sais rien. »

Elle le regarda d’un faux air mauvais avant d’ajouter.

« Mais ne t’en fais pas, je n’ai touché à rien en cuisine, c’est maman qui nous a fait sa Shepherd Pie. T’auras juste qu’à tourner le bouton du four quand ça sonnera, comme ça on est sur que je ne fais pas de catastrophe ! »

Elle se mit à présent à rire en sortant une bouteille de vin blanc.

« Ca te dit ? »

Noah sourit quand Emily le remercia avec chaleur, lui disant même qu’il était le meilleur. Il en doutait sérieusement, mais il fut malgré tout toucher par l’enthousiasme de son amie. Il la revoyait encore, des années auparavant, encore frêle et innocente, ne sachant vraiment que faire de sa vie. Les débuts n’avaient pas été des plus faciles, au contraire ! Mais aujourd’hui, leur amitié était des plus solides et le jeune homme ne se voyait pas vivre sans elle. Même s’il n’était pas forcément des plus expansifs quand il s’agissait de montrer ses sentiments, il adorait Emily et le plus important était simplement le fait qu’elle le savait déjà.

Il suspendit donc, sur son invitation, sa veste au porte-manteau, dévoilant ainsi une chemise de couleur foncée et une cravate noire – il avait horreur des cravates excentriques et de multiples couleurs, préférant nettement la sobriété, bien plus classe ! – et se tourna ensuite vers la jeune femme. Au moins, ce soir, ils seraient seuls. Noah connaissait vaguement le petit frère d’Emily, mais il ne pouvait se faire un véritable jugement sur lui. Un gamin un peu paumé et plutôt foufou, c’était tout ce qu’il pensait de lui ! (a)

« Arrête ! » répondit-il, sur un ton mi-figue mi-raisin. « T’es la meilleure du monde en cuisine, tu le sais bien ! »

Il laissa échapper un petit rire, signe qu’il n’en croyait pas un mot. Evidemment qu’il avait déjà dû faire aux talents culinaires de son amie, et il n’en gardait vraiment pas un bon souvenir !

« Tu la remercieras de ma part, alors. Je lui serai toujours reconnaissante d’avoir voulu m’épargner tes recettes ! »

Bon, certes, il adorait la charrier. Mais ce n’était jamais méchant. Il se permettait des familiarités avec elle qu’il n’aurait jamais tenté avec d’autres, même des amis proches. Il avait l’impression de connaître Emily par-cœur, il savait les sujets à ne pas aborder, les sujets qui cassaient l’ambiance. En ce qui concernait la cuisine, aucun risque là-dessus ! Emily reconnaissait bien volontiers qu’elle était nulle en cuisine et adorait en rire. La jeune femme sortit ensuite une bouteille de vin blanc, et le regard de Noah pétilla. Rien de tel pour mener un bon repas ! Il adorait le vin, buvait régulièrement de l’alcool – sans toutefois tolérer les excès, car même s’il était parfois fêtard, il tenait bien l’alcool. Le jour où l’on verra le journaliste Noah Clarke totalement ivre, il faudrait consacrer la Une du Journal pour lui tout seul !

« Avec plaisir » assura-t-il d’un ton plus joyeux.

Noah peut bien profiter des compliments, parce que c’est pas le genre d’Emily de reconnaitre les qualités des autres à tout va. En tout cas, elle pense réellement qu’il est au top du top des meilleurs amis quand on voit tout ce qu’il a déjà fait pour elle, sans rien demander en contrepartie. La plupart des mecs auraient voulu profiter d’elle et se l’envoyer, mais lui était un parfait gentleman. Parfois, un peu trop. Enfin, à une certaine époque, elle ne lui aurait certainement pas dit non.

Une fois à l’intérieur, elle lui expliqua où était sa famille et finalement tenta de le rassurer : le plat au four, elle n’y était pour rien. Sa gentille maman avait eu peur pour le journaliste ou elle ne voulait pas être accusée de non assistance à personne en danger ^^. Adorable à nouveau, le beau brun se mit à flatter Emily qui se mit à rire.

« Dieu sait que j’adore les compliments, mais essaye de parler de trucs un peu plus réalistes pour me mettre en avant, parce que pour le coup… personne peut croire ça, c’est trop énorme. »

La deuxième partie de son discours était du coup moins sympa, mais elle sait très bien qu’il ne dirait jamais rien pour la blesser.

« Hey oh, finalement, recommence à mentir, merci. »

Un grand sourire ne quittant pas ses lèvres, elle saisit une bouteille de vin blanc, elle lui proposa d’en prendre un verre et il accepta. Elle s’avança donc vers lui avec la bouteille et le tire-bouchon et décida de faire comme lui, quelques minutes auparavant, d’exagérer complètement ses compétences (a).

« O toi, homme si musclé, pourrais-tu aider la femme sans défense – enfin sans un bras – que je suis à ouvrir cette bouteille ? »

Ah ! Décidément, entre Noah et Emily, c’était une sorte de jeu du chat et de la souris, un jeu particulièrement exaltant que le jeune homme adorait. Chacun se renvoyait la balle, se moquait gentiment de l’autre, adoptait une fausse moue vexée puis repartait avec toujours plus d’acharnement dans la bataille. Il trouvait en son amie la compagne idéal pour se livrer à de tels enfantillages. Il adorait sa répartie !

« Un truc plus réaliste ? » répéta-t-il en faisant mine de réfléchir. « Ok… T’es la femme la plus extraordinaire quand t’es totalement bourrée. Ça te va ? »

D’accord, il la charriait encore. Il n’empêche que, puisque lui tenait bien l’alcool, il voyait toujours ses amis ivres avant lui. Et Emily, à ce niveau-là, obtenait la palme ! Suivant l’expression, elle lui envoyait littéralement du rêve. D’ailleurs, en parlant de cela, il y avait déjà bien longtemps qu’il n’était pas sorti dans un bar avec elle. Prochain coup, juré, il se ferait passer pour son petit ami pour dissuader les éventuels prétendants. Et des prétendants, il y en avait ! Non pas qu’il était jaloux, surtout qu’il ne s’était jamais rien passé entre eux qui aurait laissé penser à une quelconque relation amoureuse, du moins il n’en avait pas eu l’impression. Mais quand il était avec elle, il aimait bien donner l’illusion aux autres qu’ils n’avaient aucune chance. (a)

« Musclé ? Là c’est toi qui commence à me mentir ! »

Le jeune homme était tout sauf particulièrement musclé. En fait, selon ses propres mots, il avait plutôt l’allure d’un coton-tige ambulant ! Le sport n’était vraiment pas sa tasse de thé. Il préférait écrire ou et rédiger des articles plutôt que passer des heures à la salle de sport, où il s’ennuyait à mourir. Pourtant, il accepta sans hésiter la bouteille qu’elle lui tendait et, parvint – non sans feindre de ne pas y arriver, au moyen d’une grimace exagérée. Enfin, exagérée, pas tant que ça au final – à en retirer le bouchon.

« Et voilà ! Madame est satisfaite de cette démonstration ? »

Il lui tendit de nouveau la bouteille ouverte, un sourire malicieux aux lèvres, achevant enfin de se dérider. Il y avait toujours un moment d’adaptation entre son boulot et sa vie privée ; au Journal, il adoptait un masque de sérieux inébranlable, consciencieux et professionnel qu’il était, même s’il lui arrivait de plaisanter avec ses collègues. Ailleurs, ce n’était plus du tout la même chose, et Noah apparaissait enfin sous son vrai jour. Détendu, drôle, et classe en tout circonstance.

Noah était arrivé depuis quelques minutes seulement et Emily se sentait déjà extrêmement bien. Déjà, c’est quelqu’un d’attentionné, il lui a amené des chocolats. En plus elle le trouve très amusant et son côté bcbg lui donne un air très sexy… ou l’envie de le décoincer, bien que l’habit ne fait pas le moine. Il peut être bien moins sérieux que ce qu’il n’en a l’air ou n’essaye de se donner l’air. Il le prouve tout de suite en racontant des âneries sur les capacités culinaires de sa meilleure amie. S’il y a bien un domaine où elle est complètement naze et qu’elle le reconnait, c’est bien la cuisine. Lorsqu’il reprend sa phrase en la traitant de femme la plus extraordinaire, la jeune femme se tient bien droite, acceptant complètement le compliment, puis se met à éclater de rire lorsqu’il termine sur une touche un peu plus alcoolisée.

« Déjà, je suis jamais bourrée. »

Mentit-elle en roulant des yeux. Si elle se croit déjà la reine du monde sobre, je vous laisse imaginer lorsqu’elle a trop bu. A bien y réfléchir, cela fait un bail qu’ils ne se sont pas fait une sortie tous les deux, et il faudrait vraiment qu’ils remédient à ça.

« Et puis, j’ai pas besoin d’être bourrée pour être extraordinaire, chéri ! »

Elle lui tira la langue de manière très enfantine, avant de finalement s’occuper du ravitaillement. Elle sortit une bouteille de vin mais réalisa assez rapidement qu’elle n’arriverait pas à l’ouvrir toute seule. Du coup, elle confia cette tâche à Noah… qui réalise bien rapidement qu’elle le flatte uniquement pour arriver à ses fins. Il fit le clown en grimaçant et, à nouveau, la fit rire.

« Merci musclor. Je n’hésiterai pas à refaire appel à vos services si… efficaces ! »

Elle reprit la bouteille à présent ouverte, sortit deux verres et versa relativement proprement du vin dans chacun d’entre eux.

« Santé ! »

Lança-t-elle, avant de lever son verre pour trinquer avec lui. Elle eut à peine le temps de boire une gorgée qu’elle reconnut les notes d’un de ces morceaux préférés du moment.

« Oh, j’adoooore cette chanson ! »

Noah trouvait sa meilleure amie bien très enthousiaste, voire déchaînée, et cela se confirma par la suite. De toute manière, il existait toujours une sorte de décalage entre eux, et c’était probablement pour cette raison que leur duo fonctionnait si bien ! Elle, le mannequin un peu fofolle, lui le journaliste à la fois sympathique, consciencieux et peut-être parfois trop sérieux, même s’il possédait un côté humoristique qu’il dévoilait parfois – comme c’était le cas. Mais ils se complémentaient parfaitement bien.

« C’est vrai, j’avais oublié. Alors toutes les fois où je t’ai vu chanter n’importe quoi, perchée sur une table en train d’agiter tes minuscules poings en l’air, t’étais pas bourrée ? »

Oh, et il y avait bien pire encore. Chanter sur une table, ça restait encore soft. Mais la décence lui interdisait de révéler les déboires de son amie, même s’il s’agissait là d’un exercice particulièrement amusant. C’était bien vrai, songea ensuite le jeune homme, Emily n’avait aucunement besoin de boire jusqu’à devenir totalement cinglée pour être extraordinaire ! Elle l’était naturellement. Même si certaines personnes ne supportaient pas son caractère pour le moins singulier, lui, Noah, le pouvait. Et, mieux, il l’appréciait.

Il saisit le verre qu’elle lui tendait avec un sourire et l’inclina à son tour pour trinquer.

« Santé ! »

Il trempa légèrement ses lèvres dans le vin, en but ensuite une gorgée et l’apprécia. Oui, pas mauvais. Décidément, la soirée promettait d’être excellente ! Noah éclata de rire quand elle lui annonça adorer cette chanson. Il avait l’impression d’entendre cette phrase très régulièrement, surtout venant d’elle !

« Et bien va-y, je t’en prie… Epate-moi de tes prouesses vocales ! »

Evidemment, qu’Emily est déchainée. Elle est tellement contente de passer un moment avec son meilleur ami qu’elle est un peu survoltée, voire fatigante. Heureusement pour elle, Noah a plutôt l’habitude de la supporter. Il ne risque donc pas de prendre tout de suite peur. Il y a pourtant un cas de figure où Emily est encore plus infernale que d’habitude : c’est quand elle est bourrée. Elle parle beaucoup trop fort, répète sans cesse la même chose, bref passe pour une écervelée… et encore, ici on reste dans le domaine des choses avouables.

« Euh… j’étais juste contente, je chantais une ode à la vie, y a pas besoin d’être saoule pour ça, si ? »

Tenta-t-elle, bien qu’elle doute qu’il la croie, d’autant qu’il la connait bien et sait reconnaitre quand l’alcool commence à faire effet sur elle. D’ailleurs, il s’en rend souvent compte bien avant elle. Même s’il la protège, il est loin d’être chiant à l’empêcher de continuer à lever le coude. Après tout, c’est une grande fille.

Une fois servis, les deux jeunes gens trinquèrent et une gorgée de vin blanc plus tard, la brune réalisa que le morceau qui passait à la télévision fait partie de ses préférés du moment. Du coup, elle le fit savoir de manière plutôt bruyante, avant de se placer dans l’embrasure de la porte cuisine/salon, histoire de mater le clip. Noah évoqua ses prouesses vocales et évidemment, Emily pensa mal et évita de lui faire une remarque sur ses prouesses buccales. Y a sans doute certaines choses qu’il n’a pas envie de savoir. Ou en tout cas il est trop tôt pour ce genre de blagues scabreuses. Quoi qu’il en soit, la mannequin ne se fit pas prier et elle posa son verre de vin, avant de prendre la télécommande pour s’en servir comme micro et elle commença à chanter en même temps que le clip. Enfin, en même temps oui… mais pas spécialement les bonnes paroles. Et puis, après tout, on s’en fout. Au refrain, elle haussa le ton, donnant plus de profondeur à ses aigus… Noah fut littéralement sauvé par le gong ou plutôt la minuterie du four qui indiquait que la Shepherd Pie d’Ellen était cuite.

« Tu peux t’en occuper ? »

Demanda-t-elle le plus sérieusement du monde.

« J’ai une prestation à finir. »

Noah éclata de rire face à la maladroite tentative de sa meilleure amie pour se défendre. La voir ivre était un spectacle toujours amusant, et presque sans dangers : puisqu’il veillait au grain, la suivant partout durant ces scènes, Emily ne risquait pas grand-chose. Le jeune homme la surveillait, même de loin, parce qu’elle attirait forcément les hommes souvent peu fréquentables, car ivres, et quelqu’un se devait de la protéger contre eux. Noah s’en chargeait donc. Il leva les mains en guise de paix et répondit :

« Très bien, j’ai compris, je m’incline ! »

Tranquillement installé dans son fauteuil, il observa Emily en train de se déhancher sur la piste de danse improvisée, tout en chantant à tue-tête en exagérant volontairement. Elle était un peu déjantée, mais avoir une amie comme ça plaisait énormément à Noah. Emily était une femme vraiment extraordinaire, et même s’il le disait régulièrement en guise de plaisanterie, il le pensait. Et il ne parvenait à imaginer sa vie sans elle.

Tout à coup, la minuterie du four coupa Emily dans son élan, qui se tourna vers Noah pour lui demander de s’en occuper. Le journaliste se leva immédiatement et approuva d’un hochement de la tête.

« J’y vais ! » assura-t-il. « Je ne voudrais pas interrompre un tel don de la nature »

Il se dirigea d’un pas vif vers la cuisine, tandis que la voix d’Emily continuait de résonner, même s’il ne la voyait plus. Il avisa le four, esquissa un sourire en voyant le plat qui paraissait cruellement bon et saisit un gant pour éviter de se brûler en le sortant. Emily chantait toujours, de plus en plus fort, et il sourit. Un vrai phénomène.

Victorieux, il revint voir son amie en tenant fièrement le plat, qu’il s’empressa de déposer sur la table.

« Et voilà. Emily, ta mère m’impressionne chaque jour un peu plus. Ça a l’air délicieux ! »

En plus de ses autres défauts, Emily est relativement de mauvaise foi. Elle ne va jamais reconnaitre un de ses torts avant de s’être battue bec et ongle pour faire croire qu’elle a raison et que l’autre a tort. Avec Noah elle est un peu plus dans l’auto-dérision qu’avec les autres, parce qu’elle s’en fiche un peu qu’il voit ses faiblesses. Ok, elle aime pas trop ça, mais c’est beaucoup moins grave avec lui qu’avec quelqu’un d’autre. Elle a totalement confiance en lui, d’autant qu’il garde un de ses secrets depuis dix ans. Si ça n’est pas une preuve ultime qu’elle peut avoir confiance en lui… !

Entendant une chanson qu’elle adore, Ems se mit à faire un show, se déhanchant légèrement, prenant la télécommande comme micro et se donnant pour livrer une prestation plus que moyenne. Non seulement elle chante un peu trop fort, mais les paroles ne sont pas vraiment justes. A dire vrai, elle s’en fiche, elle s’éclate et c’est ça qui est important. En plein milieu de son morceau, voilà que le four se met à sonner et elle charge Noah de s’en occuper, pendant qu’elle termine sa prestation. Il ne manque pas de faire une petite remarque qui la fait sourire, avant qu’elle ne se reprenne et qu’elle achève le morceau. Elle baissa un peu la musique et quelques instants après, Noah arrive fièrement avec la tarte salée.

« C’est clair que c’est la meilleure ma maman. Déjà rien que par le fait qu’elle me supporte. »

Annonça-t-elle en lui offrant un sourire adorable. Elle prit ensuite le grand couteau qu’elle avait posé sur la table et de sa main libre, la bonne heureusement, elle découpa deux morceaux hors du plat.

« J’te laisse te servir pour pas faire de bouillie. »

Bien qu’elle ait sorti la pelle à tarte pour faciliter le service, d’une seule main elle se savait très bien capable de tout mettre à terre.

« Oh dis, j’allais oublier… mais en même temps ça va un peu de soi. Tu veux venir avec moi à la fête de la Jonquille ? »

Noah appréciait bien la famille Fisher. Il ne connaissait pas trop la sœur et le frère de sa meilleure amie, n’ayant eu guère l’occasion de discuter avec eux, mais Emily était quelqu’un de bien alors, par-conséquent, sa famille l’était également. Et puis sa mère était une vraie cuisinière, capable de concocter les meilleurs plats du monde. Alors ça lui suffisait. Il approuva d’un hochement de la tête avant d’accepter la pelle à tarte que la jeune femme lui tendait, désireuse de ne pas faire preuve de sa maladresse légendaire. Noah servit donc les deux assiettes, avant d’en tendre une à Emily, et de poser l’autre devant lui sur la table. Il se rendit compte à quel point son ventre criait famine.

Quand Emily lui proposa de l’accompagner à la fête de la jonquille, il se figea et son sourire disparut. Quel dommage ! Il aurait adoré être son cavalier. Avec elle, il était sûr de s’amuser dans n’importe quelles circonstances. Mais elle s’y était prise trop tard, il avait déjà accepté l’invitation de quelqu’un d’autre… Après un bref silence, il répondit :

« Emily, je suis désolé, je… j’y vais déjà avec quelqu’un d’autre ».

Il espérait ne pas la blesser avec cet aveu, mais ne pouvait décemment pas lui mentir. Ils auraient bien d’autres occasions de faire la fête, de se voir lors de soirées, mais il craignait que sa meilleure amie le prenne mal. Parce que la fête de la jonquille était l’un des événements majeurs de l’année, le rendez-vous incontournable des habitants de Shady Cove, et elle devait se faire une joie d’y aller avec lui. Il baissa les yeux, un peu gêné.

« J’accompagne Avery Woods, si tu la connais… Elle bosse avec moi au journal ».

Il ne savait pas trop quel était le degré de relation que partageait Emily et Avery, il ne voulait pas provoquer la moindre tension entre elles si jamais elles se connaissaient !

« Merciii. »

Lança-t-elle gaiement, réceptionnant son assiette et la posant devant elle, attendant tout de même qu’il se soit également servi avant de sauter sur la Shepherd Pie telle la grosse bouffe qu’elle était. D’ailleurs, dans sa lancée joyeuse, elle demanda à Noah s’il voulait l’accompagner à la fête de la Jonquille. Elle avait déjà tout prévu : ils iraient faire les boutiques ensemble pour accorder leur ten… Le flot de ses pensées s’arrêta lorsqu’elle comprit qu’en fait, il venait de lui dire non.

« Oh… »

Dans un premier temps, elle était tellement surprise qu’elle ne pensa pas à demander qui était cette poufiasse qui lui volait son meilleur ami. Heureusement, il se montra plus bavard qu’elle et lui expliqua qu’il y allait avec Avery Woods. Jusqu’ici, Emily n’avait rien contre cette fille. Maintenant, ça sera une autre affaire (a).

« Oui je vois. »

Elle déglutit et tenta de sourire, mais ça devait paraitre bien fade par rapport à son air enjoué quelques minutes plus tôt. Elle se racla la gorge et essaya de ne pas montrer à quel point elle était déçue. Elle n’avait pas envie que Noah se torture ou se sente coupable… Même si franchement elle n’avais pour sa part pas imaginé une seule seconde proposer à quelqu’un d’autre que lui de l’accompagner.

« Et euh, y a quelque chose entre vous ? »

Demanda-t-elle tout de go, en se disant que ça serait moins difficile à avouer s’il était amoureux de la nana ou quoi. Elle pourrait comprendre qu’il choisisse sa copine à sa meilleure amie, mais pas une simple collègue. Elle ne lui laissa d’abord pas le temps de répondre et pointa sa fourchette vers lui.

« Mais je te préviens que de toute façon, je serai la plus belle fille de la salle, donc tu te mordras les doigts de ne pas m’avoir attendu, baby. »

Noah eut bien conscience d’avoir blessé sa meilleure amie en déclinant, certes poliment, son invitation. Evidemment, il n’avait pas d’autre choix, mais tout de même. Emily avait aussitôt perdu son sourire, elle qui était toute joyeuse quelques minutes plus tôt. Il jeta un coup d’œil à son assiette, et se surprit à penser qu’il avait un peu perdu l’appétit. Bien sûr, il ne voulait pas plomber l’ambiance ! Devant son air peiné, il s’efforça de lui sourire gentiment.

« Emi’, je suis vraiment désolé »

Il ne pouvait faire que répéter, s’excuser encore et encore, un peu gêné pour elle. Quand elle lui demanda s’il y avait quelque chose entre lui et Avery, il fronça les sourcils. C’était bien la dernière chose à laquelle il aurait pensé ! Il ignorait quelle réponse elle préférait entendre, mais il décida de lui dire l’entière vérité. Non sans continuer de la taquiner légèrement…

« Pourquoi ? » s’enquit-il, le regard malicieux. « T’es jalouse ? »

La réaction d’Emily était sûrement appropriée, elle s’attendait tout naturellement à ce qu’il accepte. Après tout, ils étaient tous deux d’excellents amis et il était normal que, étant tous deux célibataires, ils se rendent ensemble à cette soirée. Alors il ne pouvait que comprendre la déception qui se lisait dans ses yeux. Retrouvant son sérieux, il répondit calmement :

« Non, il n’y a rien entre nous. Je te l’aurais dit, sinon, je t’assure. C’est une amie, rien de plus »

Et c’était l’exacte vérité ! Noah ne voyait pas les choses différemment. Emily retrouva ensuite son caractère habituel, lui expliquant qu’il regretterait sans doute de ne pas l’accompagner, et il éclata de rire.

« Je le sais déjà, que tu seras la plus belle fille de la salle ! Mais je laisse la chance aux autres de t’aborder… Avec mon charme naturel, aucun type n’oserait venir te parler si je suis avec toi ! »

Comme ça, au moins, songea-t-il avec soulagement, Emily pourra peut-être croiser la route d’un quelconque invité, un homme avec qui le courant passerait bien. S’il l’accompagnait, faire des rencontres serait probablement bien plus difficile !

En même temps, Emily sait qu’elle n’a pas vraiment le droit d’être fâchée sur Noah de ne pas l’accompagner. D’ailleurs elle ne l’est pas. Elle est simplement déçue parce qu’elle sait qu’ils auraient passé une excellente soirée et qu’ils auraient fait les fous. Puis, ça fait longtemps qu’ils n’ont plus eu le temps de s’amuser autant ensemble. Il faut dire qu’avec son boulot aussi loin de Shady Cove, il peut difficilement en être autrement.

« C’est… pas grave. »

Après tout, ils ne se sont rien promis. Elle aurait dû la jouer bien plus fine et lui demander plus tôt de l’accompagner. Elle s’intéressa un peu à la personne qui venait de lui voler sa place et demanda à Noah s’ils étaient ensemble, Avery et lui. Lorsqu’il lui demanda si elle était jalouse, elle ne répondit rien, mais il est plus qu’évident qu’en effet elle l’est, pour le coup. Cependant, ça fait longtemps qu’elle étouffe ce qu’elle ressent pour Noah et elle n’a pas envie que ça éclate aujourd’hui au grand jour.

« J’te crois. Parce que franchement si tu te la tapais et que tu m’avais rien raconté, je crois que là ça aurait été cause de divorce ! »

Conclut-elle, avant de finalement lui annoncer qu’il allait se mordre les doigts de ne pas rentrer en sa compagnie, parce qu’elle serait la plus jolie fille de la soirée. C’est pas le genre de la maison que de se la jouer modeste (a). Lorsqu’il confirma ses dires, le visage d’Emily s’illumina et elle retrouva sa joie de vivre.

« C’est clair qu’ensemble on est tellement canon que tout le monde doit nous détester. »

Elle fit une petite grimace, avant de prendre un morceau de tarte salée, réfléchissant en mâchant.

« Oh punaise, à qui je vais demander de m’accompagner du coup ? »

Demanda-t-elle en soupirant, espérant qu’il lui apporte un peu d’inspiration.

Noah esquissa un sourire gêné face à la tentative d’Emily pour lui assurer que ce n’était pas grave. Il ne la croyait qu’à moitié. Non ce n’était pas grave, mais tout de même. Le jeune homme savait à quel point ça comptait pour elle et regrettait de l’avoir déçu. Il se promit de se rattraper d’une quelconque manière, et réfléchirait à la question. Avec un peu de chance, s’il n’était pas trop débordé les prochaines semaines, il pourrait même organiser quelque chose ! S’il se la tapait ? Oh ! Il se voyait mal sortir avec Avery en dehors d’une simple amitié. En vérité, la seule personne qui hantait encore son esprit, c’était Lucy. Mais bien sûr, leur rupture datait d’il y a quelques mois déjà, et personne ne pourrait le comprendre. Pourquoi est-ce qu’il s’attachait encore à elle, pourquoi est-ce qu’il était obnubilé par celle qui avait rompu si douloureusement avec lui. Il devrait aller de l’avant. Plus facile à dire qu’à faire. Il s’empressa de répondre, l’air innocent, avec son éternel sourire malicieux aux lèvres :

« J’te le promets, il n’y a et il n’y aura jamais que toi dans ma vie ! »

Evidement, qu’ensemble ils étaient tellement parfaits que tout le monde les haïssait, la question ne se posait même pas ! Si la modestie ne faisait pas partie du caractère de Noah, il le vivait bien. Les racontars à leur sujet devaient aller bon train, d’ailleurs. Ils étaient souvent fourrés ensemble et se connaissaient depuis de très longues années. Le journaliste en était sûr, parfois, on devait les prendre pour un couple. Mais à ses yeux, leur relation allait bien au-delà de cela. Il vouait pour Emily une indéfectible amitié, il l’adorait, il l’adorait vraiment. Il avait l’intime conviction qu’elle le connaissait mieux que personne.

« Bon… Tu trouveras bien quelqu’un pour accepter de venir avec toi. Personne ne pourrait te refuser quoi que ce soit ! Mais je te préviens, je ne serai pas loin ! »

Il s’assurerait que le garçon qui l’accompagnerait n’était pas un sombre crétin de la pire espèce. C’était tout de même la moindre des choses. Et puis bon, si l’homme en question ne lui plaisait pas, il ne se priverait pas pour en toucher deux mots à Emily. Le problème de son caractère trop protecteur, sans doute !

Si Noah avait, sans le vouloir, blessé sa meilleure amie, il est sans doute la personne la plus douée pour la remettre sur les rails, sachant exactement que dire pour lui faire plaisir et lui redonner le sourire. Lorsqu’il évoque le fait qu’il n’y a qu’elle dans sa vie, évidemment qu’elle est plus qu’aux anges, même si elle sait au fond que c’est strictement faux. Noah en a pincé très longtemps pour Lucy Nelson, ils ont été sérieusement en couple tout ça. Le fait qu’Emily soit loin était une bonne excuse pour ne pas fréquenter la policière de qui elle n’avait jamais été proche, de toute manière. A présent qu’ils ne sont plus ensemble, Emily doit bien reconnaitre que quelque part, elle se sent un peu mieux, elle n’aime pas vraiment partager. Elle est du genre à penser souvent ce genre de choses, mais il n’y a qu’envers Noah qu’elle culpabilise, parce qu’elle l’aime vraiment beaucoup et qu’elle voudrait qu’il soit heureux. Mais bon, il n’a qu’à être gay aussi, comme ça, il n’y aura plus de rivalité féminine (a).

« J’aime mieux ça. »

Elle se mit ensuite à réfléchir à voix haute à qui elle pourrait bien inviter, espérant que son meilleur ami pourrait lui donner une quelconque idée de génie. Pour sa part, elle ne voit pas trop. Ca ferait un peu cheap de proposer à son frère non ? En même temps, ça pourrait être l’occasion de passer du temps ensemble. Et puis maintenant, elle va plus proposer ça à dix mille personnes sans savoir si elles sont libres ou pas.

« Bon, je vais donc sortir ma liste interminable de prétendants et me mettre à peser les pours et les contres. »

Elle se mit à rire, avant de continuer à manger. Le reste du repas se passa comme souvent dans la joie et la bonne humeur, Emy ne tenant pas plus que ça rigueur à Noah ne de ne pas l’accompagner. Après tout, ça n’est pas sa faute, c’est plutôt celle d'Avery Woods qui lui a lancé l’invitation …


FIN DE LA SCENE