Le battant de la porte claque contre le mur.
« Ce n’est plus possible ! »
Les longs doigts blancs et rachitiques de Victoria Jones sont refermés autour d’une plume en résine noire à volutes blanches, le genre de plume hors de prix qui a elle toute seule est une œuvre d’art. Les yeux rivés sur un carnet d’adresses, elle continue inlassablement de griffonner sans accorder ne serait-ce qu’un regard à la personne en état de crise de nerfs avancé à l’entrée.
« Lauren, je ne vous paie pas pour faire l’enfant … »
Ladite Lauren vire au rouge tomate sous l’effet de la colère.
« C’est Lacy ! Non ! Je n’accepterai plus un tel comportement inhumain, je …
-Ecoutez Marie, vous êtes bien mignonne, mais vous êtes en train de me faire perdre mon temps. Prenez une tisane et allez vous détendre, prenez l’après-midi si vous voulez, mais par pitié, faites-moi de l’air.
-LACY ! J… Je ne suis pas… Vvv… Vous êtes un monstre ! Une harpie ! Un être infernal qui ne mériterait même pas le statut de … »
Lentement, Victoria repose sa plume sur le bureau en verre de façon à ne faire aucun bruit, aucun impact, aucune tâche : aucun remous.
Elle laisse Lauren-Lacy-Marie-Machin déverser son flot haineux sans chercher à entendre et croise ses mains ensemble, coudes sur la table, afin d’en faire un coussin pour son front. Et l’arrête.
« Fanny. Quand vous vous êtes proposée pour le poste, je vous ai clairement stipulé que ce n’était pas une bagatelle et qu’il fallait une sacrée volonté pour être à la hauteur. Vous m’avez juré sur tous les saints que vous étiez la personne la plus déterminée de tout le Comté, et j’ai bien voulu vous croire. Je me rends compte à quel point vous vous êtes mentie à vous-même. Pour votre défense, vous n’avez certes pas choisi la période la plus facile, avec la fête de la jonquille dans une dizaine de jours … Aussi j’ai été diligente, je ne vous surcharge pas. Cependant, votre attitude est contre-productive et j’ai tout sauf besoin de cela. Vous avez le choix entre faire un effort et reprendre votre travail, ou partir. Je ne vous en tiendrai pas rigueur. »
L’assistante sent les larmes lui monter aux yeux et se raccroche au mur pour ne pas glisser au sol.
« Pauvre tarée ! Je reste pas une minute de plus ici et … C’est Laaacyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy »
Le timbre de sa voix se réduit au fur et à mesure qu’elle s’enfuit en courant, pour ne devenir enfin qu’un murmure lorsqu’elle entre dans l’ascenseur et disparait.
Victoria soupire et reprend sa plume en main, son menton dans l’autre. C’est la troisième depuis Jonas, et celle qui a tenu le moins longtemps. Il faut croire que plus elle avance dans le compte des assistants qui lâchent, moins ils durent. Trois jours pour Lacy. Un record. Il allait falloir faire quelque chose.