Promis, je sers encore un verre de whisky à ce gros bourré avachi sur mon bar et je me prends une pause. Et je le fais dégager, par la même occasion. Je sors rapidement mon portable et envoie un sms à Elliot ; mon service se finit bientôt, autant finir la soirée en beauté ensuite.


Je range mon portable lorsqu'une jeune femme m'interpelle pour commander son Tequila Sunrise. Quelle originalité. Seulement 80% des femmes me demandent ce cocktail ! Mais soit. Avec un sourire, je lui prépare son verre. Elle est plutôt jolie, brune, grande, un peu plus âgée que moi.
Je pose le verre devant elle et me penche pour souffler le prix dans son oreille. Je la drague et je me fais du fric, technique imparable. Je repars vers le gros somnolant bourré et lui tapote l'épaule pour vérifier qu'il est encore vivant. Un grognement s'échappe de sa bouche, je pense que c'est bon signe.
Un mec m'interpelle, pour un shooter de vodka. J'ai envie de leur crier d'aller se faire foutre parce que je veux prendre ma putain de clope, mais je pense que niveau relationnel, c'est pas top. Donc, je lui ramène gentiment, sans oublier de lui demander mon argent, quand même.

Je jette un dernier coup d'oeil à la salle, et vérifie que tout se passe bien. Les danseuses font souvent monter la température, et quelques mecs se gênent pas pour les toucher. Mais les vigiles en nombre veillent à ce que tout se passe bien.

Je sors mon portable et envoie un deuxième sms à Elliot. Juste pour le faire chier.


Je finis par appeler un collègue pour qu'il me remplace ; de toute façon quand mon service sera fini ce sera à lui ; je le fais s'échauffer. Je fais signe à Nick aussi, pour pas qu'il me tue ou qu'il me court après en m'engueulant.
J'ouvre la porte de la réserve et sors, allumant ma clope.

« Les deux premières tournées sont pour moi. Mais pour les filles, je t'ai menti. »

- Monsieur n'a pas de cigarettes ? Si monsieur n'en a pas, monsieur dit s'il te plaît cher ami orgasmique, menteur certes, mais qui va tout de même t'offrir deux tournées - la troisième étant à négocier.

Je lui donne ma cigarette quand même et en sors une autre pour moi. J'aperçois son vespa posé un peu plus loin.

- T'as encore conduit en ayant bu. Tu pues la bière avec un petit fond de tequila !

Je le sermonne sans vraiment y croire moi-même. De toute façon, le soir, la circulation de Shady Cove se résume aux voitures dont le conducteur s'est trompé de chemin. Et il n'habite pas vraiment loin d'ici.

- On rentre sûrement à pied après, j'te ramène ton Vespa demain si jamais.

J'aurais pu proposer à Nick de me ramener, mais je ne sais pas vraiment où on va finir. Soit dans la ville d'à côté, soit dans le caniveau, et des deux options, il n'y en a aucune où j'aimerais inclure mon frère dedans.
Je regarde Elliot et lui sourit. Ma clope est finie, il me reste seulement trente minutes de service. On va pouvoir commencer à boire.

Je lui tiens la porte de la réserve et nous entrons dans le bâtiment. Et le gros, qui est toujours là. Il a daigné lever la tête, cela dit, ce qui doit relever de l'exploit. J'installe Elliot au bar.

- On commence doucement ? Je te propose teq-paf, vodka-pastèque, vodka-pomme, le classique ou... Mon pêché mignon, un verre de Jack Daniel's.

Même si on commence doucement, on sait tous les deux comment on va finir. Bordel, je ne pourrais jamais me passer des soirées avec Elliot.

- Ta soeur, elle va bien ? Eleanore, je veux dire.

C'est vrai. Pourquoi je lui demande ça ? Bon, elle est plus âgée que moi, c'est vrai. Mais de trois ans seulement. Et puis bon, tout le monde dit que c'est sa plus grande soeur qui est mannequin, mais Eleanore est pas mal non plus !

- Simple curiosité. Ou politesse. Enfin tu choisis, tu peux choisir d'oublier ma question aussi.

Je lui sers sa vodka-pomme et met le mien de côté. Plus que vingt minutes de service, amen ! Je m'excuse auprès de Elliot et me charge de 2-3 clients, avant de revenir vers lui. Son verre est presque vide. Mon sac est rangé sous le bar ; je glisse discrètement une bouteille de vodka à l'intérieur. On ne sait jamais, on pourrait se perdre, avoir très froid, et se réchauffer avec une bouteille de vodka, ou même se faire attaquer et, mine de rien, une bouteille de vodka, ça fait mal. Expérience personnelle.

Soudain, une jeune femme vient se jeter sur le bar. Deux options : elle a très soif, ou elle me veut. Bon, elle doit avoir soif. D'un signe de tête à Elliot, je lui fais comprendre que finalement, je peux peut-être lui faire rencontrer une femme.

- Attends-moi, je vais m'occuper d'elle ! Si t'es sage, je lui parlerais de toi. Sinon, si tu ne veux pas rester sage évidemment, tu peux annuler ma troisième tournée, prendre ma place pour les dernières 20 minutes ou me lécher les pieds.

Je lui fais un sourire colgate avant d'aller m'occuper de la femme bien bourrée, le laissant réfléchir à mes propositions.
Je lui sors mon petit sourire en coin. Putain, elle a vomi.
Je me retourne vers Elliot et hausse les épaules ; ce sera peut-être pas pour tout de suite la présentation.

- Appelle juste le vigile pour qu'il lui fasse prendre l'air s'il te plaît. Si t'en es capable, évidemment.

Je lui fais un clin d'oeil, sous-entendant qu'il est déjà bien fait. Et moi, je m'occupe de nettoyer le vomi. Amen, mon boulot est béni.

Elliot se charge lui-même de ramener la fille dehors, me prouvant qu'il est pas encore bourré. Il réussit brillamment, d'ailleurs. Mais je vais devoir remédier à ça. Mais avant, il faut nettoyer ce vomi qui trône sur mon bar, comme un trophée de la super-soirée-géniale-que-la-fille-aura-passé-mais-dont-elle-ne-se-souviendra-pas. Rien que ça ! Je prends de l'essuie-tout et ferme les yeux. Le vomi, ça me fait vomir. Et je n'ai pas envie d'en nettoyer un encore. Je retiens ma respiration et essuie, tout en retenant une grimace de dégoût en sentant le liquide chaud sur le tissu. Beurk, beurk, beurk !

Je cours presque jusqu'à la poubelle et envoie le truc dégueulasse à l'intérieur. Je termine ensuite de nettoyer avec une bonne dose de javel, tout en me faisant un post-it que je dépose à côté de l'éponge : « Penser à la brûler ».

Elliot revient enfin, sans la fille, tout en proclamant fièrement que sa mission est réussie.

- T'as de la chance d'avoir un ami barman, quand même.

Je lui sers un autre verre de vodka-pomme ; vu la vitesse à laquelle il a descendu son verre précédent, il apprécie. Un peu trop peut-être, mais tant mieux. Enfin, le barman qui m'a remplacé pendant ma pause clope revient, signe que mon service est terminé. Je me tourne vers Elliot, tendant mes bras vers le ciel en signe de victoire.

- On va pouvoir commencer à s'amuseeer !

Je choppe mon verre de vodka-pomme que j'avais auparavant délaissé, et, tout en m'excusant pour ça, je le bois. Rapidement - après tout, Elliot a un verre d'avance. Je m'en sers un autre et lui fais signe. Je veux aller danser !

- On va booty-shaker ou bien ?

Tout en lui posant cette magnifique question, je remue mes fesses, dans un remix de la "danse des canards", version verre à la main.

Elliot me montre un sms qu'il a reçu, de la fille qu'il a du ramener. Mon portable vibre au même moment, comme Elliot l'avait prédit. Mais bon, je ne prends pas la peine de regarder, parce que j'ai la flemme de chercher mon portable dans la poche de mon jean slim super serré qui laisse pas tes poils respirer. Je passe enfin de l'autre côté du bar, lançant un grand sourire à mon collègue. Il va en baver. Les fins de soirées sont toujours dégueulasses, surtout quand Elliot et moi sommes là.

Enfin, on va pouvoir danser ! Elliot a l'air d'hésiter, il ressemble un peu à un pingouin qui se retrouve devant un ours polaire.

Ah, le voilà son problème, monsieur est sobre ! Tout en lui souriant, je retourne au bar, prend mon sac avec moi, et sors la bouteille de vodka avant de remettre mon sac sur mon dos. Je l'ouvre et lui tend ; il en a besoin le pauvre pingouin.

- I GOTTA FEELING OUHOUUUU THAT TONIGHT'S GONNA BE A GOOD NIIIIGHT !

Je me lance sur la piste, dansant comme un pantin tenu par un parkinson, et m'approche d'une fille. Qui se retourne. Et qui est un garçon, très efféminé. Dans un cri, je me retourne vers Elliot et le rejoint presque en courant. Première expérience traumatisante.

- Fais attention quand t'abordes des filles, regarde-les de face d'abord ! Déjà pour vérifier que ce soit pas un cyclope.

J'ai la phobie des cyclopes. Je reprends la bouteille de vodka des mains d'Elliot et prend quelques gorgés. La vodka pure, c'est pas génial, mais ça saoule vite.

- T'en as encore besoin Liolio le pingouin ?

Ça ferait un tube génial. Et monsieur vient de découvrir son nouveau surnom pour la soirée. Bon allez, on va danser ! Je le prends par le poignet, et l'emmène en plein milieu de la piste. Dans le même mouvement du remix de la "danse des canards", j'engage la danse, invitant les inconnues autour à nous rejoindre.

- Sentez ma testostérone et tremblez, femmes !

Je lève les bras au ciel, comme quand Voldemort vole la baguette de Dumbledore quand il a profané sa tombe. Méchant Voldemort.

Mon annonce a l'air de faire effet, puisque trois demoiselles se sont rapprochées de moi. Je fais un examen rapide, deux sont pas mal, et l'autre... L'autre, non. Alors je lui tourne sensiblement le dos, assez pour lui faire comprendre que je ne suis pas intéressé. J'entends Rihanna et jette un regard à Elliot, qui danse avec une fille. Et c'est tout sauf chaste, cette danse ! Son regard me le confirme et je rigole. Bon sang!

Bon, j'ai deux filles qui m'attendent moi ! Imitant mon meilleur ami, je passe entre les deux et les rapproche de moi, formant un parfait sandwich et bien meilleur que ceux du Subway. C'est royal. Je sors la vodka et bois une gorgée, avant de faire un bisou-bouteille avec une de ces femmes. Mon invention : je l'embrasse et la saoule en même temps. Je suis vraiment, vraiment trop fort. Je bois encore une gorgée et lance un regard à Elliot, qui a l'air bien trop pris dans sa danse pour remarquer que j'ai à nouveau sorti l'attirail alcoolique. Il viendra plus tard.

La musique change à nouveau, et j'entends "The Reckoning Song". J'me sens plus là. J'adore cette chanson. Sans le vouloir j'envoie les filles en-dehors de mon espace vital dansant, et commence à sauter en chantant les paroles à tue-tête. Je vois une fille, qui a l'air sensiblement plus jeune que moi, sauter en l'air, comme moi. Et qui a l'air arraché, comme moi. Imitant le kangourou, je me rapproche d'elle et saute avec elle.

Elle me dit son prénom, et je le retiens pas, je m'en fous, je vais pas la revoir. Et puis je me lasse, et retourne vers Elliot, reprenant mes sauts de kangourou expérimenté.

- LIOLIO ! C'est l'heure du cap ou pas cap !

Ah, ce jeu. Il peut mener à tout. Vraiment à tout. Je continue mes sauts de kangourou, tout en inspectant la foule et en chantant à tue-tête.

- Cap ou pas cap de... te présenter à la prochaine fille comme Liolio le pingouin, impuissant et ensuite de lui dire, d'une voix sensuelle...

Je me rapproche de lui et d'une voix fluette lui dit :

- T'inquiète pas chérie-han, toi et moi, on chasse le même gibier !

Je sors la bouteille de vodka. Il sait que s'il accepte, il ne boit qu'une gorgée - il faut bien boire, quand même. S'il refuse, je fixe le nombre de gorgées.

Il se dirige vers une fille assez... Laide, il faut l'avouer. Il s'acharne à lui faire comprendre ce qu'il dit tandis que je ris. C'est un spectacle assez hilarant ! Soudain, ce pingouin revient vers moi et m'embrasse. Je reste les bras ballants, me transformant en pingouin à mon tour. Je le regarde du genre "c'était quoi ça ?" avant de me retourner vers la fille. En voyant sa tête, ce qu'à fait Elliot valait le coup, finalement. Je me joins à son rire et le laisse boire sa gorgée, attendant ma sentence.

Oh bordel. Le con. Le mécréant. Je vais le tuer, le castrer. Comment ruiner mes chances de rencontrer une fille et de m'afficher pour le reste de ma carrière derrière le bar. Mais je ne peux pas m'avouer vaincu, ce serait trop facile. Mais putain, je vais me venger. Dans un sourire crispé, je lui fais signe de m'attendre et m'approche de la cabine du DJ. Heureusement que je connais le personnel, cela dit. Eux vont comprendre, ils sont habitués de nos frasques, mais bon.

Je demande à Alban - le DJ - de me laisser le micro. Il me regarde, perplexe. Je lui fais un sourire qui se veut rassurant, mais je crois que ça ressemble plus à une grimace. Montant sur la mezzanine du DJ, j'aperçois Elliot en bas, qui attend, un sourire aux lèvres. Tu perds rien pour attendre, coco.

- Hum, hum.

Je tapote le micro, pour faire comme dans les films. Rendre le tout théâtral quoi. En espérant que les gens comprennent que le reste n'est que théâtre aussi ! Du coup, je vais m'improviser Shakespeare. C'est parti.

- Elliot, Elliot, pourquoi es-tu Elliot ? Dans ce monde de fous, nous ne pouvons point nous aimer. Ainsi sommes-nos destinés à errer entre nos semblables, nos coeurs perdus. Si tu savais, Elliot, combien je rêve de t'embrasser face au monde, de leur imposer notre amour ! De faire ma vie avec toi ! D'adopter des bébés asiatiques - parce que ce sont les plus choux ! Je partagerais jusqu'à la fin des temps ma bouteille de vodka avec toi, t'entraînant dans mon flux d'émotion et de chaleur qui, à chaque fois que je pose les yeux sur toi, me traversent le corps. Ô Elliot, j'espère que ceci est réciproque, voilà 20 ans que je soupire pour toi.

Je détourne ma tête de la foule et m'empresse de donner le micro au DJ qui me regarde, hilare. Je lui souris, pensant déjà à ma vengeance. En descendant, je croise les regards des jeunes femmes qui auraient pu m'intéresser avant ce faux coming-out et leur sourit, en désespoir de cause. Je rejoins Elliot, lui tape l'épaule, histoire de, et bois.

- Mon amour, suis-moi donc !

Je lui prends la main - si ma réputation est ruinée pour ce soir, la sienne aussi - et l'emmène dans les vestiaires des danseuses. Je cherche dans le couloir le portique avec les habits de scène, principalement composés de strings et de soutien-gorges, et le ramène devant lui.

- Cap ou pas cap d'emprunter une tenue aux danseuses et de les rejoindre sur le podium ? Dois-je préciser que tu dois garder la tenue toute la soirée ?

Il refuse d'abord. Bon, on est pas des rois de la danse mais après tout, on passe déjà pour des gays dans toute la boîte, autant pousser le vice. Personne ne voudra nous parler de toute façon ! Soudain, il se déshabille et se livre à moi. Je rigole et me retourne vers le portique. J'aperçois un ensemble jaune fluo, composé d'un string et d'un soutien-gorge sans bretelles. Vengeance, je te tiens.

- Tiens, tu peux mettre ça. Tu peux garder ton slip et mettre le string par-dessus, j'ai pas spécialement envie de voir tes testicules courir à travers champs !

Soudain, une lueur attire mon regard. Celle du miroir à spots, pour le maquillage. Et au bas du miroir, un petit flacon qui scintille. Je le prends et le glisse dans la poche arrière de mon jean, avant de me retourner vers Elliot.

Je crois que je ne pourrais jamais m'arrêter de rire. C'est une vision qui me hantera jusqu'à la fin de mes jours, et je veux mourir avec cette image de lui ! On dirait un poussin sous stéroïde. Je prends mon portable et immortalise le moment.

- Pour les talons par contre, ce n'est pas que je veux pas, mais les danseuses chaussent du 38, donc t'as de la chance. Non, on va te mettre autre chose aux pieds...

J'inspecte la pièce rapidement, et me souvient. Je cours vers le bureau de Nick et ouvre la porte discrètement, vérifiant qu'il n'est pas là. Et je les vois. Ses chaussons Homer Simpson. Je les prends et cours à nouveau vers le vestiaire, avant de jeter les chaussons à Elliot.

- Tu feras gaffe par contre, ça glisse sur les podiums ! Bon, allez, la touche finale.

Je prends le flacon que j'avais auparavant caché dans ma poche et le montre à Elliot. Des paillettes en gel pour le corps.

- Sublimons tes atouts petit pingouin poussin !

Je lui souris et lui applique rapidement les paillettes sur les parties visibles de son corps, histoire qu'il ne puisse pas partir en courant sans rencontrer auparavant mes mains expertes en étalage de paillettes.

- Allez, ton heure de gloire est arrivée.

Je lui reprends la main et l'emmène à travers la boîte jusqu'aux podiums. J'interpelle une des danseuses et lui présente sa nouvelle "collègue". Que la fête commence ! Et ça mérite bien une gorgée de vodka tout ça. Je sors rapidement mon portable et me tient prêt à tout filmer.

Mon oeuvre d'art qui se trémousse sur un podium, aka mon meilleur ami qui est cap de porter des sous-vêtements féminins et de danser devant des gens qui le croient gay, ça n'a pas de prix. Il danse comme un raton laveur qui vient de se prendre un pet d'un putois, mais la danseuse l'initie à quelques pas, histoire de.

Je le laisse danser tout en filmant et, emporté par la musique, commence à me trémousser dessus. Soudain, je sens des mains qui se posent sur mes hanches et quelque chose qui se frotte à moi dans mon dos. J'ose pas me retourner. Doucement, je jette un coup d'oeil. C'est un mec ! Un mec qui me colle !

Et j'ai soudain le réflexe le plus débile du monde. Je pense que j'innove en matière de "je te fais comprendre que je veux pas de toi". Je saute sur le podium et saute dans les bras de Elliot en m'accrochant à lui. Simplement. Et mentalement, je me mets des baffes. Et je bois une gorgée de vodka.

Je me décroche de Elliot.

- C'est bon, tu peux descendre si tu veux ! Désolé pour avant, c'était une situation d'urgence.

Je descends du podium et attends Elliot, bouteille de vodka à la main. Je lui tends lorsqu'il descend et jette un coup d'oeil autour de moi. J'arrive pas à assumer mon nouveau rôle de gay avec quelqu'un d'autre que Elliot, parce que seul lui sait que c'est pas sérieux.

- En tout cas, t'étais géniale-han ! Et j'espère que t'as pas trop froid, parce qu'a rythme où on va, on va rester ici un bon bout de temps, et toi, toujours dans cette tenue. JUSQU'AU BOUT DE LA NUIIIIIITHIIIIHIIIII!

Je lui tourne le dos et recommence à me trémousser. Bon sang, vodka, qu'est-ce que tu me fais faire ? Rectification. Bon sang, Elliot, qu'est-ce que tu vas me faire faire ?

La dure réalité me rappelle ; c'est à mon tour de me ridiculiser. Il m'entraîne vers le bar et m'expose son "Cap ou pas cap".

- Cap, évidemment. Mais dès que je descends, je veux les deux verres que tu me dois. Plus vite j'oublierais, mieux je me porterais !

Je lui lance un dernier regard, et commence à escalader le bar. Une fois dessus, je fais un signe de tête au DJ et commence mon petit numéro. Je fais glisser mon sac derrière le comptoir et commence par enlever mes chaussures et mes chaussettes, tentant tant bien que mal de ne pas perdre l'équilibre. Une petite foule me regarde désormais, et je sens le rouge me monter aux joues. C'est pas que je suis pudique hein. Enfin, un peu peut-être.

Je commence à enlever mon T-Shirt dans une danse que je veux sensuelle mais en voyant les rires de certain je doute que ce soit réussi. C'est pas grave, c'est pas grave ; pour la réputation que je me suis fait ce soir de toute façon ! Je jette mon T-Shirt dans la foule ce qui était peut-être une mauvaise idée, mais je décide de continuer. Après tout, j'aurais droit à un deuxième verre de Jack Daniel's, et ça se refuse pas.

Je commence à jouer avec ma ceinture et fais des clins d'oeil à quelques filles, et quelques garçons, aussi. Je l'ouvre et déboutonne mon pantalon, avant de le laisser glisser sur mes jambes. Des cris d'encouragement s'élèvent, et soudain, j'hésite. Je ne sais pas si mon cap est validé ou non. J'enlève mon pantalon et m'accroupit sur le comptoir, demandant à Elliot :

- J'enlève le slip aussi ?

Amen, je ne suis pas obligé d'enlever mon slip. On aurait pu avoir des problèmes quand même. Enfin, heureusement que Nick n'est pas aux alentours, ça évite déjà beaucoup de remontage de bretelles.

- Non, non c'est pas rasé. C'est encore plus moche quand c'est rasé, et puis y'a que les acteurs pornos qui font ça. Alors certes, j'en ai le corps, mais ce n'est pas mon métier ! Je suis barman moi, monsieur !

Il m'autorise enfin à descendre, et me tend mes verres de Jack Daniel's. Soudain, un dilemme. Boire les verres ou chercher mes vêtements puis boire les verres ? Que faire ? J'ai soif ! J'ai froid ! Et je ne sais pas où ils sont ! Mais j'ai envie de garder un peu de dignité, encore. J'ai trouvé la solution ! Je vais boire un verre, chercher mes vêtements, et boire le deuxième. Je remercie Elliot pour les verres et bois le premier.

- Je vais chercher mes vêtements, attends-moi ici !

Je vois mon T-Shirt être secoué dans les airs. Ni une, ni deux, je cours vers la fille qui s'amuse à faire tourner le bout de tissu qui me couvrait, et saute pour l'attraper. Je lui fais un sourire d'excuse et enfile le T-Shirt. Mais là, j'ai l'air plutôt débile, en T-Shirt/slip. Je retourne près du bar, où mon jean trône sur le sol. J'avais fait attention à pas l'envoyer je ne sais où ! Enfin, je finis par récupérer mes chaussures et chaussettes qui étaient derrière le comptoir et les remets.

Je reviens vers Elliot et lui commande un shooter vodka-cerise, et un autre vodka-pastèque, parce qu'avec mes deux verres de Jack Daniel's, je serais plus vite bourré que lui et ça, je suis pas d'accord !

- Bon, c'est ton tour. Laisse-moi réfléchir.

Mes idées commencent à devenir floues, alors pour trouver un truc original, je galère. Soudain, une idée me vient, et cette idée se trouve à nouveau dans les loges.

- Attends.

Je m'y engouffre et cherche ce que je veux. On les garde pour des soirées à thème genre "pin-up", tout ça. Ces fameux rollers. Je les cache dans mon dos et revient devant Elliot, lui tendant mon trophée.

- Cap ?

Elliot se commande encore trois shooters avant de se lancer sur la piste en roller, tel un ours du Cirque du Soleil. Enfin, je sais pas s'ils ont des ours, mais s'ils en avaient, ils les mettraient sur des rollers, j'en suis sûr. Je m'assois sur le tabouret du bar, dos à celui-ci et regarde mon meilleur ami tenter tant bien que mal d'aller d'un point A à un point B sur des rollers au milieu d'une foule.

Je le vois s'attacher à un homme, qui le regarde à son tour comme s'il avait la peste. Et moi, je suis écroulé de rire sur le bar. Je le vois revenir vers moi, et me proposer un cap ou pas cap comme on les aime.

- Cap. Et merci d'avoir précisé que c'était toi, mon petit poussin dansant.

Je tapote le tabouret à côté de moi, lui faisant comprendre qu'il peut venir se coller à moi et se préparer à avaler un mètre de shooters. Je les commande au barman.

- Si tu me laisses les finir plus vite que toi, je te paye le mètre. Comme ça, tu t'appauvris pas, et je pars à la reconquête de ma réputation. Mais vu comme elle est ruinée, on est partis pour une guerre de Cent Ans.

Le mètre arrive et, comme le veut la tradition, je me lève et mets les mains dans le dos. Rien qu'avec la bouche.

- Tu peux enlever les rollers, si tu veux, j'ai pas envie de te retrouver par terre !

J'attends que Elliot soit prêt, et me lance. Je balance ma tête pour faire descendre le liquide et, après avoir fini le mètre, j'ai un peu la tête qui tourne. Mais heureusement, le sol sera toujours là pour me rattraper. Je ferme les yeux le temps d'accuser le choc, et me retrouve face à une dizaine de tête qui me regardent en rigolant. La reconquête de ma réputation, c'est pas maintenant. Soudain, une main se tend devant moi et, sans regarder qui me la tend, je me relève rapidement, l'air de rien. Je m'aperçois que ce n'est personne d'autre que Liolio le pingouin.

- Merci. On va oublier ma chute, hein !

Je m'essuie les fesses et donne 12 dollars au barman pour payer les deux mètres de shooters.

- Alors. On va faire tout en douceur. Cap ou pas cap d'aller embrasser la fille qui est accoudée au bar là-bas ? T'as deux minutes pour y arriver, et, bien sûr, elle doit être consentante.

Elliot me sourit et part embrasser la fille. Je joue avec un verre de shooter en le regardant faire ; il a l'air de bien se débrouiller en plus ! Il va le faire, j'y crois pas ! Je reste attentif au petit spectacle qui se déroule devant moi quand, soudain, un mec vient pousser Elliot. Je commence à me lever, voulant m'interposer, quand ce même mec lui fout un poing. Je m'avance plus vite, jouant des coudes pour arriver jusqu'au côté du bar où Elliot était. Les vigiles emmènent le mec dehors, tandis que Elliot est au sol, la lèvre totalement explosée. Je m'accroupis et pose une main sur sa tête.

- Mec, ça va ? Putain, j'suis désolé, si j'avais su qu'il avait une copine, j'aurais pas fait ce truc, je te promets !

J'essaye de le relever doucement, passant un de ses bras au-dessus de mes épaules pour mieux le supporter. Je l'aurais bien porté comme une princesse, mais je suis pas Hulk non plus ! Je l'emmène derrière le bar et l'assoit sur une chaise. Et puis je repense à ce gros bâtard qui, en plus d'être totalement con, et aussi totalement homophobe.

- Je vais aux toilettes, te chercher du désinfectant dans la trousse de secours.

Je lui donne un mouchoir imbibé d'eau à poser sur sa bouche, quand même, et sort de la boîte. J'espère pour lui qu'il s'est barré. Non mais en plus c'était mon idée, putain, mais quel con. Tout en m'insultant, j'atteins enfin la sortie et vois ce mec sur le trottoir d'en face. Ni une, ni deux, je bombe le torse et m'avance vers lui, dans une démarche que je veux menaçante.

J'arrive devant lui et, avant qu'il ait le temps de dire "bonjour petit homme", je lui envois mon beau poing droit dans la figure. Comme il a fait à Liolio. Il se relève rapidement, faut dire qu'il a pas du sentir grand-chose, parce qu'il ressemble un peu à Culbuto dans oui-oui ; en somme, il est bien protégé naturellement. Il s'approche de moi, mais je fais genre j'ai pas peur. Bon en vrai je flippe un peu quand même, mais c'est de ma faute si Elliot s'est mangé son poing, alors bon.

- Tu sais ce qu'elle te dit la pédale, au fait ?

Et alors qu'il s'approche encore de moi, j'imagine sa partie génitale comme un ballon de foot et lance mon pied dedans. Bingo, il tombe à terre. Bon, ni une, ni deux, j'me dépêche quand même de rentrer dans la boîte. Courageux, mais pas téméraire. Et je vais chercher du désinfectant pour Elliot. Quand je reviens, je lui change son mouchoir par un autre, imbibé d'alcool à 70°.

- Ça va piquer un peu... Mec, encore une fois, j'suis désolé.

Je pourrais me mettre à genoux tellement je culpabilise. Et lui faire tout plein de bisous magiques, mais apparemment c'est juste un mythe inventé par les parents.